Bluette insignifiante coincée entre Bollywood et le film d’auteur à la française, C’était un rêve peut séduire ou ennuyer selon votre degré de tolérance envers les romances sucrées. Diabétiques s’abstenir !
Synopsis : Joey, un jeune homme insouciant, a quitté Manille où vit sa famille aisée pour étudier à Baguio. Là, il rencontre Ana, une jeune femme également originaire de la capitale, qui va le bouleverser…
Une romance conçue pour cartonner aux Philippines
Critique : Après avoir tenté de réactiver le studio familial LVN Pictures grâce à son premier film, le très ambitieux et réussi Les rites de mai (Itim), Mike De Leon n’a toutefois pas rencontré le succès commercial avec cet essai à la lisière du cinéma gothique britannique et du film d’auteur à la Antonioni. Aussi, son père Manuel De Leon propose de lui financer son deuxième long-métrage s’il accepte d’abaisser quelque peu ses ambitions en tournant un drame sentimental à la mode Bollywood comme les Asiatiques en raffolent.
Conscient des enjeux commerciaux pour la firme familiale, Mike De Leon et Rey Santayana se lancent donc dans l’écriture de C’était un rêve (1977) qui est clairement conçu pour plaire à un large public, même si Mike De Leon va y insérer son goût pour un cinéma d’auteur un peu plus raffiné. Pour être certain de mettre toutes les chances de son côté, le producteur embauche deux grandes vedettes du cinéma local qui ont percé grâce au cinéaste Lino Brocka. Ainsi, il confie le rôle du jeune étudiant à Christopher De Leon (aucun lien de parenté avec la famille du réalisateur) et il l’associe à Hilda Koronel qui l’a déjà croisé sur Tinimbang ka ngunit kulang (Lino Brocka, 1974). En Occident, on connaît mieux l’actrice pour nous avoir ému dans le chef d’œuvre Manille (1975), toujours de Lino Brocka.
Un duo de stars attachant
Ce recours au star-système philippin était un bon moyen pour s’assurer un beau succès public, mais permettait aussi de s’assurer la participation d’excellents acteurs déjà aguerris devant la caméra. Et de fait, l’interprétation du duo est de loin l’élément le plus satisfaisant d’un film qui n’a pas grand-chose pour séduire le public occidental que nous sommes.
Certes, le réalisateur tente bien de tirer sa bluette vers le cinéma d’auteur français – on pense dans les meilleurs moments aux aventures sentimentales d’un Antoine Doinel – mais l’ensemble demeure noyé dans un sentimentalisme qui peut rapidement indisposer. Ici, c’est bien la barrière culturelle qui nous sépare d’une œuvre formellement maîtrisée et à laquelle on ne peut pas reprocher grand-chose, si ce n’est son allure affreusement désuète. La partition musicale très kitsch qui oscille entre pop, folk et surtout le pire de ce que les Asiatiques sont capables de produire nous ramène régulièrement sur terre, nous empêchant de pleinement adhérer à cette histoire d’adultère assez insignifiante.
Des thèmes osés dans un contexte local marqué par le poids de la religion
Bien entendu, l’intrigue sentimentale ose aborder de plein fouet une thématique mal vue aux Philippines, à savoir celle de l’adultère. Le réalisateur prend clairement fait et cause pour son duo de protagonistes qui tombe amoureux, alors que la fille plus âgée est déjà mariée. Le cinéaste aborde ici de manière audacieuse le point de vue d’une femme et mère de famille qui ne se réalise pas au foyer et qui ne peut se résoudre à n’être qu’un meuble au sein d’une maison où son mari l’abandonne. Pourtant, C’était un rêve n’est pas non plus un brûlot sociétal incendiaire qui viserait à bouleverser l’ordre moral. Avant de fauter, les deux tourtereaux vont prier à l’église du coin et la bluette ne pourra pas se terminer de manière positive. La morale sera donc sauve.
Jamais désagréable à suivre, mais pas franchement passionnant non plus, C’était un rêve n’a donc pas un grand intérêt pour le cinéphile contemporain si ce n’est de découvrir le type de divertissement qui plaisait aux Philippins de la fin des années 70. On peut également voir le drame sentimental comme une étape nécessaire de la carrière de Mike De Leon afin de se crédibiliser auprès des investisseurs puisque le métrage a connu un joli succès, porté notamment par ses deux stars locales.
Un film dispensable au cœur d’un coffret passionnant
Bien entendu, un tel spectacle n’a pas été exploité en France, si ce n’est lors d’une sortie-éclair au cinéma Latina durant la semaine du 30 novembre 1994 au cœur d’un cycle consacré au cinéma philippin. La même semaine, les cinéphiles ont pu déguster Croisements (Mike De Leon, 1984) et Dans tous les cas (Lino Brocka, 1991). Depuis, C’était un rêve a été inclus dans le très beau coffret blu-ray que l’éditeur Carlotta a consacré à Mike De Leon en 2023. Un indispensable, même si le drame romantique n’est pas le plus intéressant du lot.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 30 novembre 1994
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Mike De Leon, Hilda Koronel, Christopher De Leon
Mots clés
Cinéma philippin, Romance, Le couple au cinéma, L’adultère au cinéma, Le passage à l’âge adulte au cinéma