Premier long-métrage de Mike De Leon, Les rites de mai (Itim) suit les traces d’Antonioni pour explorer les ravages du patriarcat philippin des années 70. Exigeant et passionnant à la fois.
Synopsis : Jeune photographe installé à Manille, Jun décide de retourner dans sa ville natale afin de rendre visite à son père, un ancien médecin devenu paralysé après un accident de voiture. Durant son séjour, il effectue un reportage photo sur les rites locaux célébrés durant la Semaine sainte. À cette occasion, il fait la connaissance de la mystérieuse Teresa. Alors que les deux jeunes gens se lient d’amitié, celle-ci lui parle de sa sœur Rosa, récemment disparue, mais dont la présence ne cesse de la hanter…
Les rites de mai ou le renouveau du cinéma philippin
Critique : Au milieu des années 70, Mike De Leon est l’héritier d’une longue tradition familiale aux Philippines puisqu’il est le petit-fils de Narcisa de Leon qui fut l’une des fondatrices du célèbre studio LVN Pictures, tandis que son paternel n’est autre que Manuel De Leon, un producteur influent. Après avoir longuement hésité, Mike De Leon se lance finalement dans l’industrie du septième art avec pour but de réactiver une cinématographie moribonde depuis une bonne dizaine d’années. Ainsi, il fait ses armes en tant que directeur de la photographie sur Manille (Lino Brocka, 1975), un pur chef d’œuvre du nouveau cinéma philippin, puis se lance dans la réalisation avec deux courts qui l’encouragent à persévérer.
En toute indépendance, il choisit de réaliser son premier long-métrage avec des moyens limités. Ainsi, pour Les rites de mai dont le titre original est Itim (1976), Mike De Leon préfère s’entourer d’un casting frais qui n’a que peu été vu devant les caméras pour les rôles principaux. Il découvre notamment Charo Santos-Concio à qui il offre le premier rôle féminin, ignorant alors qu’il met le pied à l’étrier d’une actrice qui deviendra ensuite une grande dame des médias philippins et une productrice majeure. Face à elle, il propose à Tommy Abuel le rôle du jeune photographe qui va peu à peu découvrir les secrets personnels de son père. Il avait rencontré le jeune homme sur le tournage de Manille où il tenait un rôle secondaire. Le duo fonctionne plutôt bien à l’écran.
Mike De Leon ressuscite de vieilles gloires du cinéma philippin
Cependant, pour tenir les rôles des personnages âgés, Mike De Leon revient chercher quelques vieilles gloires du studio LVN Pictures à qui il offre une seconde chance. Ainsi, le père de famille qui cache un lourd secret est interprété par l’ancienne star Mario Montenegro. Il s’agissait ici de lui faire tenir un total contre-emploi puisque le comédien fut autrefois une vedette du film d’action, or son personnage est paralytique et plutôt négatif. Enfin, en vieille mère de famille accablée par la mort de sa fille préférée, Mike De Leon a casté Mona Lisa qui fut autrefois une enfant-star du cinéma philippin sous le pseudonyme de Fleur de Lis.
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Ces comédiens qui avaient disparu des écrans depuis un moment permettent d’assoir un peu plus la légitimité d’un cinéaste novice qui entend mettre à profit son passage par des écoles de cinéma allemandes pour exploser les critères habituels du septième art local. Très largement influencé par l’œuvre de Michelangelo Antonioni – notamment Blow Up (1966) et Profession : reporter (1975) – Mike De Leon fait de son protagoniste principal un photographe qui revient dans la maison familiale afin d’immortaliser les cérémonies de la Semaine Sainte. Durant son séjour, il fait la rencontre d’une jeune fille qui le fascine, tandis qu’il est confronté à des présences fantomatiques au cœur de son foyer où son père handicapé semble éprouvé par un remords insurmontable.
Itim, une œuvre lente et complexe dans le style d’Antonioni
A la fois film de fantôme et de possession, Les rites de mai (Itim) développe une atmosphère lourde fondée sur l’impression d’étouffement des personnages au cœur de leur propre domicile – le héros passe ainsi son temps à ouvrir les fenêtres comme pour mieux respirer. Toujours dans la suggestion, le cinéma de Mike De Leon ne se veut jamais littéral et préfère raconter son histoire par la collision d’images que par des longs discours. Ainsi, le rythme est uniformément lent, voire hypnotique, afin de traquer les moindres inflexions du décor. Il s’agit pour le réalisateur de révéler par l’image l’envers d’une réalité qui est toujours dissimulée. Il reprend ainsi une thématique chère à Antonioni.
Petit à petit, la vérité finira par émerger derrière la masse de mensonges et de non-dits. Au passage, la thématique abordée s’avère terriblement d’actualité puisque Les rites de mai critique de manière ouverte les méfaits du patriarcat, ainsi que l’omerta qui entoure depuis des siècles les outrages sexuels de certains hommes.
Une œuvre ambitieuse et rare que les cinéphiles exigeants doivent découvrir
Si la réalisation de Mike De Leon se cherche encore dans ce tout premier long-métrage, on note la volonté du réalisateur de trouver des angles originaux, d’avoir recours à des plans-séquence savants et ceci malgré la minceur du budget et des possibilités techniques offertes par les Philippines d’alors. Avec Les rites de mai (Itim), Mike De Leon s’affirme déjà comme un artiste désireux de livrer un spectacle à la fois accessible par son sujet plutôt commercial (un film de fantômes comme on les aime tant en Asie) et en même temps au contenu politique et sociétal ambitieux.
Primé dans plusieurs cérémonies asiatiques, Les rites de mai a été présenté en France tardivement lors du Festival des trois continents à Nantes en 1980 au cœur d’une sélection en section Panorama du cinéma philippin. Cela n’a pourtant pas permis au long-métrage d’être exploité en salles en France. En réalité, même si les cinéphiles les plus pointus connaissent Mike De Leon de nom depuis les années 80, il a fallu attendre les années 2020 pour que ses films soient enfin disponibles grâce à l’éditeur cinéphile Carlotta. Ainsi, Les rites de mai (Itim) est présent au sein du superbe coffret blu-ray contenant huit œuvres du réalisateur. Le tout est proposé dans une copie entièrement restaurée et validée par le cinéaste et son directeur de la photographie. Une belle découverte pour tous les cinéphiles désireux d’ouvrir leurs horizons cinématographiques.
Critique de Virgile Dumez
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Mike De Leon, Charo Santos-Concio, Tommy Abuel, Mario Montenegro, Mona Lisa
Mots clés
Cinéma philippin, La revanche des femmes, La violence faite aux femmes, Les fantômes au cinéma