La stratégie Ender, adaptation du premier tome de la célèbre saga d’Orson Scott Card, a été l’un des gros échecs commerciaux de l’année 2013, malgré des qualités d’écriture et de formidables effets spéciaux qui auraient pu emballer.
Synopsis : Dans un futur proche, une espèce extraterrestre hostile, les Doryphores, ont attaqué la Terre. Sans l’héroïsme de Mazer Rackham, le commandant de la Flotte Internationale, le combat aurait été perdu. Depuis, le très respecté colonel Graff et les forces militaires terriennes entraînent les meilleurs jeunes esprits pour former des officiers émérites et découvrir dans leurs rangs celui qui pourra contrer la prochaine attaque. Ender Wiggin, un garçon timide mais doté d’une exceptionnelle intelligence tactique, est sélectionné pour rejoindre l’élite. A l’académie, Ender apprend rapidement à maîtriser des manœuvres militaires de plus en plus difficiles où son sens de la stratégie fait merveille. Graff ne tarde pas à le considérer comme le meilleur élément et le plus grand espoir de l’humanité. Il ne lui manque plus qu’à être formé par Mazer Rackham lui-même pour pouvoir commander la Flotte lors d’une bataille homérique qui décidera du sort de la Terre.
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Les dystopies adolescentes des années 2010
La critique : La stratégie Ender est l’une des nombreuses tentatives d’exploitation par le cinéma de franchises littéraires pour adolescents dans les années 2010. Les studios, enthousiasmés par les triomphes des sagas Harry Potter et Le Seigneur des anneaux qui ont redéfini le blockbuster moderne en sérialisant les envies cinématographiques, ont ainsi décidé d’envisager des succès sur une franchise à suivre et non de s’aventurer sur des narrations isolées sans lendemain, pour permettre aux actionnaires de mieux capitaliser sur du long terme. Si Twilight et Hunger Games suivirent cette voie avec brio, du moins au box-office, les autres tentatives furent moins évidentes. Le Labyrinthe fut un succès déclinant mais Divergente sera abandonné après deux opus, laissant une saga inaboutie puisque Summit Entertainment annulera la production du chapitre final au grand dam de ceux qui s’y étaient investis. Quant au Monde de Narnia chez Disney ou Percy Jackson chez la Fox, les résultats en demi-teintes imposeront des réorientations, Narnia sera récupéré par la Fox pour un troisième opus, et Percy Jackson devra attendre dix ans avant de passer d’un deuxième volet raté à une série télévisée.
Affiche teaser de La stratégie Ender © 2013 Ender’s Game Holdings. LLC. Tous Droits Réservés.
Dans une tentative de décrocher la franchise dystopique ou fantastique phénomène à suivre, tous les studios vont mettre sur orbite une multitude de productions qui seront lamentablement abandonnées à l’issue de la révélation des premiers chiffres du week-end américain, car immédiatement ignorées par les masses : Eragon (2006), A la croisée des mondes : la boussole d’or (2007), La cité de l’ombre (2007), Les chroniques de Spiderwick (2008), L’assistant du vampire (2009), Coeur d’encre (2009), Numéro Quatre (2011), Sublimes créatures (2013), Les âmes vagabondes (2013), The Mortal Instruments : la cité des ténèbres (2013), Warm Bodies : Renaissance (2013), Le septième fils (2014), The Giver (2014), Vampire Academy (2014), La cinquième vague (2016), Darkest Minds Rébellion (2018)… La liste est incomplète, bien évidemment. Dans les années 2020, ce sont les plateformes qui poursuivront cet effort sous la forme de séries télévisées. Netflix bâtira son empire sur ce modèle.
La stratégie Ender : une saga avortée et un flop au box-office
La stratégie Ender appartient à la catégorie des sagas avortées dès le premier volet laissant un goût d’inachevé et rendant quasiment impossible toute implication du spectateur dans un film qui n’aura jamais de fin effective, à l’écran du moins puisqu’il reste toujours les ouvrages. En l’occurrence pour Ender’s Game, une vingtaine de titres publiés entre 1985 et 2021 et d’autres à venir, par Orson Scott Card. L’auteur américain sera d’ailleurs impliqué dans la production du film, acceptant enfin une adaptation, malgré la nécessité de changer pour l’écran l’âge du héros, enfant de 6 ans dans le premier roman à adolescent pour les besoins du cinéma.
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Summit Entertainment, studio indépendant important, fort du triomphe de Twilight, et le distributeur Lions Gate cherchent en 2013 un successeur pour capter l’attention des jeunes sur plusieurs films. Mais, en 2013, ni Warm Bodies, ni Sublime créatures ne parviendront à susciter cet espoir. Ender’s Game, avec un budget colossal de 110 millions de dollars et la star vieillissante Harrison Ford en haut de l’affiche, sera un bide monumental avec 125M$ de recettes dans le monde, dont la moitié aux USA. La promotion fut pourtant longue, virale, esthétiquement marquée vers une science-fiction de grand écran… Mais la sauce ne prendra pas, avec parfois des polémiques, notamment sur l’homophobie de l’auteur et le boycott de nombreux spectateurs. Le studio et les acteurs prendront leur distance vis-à-vis du romancier conservateur, minimisant son implication. Gavin Hood sera d’ailleurs crédité seul au scénario, malgré la base historique de Card qui a longtemps essayé de vendre son script.
Un premier week-end insuffisant (27M$) démontre le manque d’envie du public, quand l’essoufflement immédiat souligne tout absence de bouche-à-oreille. La sortie mondiale s’étalera sur plus d’un mois, avec 15 jours de décalage en France, venant considérablement affaiblir les perspectives, puisque Ender’s Game arrive des semaines après avec la promesse de ne jamais se conclure à l’écran. A quoi bon se précipiter donc. Metropolitan Film Export, distributeur hexagonal, en fera les frais puisqu’il décidera de proposer le film le 6 novembre 2013, au lendemain des vacances scolaires occupées par Gravity et Thor : le monde des ténèbres. Un peu plus tôt, la société française avait déjà essuyé les bides de Warm Bodies (292 000 entrées) et des Ames vagabondes (395 000 entrées) avec exaspération. L’année 2013 sera heureusement sauvée du marasme par Hunger Games l’embrasement et Le loup de Wall Street qui permirent au cheval ailé d’achever l’année sur deux productions à plus de 3 millions d’entrées.
Après Mon nom est Totsi, les nouveaux enfants soldats de Gavin Hood
Métaphore intelligente des enjeux humains de la guerre, La Stratégie Ender souffrira d’une contradiction inhérente à la mise en place du projet. Le film présente un sujet sombre sur fond de génocide et un casting adolescent peu compatible avec la réalité du sujet. Asa Butterfield – que l’on venait de découvrir deux ans plus tôt dans le Hugo Cabret de Scorsese – est bon, mais la jeune Hailee Steinfeld et tout le casting jeune rend ce Starship Troopers alternatif, l’humour et le cynisme en moins, pas toujours appréciable car trop lisse et sans réelle possibilité d’atteindre les sommets promis par la réalité des enjeux dramatiques de l’œuvre.
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Pourtant La stratégie Ender sera humainement et philosophiquement l’une des meilleures productions issues de cette vague de dystopies pour jeunes adultes cette décennie-là. La réalisation limpide de Gavin Hood (X-Men Origins : Wolverine, 2009), la beauté des effets spéciaux en lévitation et d’une précision numérique qui impacte la rétine forment un bel emballage esthétique. La musique sublime de Steve Jablonsky vient chercher son inspiration dans le Tron : l’héritage de Joseph Kosinski dans ses belles envolées spatiales. Le cachet visuel et sonore du film pare l’ensemble d’une ampleur cinématographique puissante qui permet d’aller au-delà des réserves sur le casting sans trop d’intérêt de cette jeunesse proprette sur le point de découvrir les affres de la conscience et le poids des décisions irrémédiables.
Une guerre (pas si) propre
Sûrement jugé longuet dans sa mise en place de l’action, La stratégie Ender pose les enjeux d’une franchise en devenir sans trouver le rythme, toutefois il se pare de fulgurances visuelles et d’une poésie qui le rendent souvent captivant jusqu’à la séquence finale d’une cruauté métaphysique. Cette dernière renverse soudainement la narration avec l’un des rebondissements les plus glaçants de la décennie 2010. Le jeu de guerre, celui d’une guerre dite “propre”, mené à distance via des écrans numériques, comme un jeu vidéo, se charge d’une noirceur bouleversante lors d’un crescendo ouvrant royalement les perspectives d’un second volet auquel on se met à rêver. Dans cette réflexion sur les conséquences bilatérales des stratégies et la relativité du bien et du mal, la stratégie du studio Summit a été perdante, mais elle offrit quelques beaux frissons au milieu d’un genre exsangue qui allait être balayé par les productions super-héroïques de Disney qui reprendront par moment la noirceur de réflexion que La stratégie Ender (Captain America: Civil War, Les Eternels).
Sorties de la semaine du 6 novembre 2013
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