Divisé en deux parties distinctes et inégales, Eloge de l’amour permet à Jean-Luc Godard de renouer avec un art plus accessible par sa thématique, mais toujours aussi singulier sur le plan formel. Pour public averti.
Synopsis : Les quatre moments clés des passions amoureuses : rencontre, attirance, séparation, retrouvailles. La voix off d’un narrateur-écrivain ponctue les histoires de trois couples aux trois âges de la vie. Ou ce qui coule dans nos veines : du sang et des sentiments.
Jean-Luc Godard réfléchit sur l’amour à tous les âges
Critique : Au cours des années 90, le cinéaste Jean-Luc Godard abandonne l’idée d’engager des stars comme il l’avait fait avec Johnny Hallyday pour Détective (1985), Alain Delon pour Nouvelle Vague (1990) ou encore Gérard Depardieu pour Hélas pour moi (1993). A nouveau isolé comme dans les années 70, il revient donc à un cinéma encore plus dépouillé avec For Ever Mozart (1996) et surtout Eloge de l’amour (2001). En réalité, l’auteur d’A bout de souffle (1960) expérimente les nouvelles possibilités offertes par les petites caméras digitales en ce début de siècle. Cela lui offre notamment l’opportunité de tourner à un moindre coût, tout en pouvant jouer avec le montage de manière plus aisée qu’autrefois.
En réalité, Eloge de l’amour offre une continuité par rapport à ses travaux précédents, tout en essayant de se conformer à une trame générale. Ici, le réalisateur suit les pas d’un artiste contemporain (Bruno Putzulu, correct) qui envisage de filmer l’amour entre trois couples d’âges différents. Si le protagoniste principal parvient à trouver aisément l’incarnation de l’amour naissant, ainsi que celle de l’âge mur, il paraît en difficulté pour définir ce qu’est l’amour entre deux adultes. D’ailleurs, il s’interroge dans le même temps sur ce qu’est un adulte et ne parvient pas à trouver de réponse convaincante.
Une belle première partie en noir et blanc
Durant cette première heure de film, Jean-Luc Godard tourne en noir et blanc au cœur de Paris. Ses plans serrés, généralement fixes, parviennent à capturer l’âme de la capitale. On apprécie notamment sa description du quartier latin, du boulevard Saint-Michel, ainsi que sa tendance à filmer les devantures des cinémas d’art et essai. Comme à son habitude, le récit est entrecoupé de panneaux indiquant le titre du film, tandis que les dialogues débordent de références littéraires et / ou cinématographiques. Ainsi, le cinéaste suisse cite les grands réalisateurs que sont Max Ophüls ou encore John Ford, tout en faisant sienne les théories de Robert Bresson, et notamment cette idée qu’il faut épurer au maximum la mise en scène pour atteindre à l’art.
Et de fait, par l’usage répété de morceaux de musique classique à tonalité mélancolique, Jean-Luc Godard parvient à émouvoir le spectateur à plusieurs reprises, notamment lorsqu’il fait référence à l’histoire trouble de l’Occupation. Il cherche aussi à décrypter l’esprit de résistance au sein d’une population ou de chaque individu. D’ailleurs, ce sujet prend plus d’ampleur dans la dernière demi-heure du film qui s’éloigne fortement de la première.
Éloge de l’amour prend des couleurs en DV
La césure intervient à plusieurs niveaux. Tout d’abord, sur le plan esthétique, Eloge de l’amour passe à la couleur. Cette rupture est rendue d’autant plus abrupte qu’elle est saturée par une image DV (pour Digital Vidéo) encore très expérimentale à l’époque. Le résultat est passablement laid, même si Jean-Luc Godard a tenté de pallier ce défaut en saturant ses images au maximum afin de les rendre les plus artificielles possible. Ensuite, d’un point de vue narratif, le long métrage inverse les habitudes du spectateur puisque les événements en couleurs se déroulent deux ans en amont par rapport à la première partie. Enfin, la Bretagne se substitue à Paris, entrainant une rupture géographique abrupte.
A ce moment-là, l’artiste souhaitait surtout mettre en avant l’esprit de résistance par le témoignage de personnes ayant vécues la Seconde Guerre mondiale. Dans cette partie plus inégale, Jean-Luc Godard s’en prend de manière très directe au peuple américain qu’il accuse de tout acheter. Lui qui fut autrefois défenseur du cinéma de l’âge d’or hollywoodien se paye la tête de Steven Spielberg qu’il accuse d’avoir exploité le thème de la Shoah pour sa Liste de Schindler (1993). Dans ce procès d’intention, Jean-Luc Godard ne fait pas preuve de nuance et se trompe finalement de cible. Il pouvait parfaitement dénoncer la mainmise hollywoodienne sur le cinéma mondial sans attaquer la bonne foi de Steven Spielberg. On trouve par exemple plus pertinente sa diatribe contre Matrix.
Dans ce passage où Godard défend une conception élitiste du cinéma contre sa version populaire, le cinéaste apparaît surtout sous son dehors le moins intéressant, à savoir celui d’un vieux ronchon. On le préfère largement lorsqu’il approfondit son art du montage, qu’il pratique l’art des rimes visuelles et auditives, ou encore lorsqu’il livre ses réflexions sur la vieillesse, le temps qui passe ou le rôle de la mémoire. Durant ces moments précis, il atteint véritablement le statut d’artiste plein et entier, là où son aspect pamphlétaire le rabaisse au rang de vieil anarchiste râleur.
Une sortie réussie et portée par le Festival de Cannes
Sorti par ARP sélection le 16 mai 2001 au lendemain de sa présentation au sein de la compétition officielle du Festival de Cannes (d’où il est reparti bredouille), Eloge de l’amour a bien profité de son exposition cannoise et de ses critiques positives dans la presse spécialisée. Effectivement, le film a suscité la curiosité du public, notamment dans ses huit salles parisiennes, où il a démarré à 11 999 cinéphiles pour ses sept premiers jours.
Malgré le caractère hermétique du programme, la chute est contenue en deuxième semaine avec 7 048 retardataires. Mais Eloge de l’amour s’est construit une belle petite réputation sur la durée et est parvenu à mobiliser un public de fidèles pendant plusieurs semaines au point de terminer avec 41 758 fidèles au compteur. Sur la France entière, le chiffre grimpe à 77 819 curieux. Un résultat plutôt satisfaisant compte tenu du budget serré du métrage.
Par la suite, le film a été proposé en DVD dans une édition couplée avec Notre musique (2004). L’éditeur Why Not Productions a initialement sorti cette galette en 2007, avant de la rééditer en 2013. Désormais, le long métrage estampillé StudioCanal est disponible sur la plateforme Canal +. L’occasion de redécouvrir cet OVNI filmique qui s’insère parfaitement dans la filmographie exigeante d’un auteur intransigeant.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 16 mai 2001
Acheter le DVD du film
Voir le film en VOD
Biographies +
Jean-Luc Godard, Ludovic Berthillot, Jean-Henri Roger, Bruno Putzulu, Cécile Camp
Mots clés
Cinéma suisse, Œuvres expérimentales, Les histoires incompréhensibles au cinéma, Paris la nuit, Paris au cinéma