La fille qui en savait trop : la critique du film (1964)

Thriller, Policier, Giallo | 1h28min (version italienne) / 1h31min (version américaine)
Note de la rédaction :
7/10
7
Affiche 2023 du film de Mario Bava : La fille qui en savait trop

  • Réalisateur : Mario Bava
  • Acteurs : John Saxon, Valentina Cortese, Milo Quesada, Lucia Modugno, Letícia Román, Luigi Bonos
  • Date de sortie: 29 Jan 1964
  • Nationalité : Italien
  • Titre original : La ragazza che sapeva troppo
  • Titres alternatifs : Obession diabolique (Belgique) / The Evil Eye (USA) / La muchacha que sabía demasiado (Espagne) / A Rapariga Que Sabia Demais (Portugal) / Noche del demonio (Mexique) / A lány, aki túl sokat tudott (Hongrie) / Olhos Diabólicos (Brésil)
  • Année de production : 1963
  • Scénariste(s) : Sergio Corbucci, Ennio De Concini, Eliana De Sabata assistés de Mario Bava, Mino Guerrini et Francesco Prosperi
  • Directeur de la photographie : Mario Bava
  • Compositeur : Roberto Nicolosi
  • Société(s) de production : Galatea Film, Coronet
  • Distributeur / Distributeur 2023 Les Films Marbeuf / Tamasa Diffusion
  • Éditeur(s) vidéo : Films sans Frontières (DVD, 2001) / Opening (DVD, 2008) / Sidonis Calysta (combo DVD-blu-ray, 2022)
  • Dates de sortie vidéo : 10 décembre 2001 (DVD) / 6 août 2008 (DVD) / 24 mars 2022 (combo)
  • Box-office France / Paris-périphérie : 13 041 entrées (1ère semaine Paris)
  • Box-office reprise 2023 : 2 094 entrées (entrées globales des 5 films de la rétrospective Mario Bava)
  • Date de reprise : 11 octobre 2023
  • Classification : Interdit aux moins de 13 ans à l’époque / Tous publics de nos jours
  • Formats : 1.66 : 1 / Noir et Blanc / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : -
  • Illustrateur / Création graphique : Constantin Belinsky (affiche 1964) / Dark Star, l'étoile graphique (Mediabook)
  • Crédits : Galatea, Coronet
  • Rétrospective 2023 : Mario Bava : Six Films pour l'assassin
Note des spectateurs :

Film annonciateur du giallo, La fille qui en savait trop est une œuvre inégale, mais qui bénéficie d’une réalisation grandiose et d’acteurs performants. Son intrigue fantaisiste et ses notes d’humour doivent être vus comme des concessions à l’air du temps.

Synopsis : Nora, une jeune américaine en séjour à Rome, est victime d’une agression nocturne et voit avant de s’évanouir une femme se faire assassiner. A son réveil, toute trace du meurtre a disparu, et personne ne croit à son histoire. Nora découvre alors qu’un serial killer a déjà sévi au même endroit, et qu’elle pourrait être la prochaine victime…

Un thriller prévendu aux Etats-Unis

Critique : Ayant connu un beau succès international avec Le masque du démon (1960) réalisé par Mario Bava, les producteurs Lionello Santi et Massimo De Rita ont choisi de faire à nouveau appel aux services du réalisateur pour tourner un film policier dans le style d’Alfred Hitchcock. Comme pour le film d’horreur précédemment cité, ils ont déjà passé un accord de distribution aux Etats-Unis avec la firme AIP et le long-métrage est en quelque sorte vendu avant d’avoir été finalisé.

Le script de La fille qui en savait trop a été confié aux bons soins du futur cinéaste Sergio Corbucci (étrangement crédité Enzo Corbucci) qui y a ajouté une bonne dose d’humour afin de faire passer les éléments les plus rocambolesques d’une intrigue particulièrement tarabiscotée, et pas forcément des plus logique. Toutefois, comme toujours à cette époque en Italie, ils ne furent pas moins de six personnes à collaborer au scénario, dont Mario Bava lui-même.

La version horrifique de Vacances romaines

Il faut tout d’abord noter les influences évidentes du long-métrage qui vont bien évidemment du cinéma d’Alfred Hitchcock (on songe bien sûr à L’homme qui en savait trop, mais aussi à ses films des années 30) en passant par le cinéma classique hollywoodien puisque l’histoire décalque celle de Vacances romaines (Wyler, 1953) en version horrifique. Ainsi, l’intrigue suit une touriste américaine qui vient rendre visite à sa tante à Rome et qui va être témoin d’un meurtre. Toutefois, les circonstances particulières de cet événement font douter la jeune femme de la véracité de ce qu’elle a pu observer. Se sentant traquée par des ombres fugitives et désormais entourée d’une atmosphère de mystère, l’héroïne va vouloir faire toute la lumière sur ce qu’il s’est réellement passé, avec l’aide d’un jeune médecin amoureux d’elle.

Malgré des références évidentes à d’anciens récits policiers, le film de Mario Bava invente à lui tout seul une nouvelle forme de thriller horrifique que l’on nommera ensuite le giallo. Certes, La fille qui en savait trop (1963) ne fait que préfigurer un genre qui sera totalement abouti avec son œuvre Six femmes pour l’assassin (1964), mais il présente suffisamment d’éléments pour appartenir pleinement au sous-genre du giallo. Ainsi, on notera la présence d’un tueur mystérieux amateur d’armes blanches et de gants noirs. Ensuite, l’intrigue est tarabiscotée et parfois peu crédible, ce qui importe moins que l’atmosphère d’angoisse qui se dégage des décors et de la mise en scène. Enfin, l’ensemble questionne la véracité de l’image filmée puisque l’enquêteur pense avoir la solution par ses souvenirs et ceux-ci s’avèrent généralement trompeurs lors d’un twist final.

La fille qui en savait trop préfigure le cinéma d’Argento et de De Palma

Dans La fille qui en savait trop, Mario Bava prend même le risque de nous montrer l’identité présumée du tueur dès le début du film, signifiant que nous ne sommes pas dans un whodunit traditionnel. Pourtant, le regard du spectateur a été trompé par un artifice de montage qui démontre déjà que l’image filmée doit être prise avec précaution. Une thématique qui a ensuite été maintes fois pillée par des cinéastes comme Dario Argento, Brian De Palma et qui était également au centre de l’œuvre d’un réalisateur aussi sérieux que Michelangelo Antonioni. Même si Mario Bava a toujours nié avoir intellectualisé son film, on peut douter de cette assertion de la part d’un cinéaste qui n’a eu de cesse de rabaisser son propre travail.

Il faut dire que La fille qui en savait trop pâtit d’un manque évident de sérieux dans sa volonté très commerciale de séduire le grand public par des éléments comiques qui divertissent le spectateur de l’essentiel. Ce défaut est encore accentué dans la version américaine d’AIP entièrement concoctée par Mario Bava et qui se singularise par davantage de notations comiques, parfois jusqu’à l’absurde (avec une fin différente et assez surréaliste d’ailleurs).

Mario Bava, sculpteur de la lumière

On préférera retenir de ce long-métrage les moments de bravoure dont fait partie la toile d’araignée tissée par l’héroïne dans l’appartement afin de se protéger de l’assassin, mais aussi les différentes séquences se situant dans les lieux les plus touristiques de Rome, transfigurés par une photographie clair-obscur qui en fait des espaces anxiogènes. Chez Mario Bava, tout est question d’éclairage dans un cinéma très formaliste. Ainsi, c’est toujours la lumière qui révèle ou dissimule la vérité de l’image filmée. Lorsque le tueur meurt à la fin du film, les deux balles ne sont pas montrées, mais ce sont les faisceaux de lumière qui passent par les trous dans la porte qui expliquent au spectateur la résolution de la séquence. Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de l’utilisation toujours judicieuse d’une lumière travaillée par un Mario Bava encore directeur de la photographie.

Affiche 2023 du film de Mario Bava : La fille qui en savait trop

© 1963 Galatea – Coronet / © 2023 Sidonis, Tamasa Diffusion. Design : Dark Star, l’étoile graphique. Tous droits réservés.

La fille qui en savait trop est également porté par une interprétation générale de bonne tenue. Ainsi, Letícia Román fait preuve d’un vrai charisme devant la caméra, même si la jeune femme a rapidement abandonné la comédie en 1968 pour devenir agent immobilier aux Etats-Unis. Face à elle, la jeune femme a proposé à la production d’engager John Saxon, acteur américain qui était ami avec son père, le célèbre costumier Vittorio Nino Novarese. Alors que la carrière du jeune acteur battait de l’aile aux States, cette proposition d’un rôle principal en Italie était une aubaine. Il a ainsi rejoint le cortège de comédiens américains exilés en Italie à cette époque de boom du cinéma local. Le comédien s’en sort d’ailleurs avec les honneurs, et ceci même si son personnage n’est finalement qu’un faire-valoir de l’héroïne, ce qui était plutôt rare à l’époque où l’inverse était plus habituel. Enfin, l’inquiétante Valentina Cortese complète habilement le casting dans un rôle à plusieurs facettes.

La fille qui en savait trop, un échec commercial injuste

Sorti sans grand succès en Italie, La fille qui en savait trop a été rebaptisé The Evil Eye aux Etats-Unis, mais n’a pas reçu un bel accueil non plus. En France, c’est l’indifférence générale qui marque sa sortie par Les Films Marbeuf fin janvier 1964. Les seuls à s’enthousiasmer sont les rédacteurs de la revue indépendante Midi-Minuit Fantastique. Lors de sa première semaine d’exploitation à Paris, le métrage a glané 13 041 curieux, mais le thriller n’a guère performé par la suite, faute d’une exploitation digne de ce nom.

Il a fallu attendre les années 2000 et la réévaluation générale de l’œuvre de Mario Bava pour que La fille qui en savait trop sorte enfin en DVD dans des copies faiblardes. En 2022, l’éditeur Sidonis Calysta l’ajoute à sa collection consacrée au cinéaste dans un beau Mediabook contenant des suppléments passionnants et un petit livret central rédigé par Marc Toullec. La copie, sans être absolument parfaite, est de loin la meilleure sur le marché français.

Désormais considéré comme le thriller fondateur du giallo, La fille qui en savait trop n’est pas dépourvu de défauts, mais s’avère toujours une découverte passionnante tant le travail de réalisation se révèle un peu plus brillant à chaque nouveau visionnage.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 29 janvier 1964

Mario Bava : 6 films pour l’assassin

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La fille qui en savait trop, l'affiche

© 1963 Galatea – Coronet / Affiche : Constantin Belinsky. Tous droits réservés.

 

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