Comédie d’espionnage volontairement kitsch, Frisson ? est une œuvre délirante qui en profite pour dénoncer les travers de la société philippine. Comme un air de The Rocky Horror Picture Show.
Synopsis : À son retour du Japon, Johnny ignore qu’il a entre ses mains une mystérieuse cassette audio qui va le mettre en danger. Pourchassés par deux gangsters qui entendent récupérer le précieux objet, Johnny et ses amis Nonong, Nancy et Mélanie tentent de leur échapper, mais c’était sans compter sur Madame Lily et ses acolytes chinois qui ajoutent au chaos de la situation…
Mike De Leon investit le cinéma commercial philippin
Critique : Alors qu’il aspirait initialement à développer un univers personnel très proche de celui d’un réalisateur comme Michelangelo Antonioni, Mike De Leon a été confronté au cuisant échec commercial de son premier long métrage, l’intrigant Les rites de mai (1976). Après avoir tourné une comédie romantique un peu niaise (C’était un rêve, en 1977), mais qui a connu un grand succès aux Philippines, le cinéaste décide de continuer dans une voie plus commerciale avec une comédie musicale loufoque au titre original délirant Kakabakaba ka ba ? – Frisson ? en français.
Le but du réalisateur était de signer une comédie populaire fondée sur la stature des stars locales que sont alors Christopher De Leon, Charo Santos, Jay Ilagan et dans une moindre mesure Sandy Andolong. Débutant comme une comédie d’espionnage assez burlesque, Frisson ? semble se lover initialement dans un style de comédie populaire de situation comme pouvaient l’être chez nous les œuvres de Claude Zidi ou d’Yves Robert avec Pierre Richard (on pense notamment au Grand blond avec une chaussure noire).
Au départ, une parodie d’espionnage façon Hitchcock
Ainsi, le métrage parodie volontairement les intrigues des films d’espionnage d’Alfred Hitchcock, en mettant en place un MacGuffin (un objet qui sert de prétexte au développement du scénario, ici une mystérieuse cassette audio dont on ignore le contenu). Un yakuza maladroit et incompétent dissimule cette cassette dans la poche d’un passager philippin, afin que celui-ci franchisse sans encombre la douane. Toutefois, la récupération du fameux sésame va s’avérer plus complexe que prévu. A mesure que se déroulent les bobines, l’affaire se complexifie, mettant notamment en présence des espions chinois, japonais, mais aussi une mystérieuse secte de faux religieux.
© 2023 Carlotta Films. Tous droits réservés.
Durant la première heure, Mike De Leon prend le temps de développer son intrigue à base de quiproquos et de situations improbables. Si l’ensemble demeure amusant, on ne peut pas dire qu’il multiplie les gags. Visiblement amoureux d’un humour absurde, Mike De Leon tombe parfois dans la caricature facile en se moquant des Chinois et de la rigueur des Japonais, ainsi que de leur sentiment de supériorité vis-à-vis des Philippins.
Une dernière demi-heure délirante et culte
Toutefois, cette légère indolence du rythme se trouve totalement oubliée lors de la dernière partie du film qui se déroule dans une communauté religieuse bien particulière. Dès lors, Mike De Leon se lâche totalement et livre trente minutes totalement délirantes et excessives qui font leur petit effet. A mi-chemin entre le cinéma excessif des premiers pas d’Almodovar, mais aussi du Rocky Horror Picture Show (Jim Sharman, 1975) auquel on pense inévitablement, Frisson ? révèle enfin sa véritable nature de divertissement dingue et décomplexé.
Le cinéaste se permet alors de plonger pleinement dans la comédie musicale kitsch, à base de rock asiatique. Mais surtout, il se moque de manière plutôt audacieuse de la religion catholique, avec notamment une super-hostie qui vise à contrôler les esprits faibles et une mère supérieure opulente qui entonne des chants profanes en bas résille – on saluera la prestation de l’actrice et chanteuse Nanette Inventor qui nous as bien fait rire.
Derrière le rire, une certaine contestation politique
Une fois la nature du complot révélée, Frisson ? prend tout de même des atours plus politiques, puisque Mike De Leon en profite pour dénoncer l’influence néfaste de la religion sur les masses laborieuses. En se moquant ouvertement des Japonais et des Chinois, il dénonce également la mainmise des grands groupes étrangers sur la main d’œuvre philippine, toujours sous-payée, tandis que les firmes s’engraissent sur leur dos. Dès lors, derrière ses habits de comédie délurée, Frisson ? se révèle être un véritable pamphlet politique, nettement plus intéressant que ce qu’il paraît de prime abord.
A cela, il faut ajouter une réalisation de bonne tenue, des musiques kitsch mais entraînantes et des acteurs qui jouent à fond la carte de l’autodérision, avec un bonheur communicatif. Frisson ? n’est sorti que très tardivement en salles en France en 1998, au cinéma Latina de Paris. Il a fallu attendre 2023 pour que le métrage intègre le prestigieux coffret édité par Carlotta à propos de l’œuvre du réalisateur Mike De Leon. Si la comédie n’est apparemment pas le titre le plus vendeur du coffret, elle se révèle une bonne surprise, aussi divertissante que bis.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 10 juin 1998
Acheter le coffret blu-ray Mike De Leon
© 1980 LVN Pictures. Tous droits réservés.
Biographies +
Mike De Leon, Charo Santos-Concio, Christopher De Leon, Jay Ilagan, Sandy Andolong
Mots clés
Cinéma philippin, Comédie musicale, La drogue au cinéma, Les sectes au cinéma, Parodie d’espionnage