La nuit de San Lorenzo évoque avec force et poésie un épisode tragique de la Seconde Guerre mondiale. Le Prix spécial du jury de Cannes 1982 est un chef d’œuvre à redécouvrir à tout prix, comme le reste de la filmographie des frères Taviani.
Synopsis : La nuit du 10 août, les étoiles filantes exaucent les vœux. Une femme formule celui de pouvoir raconter à l’être qu’elle aime ce qui s’est passé le 10 août 44. Un groupe de femmes, d’enfants et d’hommes fuit San Miniato, où les Allemands se préparent à un massacre général. Puis ce sera le retour dans le village martyr…
La nuit de San Lorenzo est le film le plus autobiographique des Taviani
Critique : Lorsque les frères Paolo et Vittorio Taviani abordent la réalisation en 1954, ils livrent un court-métrage documentaire intitulé San Miniato, luglio ’44 (1954) qui tente de reconstituer le massacre orchestré par les nazis et les fascistes dans la ville italienne de San Miniato en 1944. Ce choix n’est pas dû au hasard puisque les deux frangins sont nés dans cette même ville et qu’ils étaient adolescents lors des événements en question. En fait, ils ont suivi leur père qui a poussé une partie des villageois à fuir les nazis. Ceux-ci ont effectivement donné l’ordre à la population de se réunir dans l’église du coin. N’ayant aucune confiance en la parole des Allemands et encore moins des fascistes, le père des Taviani a ainsi sauvé la vie de nombreux concitoyens en organisant cette fuite durant la nuit de San Lorenzo.
Bien décidés à ne pas en rester à cette simple évocation historique de quelques minutes, les frères qui viennent de triompher à Cannes en remportant la Palme d’or 1977 avec Padre padrone, puis de connaître un échec avec Le pré (1979), choisissent de revenir à ce sujet. Toutefois, ils souhaitent l’aborder de manière différente, comme ils l’indiquent dans leur livre d’entretien avec Jean Antoine Gili (Entretien au pluriel, p 102, 1993) :
Lorsque nous nous sommes rendu compte de ce que vient de dire Paolo, c’est-à-dire que ces événements d’août 1944 s’étaient transformés en cette espèce de tradition orale, de mythe, de référence à un événement fondamental de la collectivité qu’on peut aujourd’hui se rappeler et raconter aux autres parce qu’il sert à notre conscience d’aujourd’hui, alors nous avons pensé que le film devait être cela.
Entre réalisme historique et poétique guerrière
Entre les années 50 et les années 80, le style des réalisateurs a effectivement évolué d’un style purement néoréaliste inspiré de Roberto Rossellini à une sorte de réalisme magique porté par une forte poétique des images. Dès lors, La nuit de San Lorenzo (1982) ne pouvait aucunement se limiter à évoquer un fait divers, aussi terrible soit-il, mais devait se hisser au niveau du conte que l’on se transmet de père en fils. Voilà pourquoi la narration est effectuée à travers les yeux d’une petite fille qui, une fois mère, évoque cette période auprès de son jeune enfant. Ainsi, le film s’autorise des dérapages vers la rêverie, tandis que certaines scènes guerrières sont transfigurées par l’imagination de la gamine – le fasciste transpercé par des lances de soldats grecs par exemple.
Tout en contrastes, La nuit de San Lorenzo se permet donc des passages d’une grande douceur, alternant avec des moments de violence crus et implacables. Le long-métrage des Taviani est sans aucun doute leur plus abordable en cela qu’il raconte une histoire forte en émotions et accessible à tous les publics. En une suite de tableaux particulièrement saisissants, ils parviennent à évoquer avec force cette période terrible de la Seconde Guerre mondiale où les Italiens étaient pris entre deux feux. Effectivement, d’un côté les Américains tentent de libérer le territoire, mais n’y arrivent pas, pendant que les nazis et les fascistes souhaitent conforter leurs positions. On assiste alors à une sorte de guerre civile où les Italiens s’entre-tuent, comme l’expliquent très bien les frères dans le même livre d’entretiens :
Nous avons ressenti nous aussi le besoin de raconter une histoire qui oppose des paysans qui se connaissent par leur nom et leur prénom et qui s’entre-tuent avec à la fois haine et pitié les uns envers les autres.
Un bijou visuel et musical
C’est d’ailleurs cette originalité qui fait de La nuit de San Lorenzo une œuvre exceptionnelle car, malgré son caractère implacable et les horreurs décrites, les auteurs ne jugent jamais leurs personnages et leur octroie toujours une part d’humanité qui ne peut qu’émouvoir. Il faut dire que l’ensemble est soutenu par une magnifique photographie de Franco Di Giacomo et surtout par une composition musicale magistrale de Nicola Piovani qui en profite aussi pour réarranger des airs classiques, notamment de Richard Wagner.
Interprété par une formidable troupe de comédiens professionnels et amateurs, le drame historique se hisse bel et bien au niveau des grands chefs d’œuvre italiens des années 70 et parmi les plus belles réussites du duo. Toujours à hauteur d’homme, tout en contrastes, La nuit de San Lorenzo a bien mérité son Prix spécial du jury au Festival de Cannes en 1982. Il faut dire que la concurrence était rude cette année-là puisque la Palme d’or a également été partagée entre Yol, la permission, chef d’œuvre turc de Yilmaz Güney et Missing de Costa-Gavras. Il fallait aussi compter sur Fitzcarraldo de Werner Herzog, Hammett de Wim Wenders, Identification d’une femme d’Antonioni, Travail au noir de Jerzy Skolimowski et Passion de Godard. Un sacré cru.
La nuit de San Lorenzo suscite la curiosité des cinéphiles français
Distribué par MK2 Diffusion sur 19 sites parisiens à partir du mercredi 20 octobre 1982, La nuit de San Lorenzo doit affronter la concurrence de Les misérables de Robert Hossein et parvient à attirer dans les salles franciliennes 46 101 spectateurs. La semaine suivante, le film se maintient bien avec 39 394 retardataires. La chute est modérée en troisième septaine avec 25 448 curieux qui permettent au film de franchir les 100 000 spectateurs en moins de trois semaines. Si sa carrière est correcte, le film est peu à peu retiré de l’affiche au bout d’un mois afin de faire de la place pour les nombreuses nouveautés du moment. A Paris, la carrière du film se fera sur la durée, dans quelques salles où il fait de la résistance et parvient à fédérer 216 483 cinéphiles.
Sur la France entière, le drame historique entre en 9ème position et bouleverse 88 592 spectateurs en première semaine. Ils sont 79 273 de plus la septaine suivante. En trois semaines, le métrage franchit la barre des 230 000 fidèles dans son temple assiégé par les fascistes. Après plus d’un mois d’exploitation, La nuit de San Lorenzo dépasse les 300 000 entrées et continue sa jolie carrière malgré la concurrence directe de Yol, la palme d’or qui suscite l’intérêt d’un public identique. A la mi-décembre, le film passe le seuil symbolique des 400 000 spectateurs. La période des fêtes lui sera moins favorable, même si le chef d’œuvre continue à tourner dans toute la France au point de réunir 590 544 cinéphiles pour un résultat satisfaisant.
Edité ensuite en VHS, puis en DVD par MK2 Vidéo, La nuit de San Lorenzo ne bénéficie pas encore en France d’une édition blu-ray. Le film est visiblement victime de l’amnésie d’une partie des cinéphiles qui ont, semble-t-il, oublié le cinéma pourtant essentiel des frères Taviani.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 20 octobre 1982
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Biographies +
Paolo Taviani, Vittorio Taviani, Omero Antonutti, Graziella Galvani, Margarita Lozano, Claudio Bigagli, Massimo Bonetti
Mots clés
La Seconde Guerre mondiale au cinéma, Le fascisme au cinéma, Festival de Cannes 1982