Tron l’héritage de Joseph Kosinski est l’un des plus gros paris de l’empire Disney qui a voulu y croire après des années de tergiversations. Le résultat d’une demi décennie de développement est un trip visuel froid et désincarné qui tire vers l’émotion contemplative. La peinture numérique est déroutante, voire fascinante, érigeant le jeu vidéo en art à part entière. Une page de l’histoire technologique du 7e art que le monde découvrit en pleine mode de la 3D relief.
Synopsis : Sam Flynn, 27 ans, est le fils expert en technologie de Kevin Flynn. Cherchant à percer le mystère de la disparition de son père, il se retrouve aspiré dans ce même monde de programmes redoutables et de jeux mortels où vit son père depuis 25 ans. Avec la fidèle confidente de Kevin, père et fils s’engagent dans un voyage où la mort guette, à travers un cyber univers époustouflant visuellement, devenu plus avancé technologiquement et plus dangereux que jamais…
Critique : En 2009, il était fréquent d’entendre qu’Avatar était une révolution technologique. Quelques rares voix étaient plus réservées. L’histoire était banale et sans la 3D, les effets spéciaux paraissaient terre-à-terre. Dans un monde pro-Cameron, la remarque peut encore aujourd’hui agacer, mais on assume préférer l’univers froid et branché de Tron l’héritage à celui bleu et vert kitsch du luxuriant classique de James Cameron. Le box-office mondial tranchera en faveur du postulat écolo du réalisateur de Titanic. On vous l’accordera.
Tron l’héritage, couleurs primaires et tertre dystopique de stérilité
Tron l’héritage est donc la suite tardive de Tron, œuvre précurseur qui plongeait le spectateur dans l’univers monochrome des jeux vidéo. Ce fleuron des technologies informatiques et graphiques sortait en 1982 et n’appelait pas à un second chapitre. D’ailleurs, il n’est pas nécessaire d’avoir vu le premier volet pour apprécier les valeurs du second épisode, pourtant en lien direct avec l’original de par la présence d’un personnage commun, celui joué par Jeff Bridges, Kevin Flynn.
Vingt ans après la disparition de Kevin Flynn, son fils, Sam Flynn, reçoit un message de celui-ci provenant d’un vieil ordinateur secret et se retrouve happé dans un monde virtuel, celui de Tron. Un royaume high tech, obscur, privé de soleil et de couleurs autres que primaires. Un tertre de stérilité.
Tron l’héritage est le film que la critique de son temps a aimé débrancher. Désincarné, dépourvu de toute empathie à l’égard de personnages qui peinent à exister, glacial comme le monde virtuel tant décrié des jeux vidéos… le concept que d’aucuns qualifieraient de geek, d’essentiellement masculin, destiné aux apôtres du monde éthéré d’Apple, est aux antipodes des univers humains du blockbuster traditionnel.
Le pixel plus fort que le mot
Evidemment dans pareil univers, il est délicat d’y faire naître des sentiments, si ce n’est peut-être celui de l’ennui poli face à une intrigue quelque peu absconse pour les non-initiés qui considèrent le mot plus fort que le pixel. Pourtant, pour ceux qui érigent l’aspect contemplatif du cinéma comme un art, il n’est pas impossible de se laisser totalement captiver par les prouesses technologiques de ce spectacle à l’écrin spectral.
Macrocosme de fluidité, de couches de transparence qui se chevauchent, de lignes et de courbes en perpétuelles évolutions, d’infinies désolations et de ténèbres crépusculaires où une nouvelle humanité serait en état de gestation, le microcosme cinématographique dépeint par Joseph Kosinski (Oblivion, Top Gun Maverick), pour son premier long métrage, est un no man’s land mélancolique, où le spectateur contemple ses fantasmes d’incarnation 2.0 par l’image de cinéma. On peut y être sensible jusqu’à pardonner les nombreux défauts scénaristiques ou au contraire s’évertuer à souligner les imperfections jusqu’à en oublier l’incroyable audace visuelle d’un projet pharaonique de 170M$ sûrement trop en avance sur son temps.
Au vu de la radicalité esthétique, conscient de l’impossible consensus, on choisit son camp. Dans notre cas, on exulte, on se laisse transporter par sa cohérence esthétique portée de façon exponentielle par la bande originale de Daft Punk, l’une des plus belles symphonies de cinéma jamais composées, même si elle ne fut même pas nommée aux Oscars. On étanchera sa soif de réflexion et caractérisation des personnages dans des œuvres plus canoniques aux intentions moins primitives. Tron l’héritage replace l’homme dans sa caverne à l’aube de la révolution numérique.
Jalon technologique que nous avons vu dans toutes les conditions atmosphériques à sa sortie, d’une salle de projection de presse, au Grand Rex, en passant par l’Imax 3D, Tron l’héritage est une expérience sensorielle inoubliable à l’immersion unique. Oblivion et Top Gun Maverick reprendront bien des qualités du film dans des contextes narratifs autres, notamment son sens de l’emphase musicale et des envolées stellaires.
Une œuvre visionnaire en avance sur son époque
Joseph Kosinski, génie maudit de son temps, n’allait vraiment trouver le succès qu’il mérite que dix ans plus tard, avec le phénomène Top Gun 2, dont on entend trop souvent dire qu’il ne s’agit que d’une œuvre de Tom Cruise. Le parallèle jusqu’à la thématique de la filiation avec Tron l’héritage nous démontre néanmoins le contraire. L’une des différences revient peut-être davantage à la présence charismatique de Tom Cruise dans le film de 2022 quand le jeune casting de Tron 2 (Garrett Hedlund et Olivia Wilde) paraissait plus monotone, en tout cas moins “cool” et “fun”.
Pour le reste, Tron l’héritage est probablement l’une des œuvres les plus sous-estimées de son époque, monument d’une décennie qui n’a pas su être à la hauteur de ses ambitions visionnaires.