Cette reconstitution de l’affaire Dreyfus dépasse la simple illustration historique et constitue un film passionnant de par son traitement sous la forme de thriller d’espionnage. J’accuse brille par une mise en scène à la fois sobre et incisive.
Synopsis : Pendant les douze années qu’elle dura, l’affaire Dreyfus déchira la France, provoquant un véritable séisme dans le monde entier.
Dans cet immense scandale, le plus grand sans doute de la fin du XIXe siècle, se mêlent erreur judiciaire, déni de justice et antisémitisme. L’affaire est racontée du point de vue du colonel Picquart qui, une fois nommé à la tête du contre-espionnage, va découvrir que les preuves contre le capitaine Alfred Dreyfus avaient été fabriquées.
À partir de cet instant et au péril de sa carrière puis de sa vie, il n’aura de cesse d’identifier les vrais coupables et de réhabiliter Alfred Dreyfus.
Une reconstitution historique intelligente et distancée
Critique : J’accuse s’inscrit en apparence dans la veine classique du cinéma de Polanski, trouvant d’évidentes similitudes avec Le Pianiste (2002) : le cadre historique balisé et la reconstitution soignée sont au service du récit d’une injustice dont est victime un juif ; aux vicissitudes du musicien polonais persécuté par les nazis fait ici écho la souffrance du capitaine Alfred Dreyfus, condamné pour haute trahison par un tribunal militaire alors qu’il n’est coupable de rien. Le souffle romanesque et lyrique du Pianiste fait place à un traitement plus sobre et distancé, même si J’accuse assume son matériau historique. Le film bénéficie à cet égard de l’admirable travail de coscénariste de Robert Harris (qui avait déjà collaboré avec Polanski pour The Ghost Writer, 2010), auteur d’un livre axé autour du colonel Picquart, dont le métrage adopte également le point de vue. Cet officier en apparence conventionnel (et antisémite à la base) privilégie ses valeurs morales et d’intégrité pour mettre en lumière la vérité autour d’une erreur judiciaire flagrante, quitte à jouer avec sa carrière militaire et sa propre liberté.
Transcendant les pièges du film à costumes pédagogique et démonstratif, Roman Polanski donne à l’œuvre l’aspect d’un thriller avec énigme policière, teinté d’espionnage et de mystère, avec complots sournois dans des couloirs de ministères, arrestations arbitraires, rendez-vous discrets dans des églises ou des musées… On est plus proche du traitement feuilletonnesque à la Feuillade que de la superproduction culturelle, et l’absurde des situations (pourtant basées sur des faits réels) ravive le souvenir des cauchemars vécus par la jeune femme enceinte dans Rosemary’s Baby (1968) ou le nouvel occupant de l’appartement dans Le Locataire (1976). Cette approche intelligente et ce recul font le prix du film de Polanski, au-delà du minutieux travail de documentation historique.
J’accuse est tout simplement l’un des meilleurs films d’un cinéaste majeur
Le film n’en demeure pas moins passionnant dans sa réflexion autour de la stigmatisation de communautés ethniques et religieuses, ou d’individus victimes d’acharnement judiciaire. Polanski a ainsi déclaré dans le dossier de presse : « Le spectateur mène l’enquête avec Picquart, et c’est grâce à cela que nous avons pu la filmer d’une manière subjective. Alors de nous jours, il serait impossible d’avoir une affaire où quelqu’un se fait condamner sur la foi d’une expertise graphologique foireuse. Et certainement pas dans l’armée, car l’esprit de l’armée a changé. Son côté intouchable a disparu. Aujourd’hui, nous avons le droit de tout critiquer, l’armée comprise, alors qu’à l’époque, elle disposait d’un pouvoir sans limites ! Mais une autre affaire – certainement. Il y a tout ce qu’il faut pour cela : des accusations mensongères, des procédures juridiques pourries, des magistrats corrompus, et surtout des réseaux sociaux qui condamnent et exécutent sans procès équitable et sans appel ». Et même si Polanski s’en défend, son film peut être perçu comme une catharsis, compte tenu des accusations récurrentes formulées à son égard.
Initialement prévu pour être tourné en langue anglaise, J’accuse a finalement été réalisé avec des acteurs français, et la distribution est sans failles. Jean Dujardin est un Picquart grandiose, Louis Garrel un Dreyfus plus que crédible, et les seconds rôles sont tous parfaits, de Grégory Gadebois en odieux commandant Henry à Mathieu Amalric en graphologue à l’ouest, en passant par une flopée de sociétaires de la Comédie-Française (Hervé Pierre, Didier Sandre…) qui peuvent tout jouer. J’accuse est donc une œuvre majeure de Polanski, tout autant que l’un des meilleurs films sur ce sujet, surpassant les académiques La Vie d’Emile Zola (1937) de William Dieterle et L’Affaire Dreyfus (1958) de José Ferrer. Cette réussite incontestable n’a pas volé le Lion d’argent obtenu à la Mostra de Venise 2019.
Critique de Gérard Crespo
Les sorties de la semaine du 13 novembre 2019
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