Classique film policier, Le bar du téléphone bénéficie d’une bonne ambiance et de la confrontation de trois générations de comédiens formidables. Efficace à défaut d’être original.
Synopsis : Un truand ambitieux déclenche une guerre des gangs, espérant ainsi éliminer toute concurrence dans le monde de la pègre. Mais gare à l’effet boomerang !
Un film qui ne retrace pas la tuerie du Bar du Téléphone de 1978
Critique : En octobre 1978, une terrible tuerie intervient au sein du Bar du Téléphone, un petit troquet du Petit Canet à Marseille. Faisant une dizaine de victimes innocentes, le massacre a marqué les consciences de l’époque, comme un symbole de l’insécurité galopante dans la cité phocéenne. Alors que les causes de cette boucherie n’ont toujours pas été élucidées à ce jour, beaucoup y ont vu à l’époque un énième épisode de la guerre que se livraient les gangs marseillais. Finalement, l’année suivante, le scénariste Claude Néron, grand spécialiste du roman noir à l’origine de Max et les ferrailleurs (Claude Sautet, 1971), choisit de s’inspirer de cette terrible affaire pour créer une œuvre de fiction.
Effectivement, à l’époque comme aujourd’hui, l’enquête n’a mené à rien et il était donc impossible de réaliser un film documenté sur ce fait divers. Dès lors, l’auteur n’a conservé que le nom du lieu, l’a déplacé de Marseille à Argenteuil et a inventé une intrigue complète autour de l’événement pivot. Ceux qui cherchent donc à se renseigner sur le réel massacre intervenu en 1978 devront se pencher sur les nombreux documentaires télévisuels qui lui ont été consacrés, mais pas à travers cette pure œuvre de fiction, dont les producteurs ont uniquement exploité le nom.
Le bar du téléphone, hommage appuyé à Jean-Pierre Melville
Aidé par son ami Claude Lelouch pour lequel il fut monteur, Claude Barrois a été choisi comme réalisateur, lui qui sortait tout juste de l’échec commercial de la comédie Alors… Heureux ? (1980) avec les frères Jolivet. Devenu réalisateur de télé, Claude Barrois envisage toutefois son long-métrage comme un véritable hommage aux grands films de gangsters tournés notamment par Jean-Pierre Melville. Cette filiation se retrouve par la présence au casting de François Périer (vu dans Le samouraï et Le cercle rouge), mais aussi de Raymond Pellegrin (dans Le deuxième souffle), mais aussi lors de la promotion du long-métrage fondé sur une affiche qui reprend directement celle du Cercle rouge.
Au cœur du film se trouve la confrontation entre trois générations de truands, et donc d’acteurs. Tandis que la vieille garde est incarnée par des acteurs prestigieux comme Périer, Pellegrin, mais aussi Georges Wilson et Julien Guiomar, la génération suivante est interprétée avec talent par Daniel Duval. Ici promus tête d’affiche grâce au triomphe rencontré par son film La dérobade (1979), le comédien se révèle parfaitement à l’aise dans ce rôle de truand implacable, mais qui conserve un certain honneur et surtout une forme de romantisme. Le charisme de l’acteur fait beaucoup pour le film.
Les révélations de Christophe Lambert et Richard Anconina
Enfin, pour jouer les jeunes chiens fous issus des banlieues pauvres, Claude Barrois a effectué un casting de grande ampleur réalisé au cœur du Club 13 de Claude Lelouch comme en témoigne Christophe Lambert (cité dans Stars d’aujourd’hui, Ramsay, 1985 p 104) :
Lorsque j’ai débarqué au Club 13, on s’est retrouvé à soixante. […] Là, tu te dis : c’est foutu. On a refait des essais sans caméra vidéo devant Daniel Duval, Claude Barrois et les deux producteurs du film. […] Finalement, on est resté quatre. Jacques Strauss, le producteur exécutif du film, est venu dire à Richard (Anconina, ndr) : toi, pas de problème. Puis, il s’est retourné vers moi : Toi, on veut te revoir mardi pour refaire des essais. Là ç’a été à nouveau la panique : c’est pour voir si je louche, ils ne vont jamais me prendre. Une semaine plus tard, Claude Barrois m’appelait pour me dire que j’avais le rôle. J’étais soufflé !
© 1980 ATC 3000 – TF1 Studio / © 2022 Le Chat qui Fume, jaquette de Frhead.fr. Tous droits réservés.
Effectivement, pour le jeune Christophe Lambert il s’agit d’un véritable baptême du feu, lui qui n’a jusque-là fait qu’une furtive apparition dans le film Ciao, les mecs (Sergio Gobbi, 1979). Il obtient ici un rôle majeur, celui du chef du gang des petites frappes de banlieue. C’est à peu près la même chose pour Richard Anconina qui n’avait à son actif que quelques comédies potaches comme Comment se faire réformer (Philippe Clair, 1978) ou Les réformés se portent bien (Philippe Clair, 1978). Dans Le bar du téléphone, il initie un cycle où il joue les petits loubards, ce qui le portera à la révélation de sa carrière avec Tchao Pantin (Claude Berri, 1983).
Une vision sombre de la France des banlieues
S’appuyant judicieusement sur un casting savamment composé, Claude Barrois peut ainsi dérouler une classique histoire de gangsters qui se livrent une guerre implacable pour le contrôle de territoires. Il s’agit en même temps d’une confrontation entre différentes générations de criminels. On notera au passage que la position très ambiguë du commissaire interprété par François Périer rejoint celle de Michel Piccoli dans Max et les ferrailleurs, ce qui est donc une constante dans l’œuvre de l’auteur Claude Néron. La police n’en sort pas nécessairement grandie, d’autant que le scénariste suggère un passé de collaborateur peu reluisant à ce personnage trouble.
Au milieu de tant de noirceur surnage uniquement la relation amoureuse entre Daniel Duval et Valentine Monnier (au jeu fragile), ainsi que l’amitié naissante entre Duval et le jeune chien fou interprété avec justesse par Christophe Lambert. Le reste du long-métrage est marqué par une grande duplicité dans les relations humaines, ainsi que d’une violence qui se déchaîne de manière très graphique lors de la fameuse séquence centrale de la tuerie. Cela justifie d’ailleurs le classement du film, alors interdit aux moins de 13 ans.
Un bon polar à l’ancienne à redécouvrir
Doté de belles images composées par la lumière de Bernard Lutic et d’une musique mélancolique de Vladimir Cosma, Le bar du téléphone s’impose donc comme un bon polar à l’ancienne. On notera que sa sortie a été compliquée à Marseille puisque la pègre locale a cru que le film retraçait véritablement l’affaire de 1978. Ainsi, les exploitants marseillais ont reçu des menaces d’attentats à la bombe s’ils programmaient le film en question. Finalement, aucun incident notable n’a eu lieu.
Le long-métrage n’a d’ailleurs pas eu la carrière attendue par son distributeur AMLF et le réalisateur Claude Barrois a continué sa carrière au petit écran durant une vingtaine d’années. Sorti à plusieurs reprises en VHS, puis en DVD, Le bar du téléphone a eu le privilège de ressortir en version restaurée en blu-ray chez Le Chat qui Fume, dans une très belle copie.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 27 août 1980
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© 1980 ATC 3000 – TF1 Studio / Affiche : LPC / Jean-Claude Labret (agence) – René Ferracci. Tous droits réservés.
Biographies +
Claude Barrois, Christophe Lambert, Georges Wilson, Julien Guiomar, François Périer, Richard Anconina, Daniel Duval, Raymond Pellegrin, Valentine Monnier, Jean-Marie Lemaire, Robert Deslandes, Jean-Pierre Rambal
Mots clés
Polars français des années 80, Polars urbains des années 80, Films de mafia, Les tueurs à gages au cinéma