Quand un monteur de films érotiques et pornographiques qui a fait ses premières armes chez Jean Rollin se lance dans la réalisation d’un long métrage, le résultat est Jeans Tonic, comédie pour adolescents sobre, produite par le nabab Raymond Danon. Malheureusement, le budget étroit et l’improvisation du script a surtout accouché d’un résultat fade et donc d’un échec impitoyable au box-office.
Synopsis : Aphrodite, 14 ans et élève de 3e, tombe amoureuse d’Olivier, le meilleur ami de son frère aîné et étudiant en médecine. Ariane, amie de classe d’Aphrodite, tente sa première expérience amoureuse avec le professeur de Maths, Mathou qui est déjà très occupé de par ailleurs. Les couples se font et se défont et Kant observe avec une délectation certaine les attitudes de ces jeunes gens… ”
Histoire d’un échec au box-office, en 1984
Critique : Avec un démarrage parisien à 809 entrées dans 14 salles le jour de sa sortie, Jeans Tonic ne risquait pas d’avoir l’avenir radieux de la Boum, sa grande référence. La comédie, premier film de Michel Patient en qualité de réalisateur, se fourvoya au box-office faute d’un écho réel dans la presse, avec 6.089 entrées en première semaine dans des cinémas comme le Rex, l’UGC Opéra, l’UGC Biarritz ou les défunts Paramount Bastille, Galaxie et Montmartre. Le drame fut atteint en seconde semaine lorsque seulement deux seules salles jouaient les prolongations avec 1.442 entrées de plus. Le total exécrable de 8 133 tickets en fit l’une des déceptions commerciales de l’année 1984.
Extrait de © Le Film Français (Juin 1984)
Pas de quoi encourager le monteur Michel Patient, célèbre pour ses décennies d’érotisme Z chez Rollin (La vampire nue, Requiem pour un vampire, Les démoniaques) et ailleurs (Baby Cat, Les défonceuses, Caligula et Messaline, B… comme Béatrice , Phantasmes, Godefinger ou Certaines chattes n’aiment pas le mou) à poursuivre dans la réalisation. En 1984, quand sortait Jeans Tonic pour un public jeune, d’autres films avec son nom au générique trouvaient leur place sur les écrans : Dortoir des grandes, Adolescentes vierges pour sodomisation, Petits Culs vierges pour gros vicieux… Le monteur n’a d’ailleurs pas cherché à dissimuler son nom en prenant un pseudonyme.
Produit par le mythique Raymond Danon pour lancer sa fille, Géraldine
Produit par Raymond Danon (Du rififi à Paname, Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs, Le chat, La veuve Couderc, Traitement de chocs, L’horloger de Saint Paul, Le juge et l’assassin, Monsieur Klein, La passante du Sans-Souci...), le film peut sembler étrange dans la filmographie du producteur légendaire. Était-ce pour lui l’occasion de faire un cadeau de fin de lycée à sa fille Géraldine Danon? La filleule d’Alain Delon, grand ami de son père, avait 15 ans lors du tournage. Il s’agissait de son second long métrage après A mort l’arbitre de Mocky, autre film produit par Raymond Danon.
© 1984 Acta Production, Michel Patient, Elysée Films
A l’origine de Jeans Tonic, un court métrage avec Géraldine Danon
A vrai dire, la jeune fille et des jeunes du cours Simon étaient les interprètes d’un court que tourna en 1983 Michel Patient et qui sert de prémices à Jeans Tonic. Le grand producteur, curieux de voir le travail de sa fille, demanda à voir le résultat et satisfait, signa avec le technicien et désormais cinéaste, au coin d’une table, lors du festival de Cannes en 1983. Michel Patient dût alors faire très vite pour un tournage estival. Il improvisa un script basé sur son expérience de jeune prof de mathématiques quand il fut maître auxiliaire en lycée et embaucha quelques jolis noms pour bien emballer le paquet. Dans ces conditions et un temps de préparation quasi nul, l’aventure avec Raymond Danon tourna à la mésaventure.
Jeans Tonic est un film adolescent typique de son époque, ode à l’adolescence cocasse et pop qui essaie de graviter dans la sphère des deux grands hits du genre du début des années 80, La boum et La Boum 2 de Claude Pinoteau, avec Sophie Marceau. Malheureusement, aussi sympathique soit-elle, Géraldine Danon ne deviendra jamais la nouvelle Marceau, et on ne lui en voudra pas pour autant. Tout s’est fait trop vite pour que Michel Patient puisse vraiment travailler une réalisation. Ce premier long qu’il avait tant rêvé mais dans un autre genre, devient un film agréable à tourner, mais dont on sent un manque d’application général. Probablement parce que pour pareille impréparation, il fallait probablement une équipe technique plus aguerrie.
Toute la simplicité, mais aussi la naïveté d’une époque d’improvisation
Jeans Tonic, chronique mignonne d’une certaine époque simple, pâtit de son manque de réalisation. En tant que comédie, les gags ne sont pas élaborés et tombent à plat. De même, le scénario n’est bâti que sur une platitude de dialogues que l’on retrouvait souvent dans ce type de petits programmes alimentaires dont on espérait toujours un succès surprise. C’était la roulette russe et peu y parvenaient. En ce début de décennie, on citera Les Sous-doués et son sequel de Zidi, ou bien encore Les diplômés du dernier rang. Puis, plus tard, en 1985, PROFS de Patrick Schulmann, avec lequel Patient avait collaboré sur Et la tendresse, bordel?!.
Page publicitaire pour le lancement vidéo de Jeans Tonic en 1985 © 1984 Acta Production – Lira Eléphant
“Jeans Tonic” moins dynamique qu’un cours de “Gym tonic”
Michel Patient est le plus investi au poste, car c’est celui qui a le plus à gagner, mais surtout à perdre. Malgré tout, l’ensemble est paresseux et moins dynamique qu’une séance de “gym tonic”, fameuse émission sportive contemporaine au film, dont le titre a été une source d’inspiration manifeste. Pourtant, ce n’est pas la jeunesse qui manque à l’écran, mais celle-ci manque cruellement de naturel et de spontanéité. Elle ressert les expressions “jeunes” de l’époque, mais celles-ci paraissent déjà éventées. Quant à l’usage abusif des chansons mièvres qui n’ont jamais été des tubes, mais qui espéraient bien le devenir, on confirmera que la jeunesse de ce temps n’écoutait en rien ce type de chansonnettes mal produites. Le casting lui-même manque de naturel.
Au casting, les jeunes déclament leur texte sans conviction, sans jamais trouver l’espièglerie d’un Daniel Auteuil ou d’un Patrick Bruel. Géraldine Danon, lycéenne mignonne, commençait sa carrière trop tôt, Michel Stano espérait devenir le bogosse de son temps, mais deux films plus loin (Tir à vue avec Bonnaire et Urgence de Béhat), il disparaissait complètement de la circulation. Du côté des caméos adultes, Bernard Le Coq joue au prof de philo (surnommé Kant !) qui évoque à ses élèves, en vieux beau au bord d’une piscine, le plaisir selon Freud. Il ne s’investit pas. Michèle Mercier n’apparaît que de façon indigente en tant que mère ouverte d’esprit (ses deux enfants s’appellent quand même Narcisse et Aphrodite !). La motivation du chèque ne semblait pas l’inciter à plus d’effort que le strict minimum.
L’un des seuls acteurs à sortir du lot, Alain Dubois, dans le rôle du prof de mathématiques (du moins maître auxiliaire), fait montre d’un certain charisme. Il ne fera pourtant pas carrière et c’est bien dommage. Parmi les adolescents, Luc Lavandier est celui qui s’en sort le mieux. Logiquement, c’est aussi celui qui aura la carrière d’acteur la plus intéressante, avant de s’épanouir en tant que dessinateur et écrivain.
© 1984 Acta Production – Lira Eléphant
Habitué du porno, Michel Patient rhabille ses acteurs
Dans cette comédie adolescente d’une époque très crue quand on touchait aux films de lycéens et divertissements estivaux, le cinéaste Michel Patient se tient à distance de la nudité. Quelques seins nus à la piscine et un pervers qui montre furtivement son appareil lors de la scène d’introduction, rien de plus. Le X n’étant qu’alimentaire pour beaucoup de techniciens de sa génération, l’ambition de Patient était autre et on oublie alors volontiers son activité parallèle. Malheureusement, on ne le sent pas très à l’aise derrière la caméra. Il ne sait pas trop quoi faire de son script et achève sa valse des sentiments et son hymne aux hormones adolescentes, sur une fête assez pauvrement animée, toujours illustrée par une musique ingrate indigne d’une époque où l’on enchaînait les mélodies qui faisaient mouche au Top 50 – qui naissait quelques mois après la sortie de Jeans Tonic. Pour des raisons de production, Michel Patient se voit contraint de bâcler la fin avec une scène finale sans chute et sans intérêt et qui donc empêche tout sentiment d’accomplissement.
Les lendemains difficiles de Jeans Tonic rebaptisé n’importe comment
L’insuccès a condamné Jeans Tonic à une carrière clandestine en VHS, d’abord sous son vrai titre, puis, en 1987, sous celui de Jeans, basket et Coca-Cola. La même année, pour éponger des dettes de production persistantes, Michel Patient obtient de Raymond Danon l’autorisation de pouvoir réexploiter la comédie en province sous un autre titre et chez un distributeur tiers, en l’occurrence On drague les profs? chez le tout petit Elysée Films. Le résultat fut encore plus anecdotique.
Michel Patient, qui a bifurqué par la suite avec succès dans la pub, puis dans le documentaire, devra accepter de voir son film tomber dans l’oubli pendant de longues années, puisqu’il lui faudra attendre 2010 pour que sa première œuvre réapparaisse dans une édition DVD, chez L.C.J Editions, pourvoyeur officiel de nanars sympathiques. Une édition pauvre en bonus, insuffisante pour un divertissement aussi rare qui méritait bien un approfondissement.
A l’image des autres ersatz de La Boum, L’été de nos 15 ans avec Michel Sardou, Surprise Party de Vadim, avec son propre rejeton, Christian Vadim, ou Les parents ne sont pas simples cette année, Jeans Tonic ne parlera qu’aux quelques adolescents qui auront croisé sa route accidentellement en 1984. On était de ceux-là. Toutefois, qu’on l’apprécie ou non, Jeans Tonic mérite de rester comme le témoignage d’une époque riche en électrons libres qui sortaient sans renfort médiatique, dans l’ignorance totale du public, avec des destins d’alternatives aux productions mainstream proprettes. Pour notre part, non seulement nous ne l’avons pas oublié, mais en plus nous vous proposons un dossier exclusif sur le cinéaste et monteur Michel Patient, dont les cinquante ans de carrière méritaient bien reconnaissance et célébration.
Dossier Michel Patient
Sorties de la semaine du 23 mai 1984
© 1984 Acta Production – Lira Eléphant / Affiche : Berry. Tous droits réservés.