Série B un peu timide sur le plan des meurtres, Fou à tuer vaut surtout le coup d’œil pour la prestation hallucinée de Klaus Kinski. Le reste est davantage anecdotique.
Synopsis : Fils d’un médecin nazi, Karl Gunther passe pour être le propriétaire aimable, protecteur et attentionné d’un immeuble où il ne loge que des jeunes femmes en quête urgente d’un toit. Rien à redire sur son comportement à l’égard de ses locataires. Des apparences trompeuses car, en réalité, il les espionne discrètement, puis les kidnappe et les torture. À la différence de ses autres victimes et bien décidée à ne pas figurer à son tableau de chasse, l’étudiante Lori Bancroft lui donne beaucoup plus de fil à retordre que les précédentes…
Un script écrit sur mesure pour Klaus Kinski
Critique : Au milieu des années 80, la firme Empire Pictures de Charles Band est au sommet au point que le producteur peut racheter les studios de Dino de Laurentiis situés près de Rome, et profiter ainsi de coûts de production moins élevés pour ses séries B. A la fin du tournage de Troll (Buechler, 1986), le producteur décide de réutiliser en urgence les décors construits à cette occasion pour y tourner un autre film maison. Charles Band commande alors un huis-clos au scénariste et réalisateur David Schmoeller avec qui il avait déjà travaillé sur Tourist Trap (Le piège) en 1979.
Ce dernier s’exécute très rapidement et livre l’histoire d’un rescapé du Vietnam traumatisé par des années de détention dans les geôles asiatiques et qui emprisonne des femmes dans son grenier, leur faisant subir les mêmes tortures qui lui ont été infligées. Ce premier traitement ne plaît pas à Charles Band qui réoriente l’histoire vers le cas d’un ancien criminel nazi, dès lors qu’il parvient à embaucher Klaus Kinski pour tenir le rôle principal. Schmoeller est donc prié de revoir sa copie en créant un personnage calqué sur la personnalité volcanique de la star.
Géographie mentale de la folie criminelle
Finalement, David Schmoeller fait du protagoniste le fils d’un ancien nazi qui subit l’influence de son éducation et devient ainsi un expert dans l’art de donner la mort. Fou à tuer entend donc revenir sur ce trauma de la Seconde Guerre mondiale et sur l’élimination des juifs de manière industrielle. Construit comme un huis-clos – on ne sort jamais de la maison qui sert de cadre à l’intrigue – Fou à tuer peut être vu comme une introspection du cerveau malade d’un homme obsédé par ce passé qui ne passe pas.
Les fameux conduits d’aération qui relient les appartements les uns aux autres dessinent ainsi une géographie mentale étrange et qui ne correspond à rien de réel. Même les quelques vues sur l’extérieur par les fenêtres dénoncent l’usage d’un décor artificiel bien visible. Mais cela importe peu puisque le long-métrage doit être vu comme une exploration volontairement fictive de la psyché désordonnée du personnage central. Les références qui viennent immédiatement à l’esprit sont aussi bien The Lodger (1927) d’Alfred Hitchcock et surtout Le voyeur (Powell, 1960). Malheureusement, le film de Schmoeller est bien loin d’égaler ces encombrants modèles.
Une œuvre fauchée qui fait un peu pitié sur le plan formel
Certes, le cinéaste a tout fait pour traiter son sujet de manière sérieuse, mais quelques dérapages bis viennent rappeler la nature profonde d’un tel projet. Pur film d’exploitation, Fou à tuer propose ainsi quelques séquences sexy déplacées et souffre clairement d’un manque de moyens pour se hisser au niveau des belles réussites des années 80. Malgré la contribution à la photographie de Sergio Salvati (les plus grands Fulci de L’enfer des zombies à Frayeurs en passant par L’au-delà), l’ensemble pâtit d’une image assez terne et sans aspérité. De même, les décors semblent parfois très cheap et ne permettent pas d’élever le niveau. Seule la musique de Pino Donaggio fait la différence grâce à un thème musical efficace, mais sous-employé.
Ensuite, on est en droit de regretter l’absence de scène de meurtre vraiment marquante. Schmoeller fait effectivement le choix de laisser la plupart des scènes chocs attendues en hors champ. On découvre généralement les cadavres sans avoir vu les meurtres, ce qui est plutôt frustrant dans un métrage à la durée déjà passablement rachitique. Finalement, heureusement que Klaus Kinski est là pour animer l’ensemble de sa présence follement charismatique. Comme à son habitude, la star a fait vivre un enfer à l’équipe de tournage, multipliant les coups d’éclat, les crises de démence et les violences contre le réalisateur et les techniciens. David Schmoeller a conté cette expérience traumatisante dans un court-métrage documentaire intitulé Please Kill Mr. Kinski en 1999.
Klaus Kinski porte le film sur ses épaules
Toutefois, il est important de signaler que sans la présence de Kinski au générique, personne n’aurait jamais parlé de cette série B assez quelconque. Le métrage prend une autre dimension dès que l’acteur apparaît à l’écran. Il bouffe littéralement la caméra et porte donc l’intégralité du film sur ses larges épaules. Fou à tuer ne serait tout bonnement rien sans lui.
Sorti en toute discrétion aux États-Unis au mois de mai 1986, Fou à tuer a ensuite bénéficié d’une sortie française au mois de novembre de la même année. Le résultat n’est guère probant avec seulement 26 122 Franciliens. Sur la France, le film échoue aux portes des 100 000 spectateurs. Toutefois, le film va ensuite connaître une carrière correcte en vidéo, avec notamment deux éditions en VHS en 1987, puis en 1990. Oublié pendant l’ère du DVD, Fou à tuer vient de reparaître dans un classique Mediabook chez Sidonis Calysta. La copie du blu-ray est tout à fait correcte, malgré les limites formelles du long-métrage et les explications d’Olivier Père en bonus sont tout à fait intéressantes, même si l’analyse du film à proprement parler pouvait être davantage fouillée.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
Fort du succès de Re-animator en 1986 qui, avec Freddy 3 en 1987, lui apportera un (bref) sursis lors de la crise du cinéma, le distributeur Eurogroup (Cannibal Holocaust, Education anglaise, Ilsa la tigresse du Goulag, Toxic), va réussir à imposer Fou à tuer, en pleine possession de ses moyens, dans 22 cinémas parisiens la semaine du 26 novembre 1986. C’est beaucoup par rapport au potentiel et à la réalité du film, mais pourtant l’estampille “Empire Entertainment” en 1986 évoquait le succès conséquent et inattendu de Re-animator. En 1987, Dolls les poupées et From Beyond profiteront également de l’engouement autour de cette société indépendante américaine créée par Charles Band.
Aussi, la semaine où Disney proposait son flop notoire, Basil détective privé, Eurogroup faisait de Fou à tuer la deuxième plus grosse sortie du moment avec 7 écrans de plus que Mauvais sang de Leos Carax (15 salles) ou Power les coulisses du pouvoir de Sidney Lumet, avec Richard Gere (12 écrans).
Le résultat ne sera pas inattendu. Klaus Kinski prend d’assaut la 12e place, avec 20 100 spectateurs. Un score tiède. Le film générationnel Mauvais sang de Leos Carax, lui, en réalise 38 000 entrées… Il n’y a pas photo. La nouvelle vague est arrivée. De façon assez piteuse, Fou à tuer est à peine à 2 positions et 5 000 entrées de … Jeunes femelles soumises et salopes qui entrait tranquillement en 14e place, avec près de 15 000 spectateurs qui jouissait de seulement 7 salles.
Fou à tuer bénéficiait en première semaine de 11 salles en intra-muros et 11 cinémas en périphérie. Seuls 4 écrans parisiens seront au-dessus des 1 000 tickets vendus : l’UGC Ermitage, l’UGC Montparnasse, le Rex et le Paramount Opéra qui étaient implantés sur des zones favorables. Le George V, l’UGC Convention, les Forum Cinémas, l’UGC Gare de Lyon, les 3 Sécrétan, la Fauvette et les Images complétaient le tableau de chasse.
Pour sa deuxième semaine, Eurogroup perd 14 écrans, et sur Paris ne peut plus compter que sur l’UGC Montparnasse, le Rex, les Forum Cinémas, le Paramount Opéra et la Fauvette. Il figure également sur 3 écrans en périphérie. 6 022 spectateurs se précipiteront pour le voir pour cette ultime semaine de programmation, puisque le film ne tiendra que 15 jours sur PP.
La semaine où il quitte l’affiche, Le jour des morts vivants de George A. Romero investit les cinémas. Enfin un bon film d’horreur à se mettre sous la dent.
Box-office de Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 26 novembre 1986
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Klaus Kinski, Talia Balsam, Barbara Whinnery, David Schmoeller