Note des spectateurs :

Le Master of Horror Laurent Melki a répondu aux questions du fan que je suis pour une interview fleuve. Celui qui a illustré Brian De Palma, David Cronenberg, George A. Romero, a bercé les fantasmes des amateurs de cinéma de genre et les miens depuis 1983. Retour sur un entretien passionnant né en 2017.

Qui est Laurent Melki ?


Foutu dehors par les parisianistes, pour qui il était «  trop vulgaire, trop connoté VHS, cinéma de genre…  », et pour lesquels il n’avait pas la bonne étiquette, Laurent Melki d’Avignon assume la popularité de son œuvre, victime du clivage art populaire contre intelligentsia. Le Monsieur l’assume, avec jovialité, car après tout son boulot a marqué deux générations et demie, et aujourd’hui son statut culte est indéniable, auprès des amoureux du cinéma de genre des années 80, évidemment, mais également auprès d’une nouvelle génération qui apprend à connaître son travail.


Melki, interviewé pour Vice, exposé dans une galerie hype ultra branchée de Strasbourg en septembre 2017, vit bien son revival. Il était même mentionné sur le Monde.fr au sujet du festival du film Fantastique de Strasbourg, cette année-là, et Arte s’est fendu d’un reportage. Durant l’été 2018, l’Ecran Fantastique lui a consacré une magnifique interview pour son numéro estival. Evidemment l’illustrateur fétiche des amateurs de cinéma bis des années 80 ne cesse de recouvrir les murs parisiens de ses affiches spectaculaires pour le Cirque d’hiver et Bouglione dont il assure une promo visuelle hors du temps. Les rappeurs fans de zombies lui commandent des pochettes (l’excellent travail sur l’album de Mr. Zombi, Cadaverous, un must en LP). Melki est omniprésent.

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Crédit Laurent Melki – Tous droits réservés.

C’est donc le retour en grâce d’un roi de l’illustration, un bosseur acharné qui, avec un sens du visuel explosif, et son goût pour les typos spectaculaires, enchaînait les contrats pour le grand et le petit écran. Il a bossé en France pour des films de Cronenberg, Romero, Bava, la série des Freddy, a fait des Unes dessinées avec des reproductions de Johnny Hallyday, Mylène Farmer, Stallone, ou Madonna. Il était partout.


Grand rêveur devant l’éternel, à l’imaginaire qui dépasse la réalité, il avoue ne pas avoir vu la moitié des films sur lesquels il travaillait tant il œuvrait. Son but ? Transcender de son talent les obscures séries B qu’on lui livrait, avec quelques photos pour seul socle à son travail.

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Crédit Laurent Melki – Tous droits réservés.

Melki et les années 90

Dans les années 90, forcément, ce type de cinéma et d’exploitation commence à rentrer dans les musées et le désaveu progressif des éditeurs pour les illustrations dessinées ou peintes l’oblige à trouver de nouvelles pistes. Cette décennie, en salle comme en vidéo, instaurera le montage photo numérique comme unique forme d’affiche ou de jaquette promotionnelles, reléguant les grands noms du genre (Landi, Mascii & Co) au Panthéon du cinéma. Melki nous manquera même si les couvertures de magazines se feront plus nombreuses. Son contrat avec Bouglione et le Cirque d’hiver, des spectacles avec quelques visuels cultes (celui de Laurent Gerra en Lucky Luke), lui permettront de tourner la page sans trahir ses origines et son sens du spectaculaire.

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Crédit Laurent Melki – Tous droits réservés.

L’interview monstre :


J’ai pu rencontrer Melki à son domicile, en août 2017, pour une interview fleuve, plus de 2 heures 30 où l’artiste, toujours juvénile d’apparence, amical et ouvert sur son œuvre, a su revenir sur son impressionnante carrière où, un moment donné, selon lui, l’affiche devait survivre au film… “Le film peut être oublié, pas l’affiche…”, aime-t-il déclarer. En 2018, à l’heure des vignettes photos minuscules qui accompagnent le catalogue Netflix, l’on peut encore se demander si l’affiche a toujours cette importance aux yeux des plus jeunes qui baignent dans un monde visuel proéminent et qui ne sont pas enclin à collectionner l’objet physique.


A l’occasion de la sortie DVD et Blu-ray du documentaire Belmondo ou le goût du risque, dont la jaquette reprend une splendide illustration exclusive de Melki, il est temps de revenir sur cette rencontre, celle d’un fan-collectionneur à son idole, qui s’est soldé malheureusement par la disparition du document audio original à la suite d’un gros loupé informatique, quelques semaines plus tard. Reste quelques questions miraculeusement échappées à la disparition, sur un cloud office, lorsque j’avais commencé à m’atteler au travail.
Bonne lecture.

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Copyright Laurent Melki. / Archives, collection de VHS de Frédéric Mignard

LE SITE OFFICIEL DE MELKI

Frédéric Mignard : Quand, môme, tu as commencé à dessiner tes trucs un peu macabres, comment ont réagi tes parents  ?

J’avais un père qui était économiste en banque, mais il était très intelligent et libertaire. Il m’a toujours fait confiance. Il a vu que j’avais un petit don pour la BD, car je faisais beaucoup de dessins humoristiques, un peu dans le style Franquin, donc il m’a inscrit à l’école du Louvre  ; j’ai fait aussi l’Ecole Supérieure d’art graphique. J’ai grimpé les échelons, j’ai eu ma petite thèse, le diplôme….
Bref, mon père allait dans mon sens, j’ai donc suivi cette carrière-là un peu grâce à lui. Quand j’avais 15 ans, j’allais au Festival International du Film de Paris en tant que spectateur. J’ai démarré vraiment à la genèse du festival, en allant voir les trois films d’affilée l’après-midi. C’était les frères Schlockoff qui organisaient. Entre chaque séance, on sortait, il y avait les petits stands, les fanzines, dont L’Ecran Fantastique (crée par Alain Schlockoff, ndlr), que je ne connaissais pas. Je feuilletais, il y avait plein de photos, notamment des films de la Hammer, avec Dracula. On dépliait et là il y avait le méga poster de 16 pages de films comme Vierges pour Dracula. A 19 ans, j’ai fait mes premières affiches.

Raconte-nous un peu comment tu travaillais alors.
J’ai alors une grande liberté dans mon travail, c’est un peu inhérent aux années 80, c’est un peu comme la libération sexuelle de la fin des années 60. Tout était possible. Comment je travaille  ?
Je fais une esquisse. A partir de cette esquisse, je la reproduis au crayon 2H, un crayon très fin, je dessine à la taille normale de l’original, puis après je peins sur le crayonné. Le crayon ne disparaît pas totalement, il est encore là sur les originaux.

Beaucoup t’associent au début des années 80, à l’ère fascinante de la VHS qui révolutionnait tout…
C’est l’essor de la vidéo, en 1980, avec la possibilité de voir chacun chez soi, à l’heure que tu veux, le film que tu désires, et il est toi. Un truc de fou alors qu’on avait trois chaînes, avec Guy Lux et encore le souvenir du noir et blanc, c’était effectivement la révolution  !

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Crédit Laurent Melki – Tous droits réservés.

Oui, et cela permettait de redécouvrir des films que l’on ne pensait plus jamais revoir. Les jaquettes criardes vendaient du neuf et, quand nous, jeunes, on découvrait la réalité de ces films, on se retrouvait face à des films datés qui avaient été vendus avec le design frais des années 80… On était un peu déçus.
C’est vrai, il y a des films que je ne voulais pas voir, ils m’envoyaient les photos…. La Baie Sanglante, Mario Bava, respect.  Je l’ai vu en accéléré… Cela ne se dit pas. Je préfère Dario Argento, plus fort visuellement et allégoriquement, il allait beaucoup plus loin. J’ai eu pas mal de chance  ! La Baie sanglante est ressorti en salle avec mon visuel, un film de 71… Il y avait des amateurs. Moi, je tombais des nues. Je ne savais même pas que c’était un film culte  !

Tu avais un contrat exclusif avec Hollywood Vidéo  ?
Ah non, je pouvais travailler avec d’autres ; ils pouvaient travailler avec d’autres, mais ils le faisaient rarement. Ils m’ont donné ma chance, alors que j’étais encore à l’école. J’étais étudiant et mes premières affiches apparaissaient sur les murs de Paris en parallèle, comme Survivance, qui était conçu pour les salles et la VHS. C’était incroyable. L’essentiel des affiches que je concevais pour eux, c’était juste pour la vidéo, comme la jaquette de La Dernière maison sur la Gauche de Wes Craven.

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Crédit Laurent Melki – Tous droits réservés.

C’est dommage, car elle était magnifique celle-ci…
C’est gentil  ! Elle n’était pas mensongère, mais trop allégorique, trop onirique, trop belle… Moi, je ne suis pas SawHostel, tous ces films de tripailles.

C’est vrai qu’il y a peu de gore sur tes visuels. Mis à part peut-être Parasite, où débutait Demi Moore.
Oui (dubitatif, ndlr), mais ce n’est pas gore…

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Crédit Laurent Melki – Tous droits réservés.

L’idée du visuel de Mais qu’avez-vous fait à Solange ?, elle est quand même hardcore.
Oui, mais je suis super sobre et super symbolique. Avant, je faisais dans la symbolique.

Tu t’imposais des limites  ?
Bien sûr. C’était les limites de mon cerveau et de ma bienséance, parce que je n’aimais pas ces films-là, je les trouvais vulgaires. En me battant, j’ai montré que ce n’était pas vulgaire, vu que mon travail perdure, c’est un peu une victoire… Sinon, si l’on trouve mon travail vulgaire, on peut dire alors que tous les films de genre le sont.
Le film de Wes Craven, c’est un truc d’une violence horrible, un truc de sadisme, de vengeance immonde, je ne cautionne pas du tout ces films-là. Vraiment, je n’aime pas. Je suis choqué par ça  !

Déjà quand tu étais jeune, cela te choquait  ?
Ben oui, moi j’aime quand c’est allégorique. C’est pour cela que mon maître, c’est Dario Argento. Pourtant tu as des coups de couteau dans le cœur qui bat (référence à Suspiria, ndlr)… Mais c’est filmé avec une maestria pas possible, des mouvements de caméra, des éclairages baroques, avec une musique des Goblin géniale… C’est un opéra rock  ! Mais quand c’est collé à la réalité, c’est dégueulasse, et donc je n’ai pas envie de le voir.

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(C) 2017 Melki Master of Horror

Mais quand tu bosses pour Hollywood Vidéo et Metropolitan FilmExport, tu es vraiment tout jeune, tu as vraiment toutes les libertés ou l’on t’impose ton boulot  ?
80, c’est pas loin de 75.
1975, c’était Chirac, Giscard, on sortait à peine du noir et blanc, du tout gris. Pas de liberté. Puis d’un coup t’as eu Mitterrand… Peu importe ce que c’est devenu, mais la jeunesse était pour Mitterrand. C’était la folie, le renouveau, tout était possible. Les années 80, c’était ça, la liberté et la créativité. Il était interdit d’interdire. J’ai fait des trucs hallucinants qui aujourd’hui passeraient par une commission de censure alors qu’à l’époque, je n’avais même pas fait d’esquisse pour Videodrome et Freddy. C’étaient des affiches américaines refaites pour le marché français. Ça ne se fait même plus. On n’a même plus le droit de toucher à cela.

C’étaient des distributeurs indépendants qui sortaient ces productions…
Ouais, c’était toujours les mêmes, en gros des boîtes comme Metropolitan FilmExport qui les sortaient pour le cinéma. J’avais toute latitude… Parfois je leur demandais, «  t’es sûr, on a les droits  ?  ». Les gars me répondaient, Vas-y, on s’en fout, éclate-toi…. Je disais mais ça va sortir en grand, en 4X3, et ils rétorquaient, ouais, ouais….

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Mais qu’elles étaient leurs consignes  ?
J’avais fait mes preuves, j’étais dans pas mal de vidéo-clubs, mon style se voyait bien, avec mes couleurs criardes… Tous les éditeurs se faisaient une guerre de position, car il fallait être vu. Il fallait que cela claque le plus. Et en même temps, ils frimaient. C’était à celui qui avait le meilleur film, la plus belle jaquette, la plus grande pub dans les magazines du style Vidéo 7

Magazine spécialisé dans les éditions VHS qui était énormément vendu à l’époque, et pour qui tu as fait je ne sais pas combien de couvertures…
Ah plein, oui…

Y compris les Vidéo 7 X ?(rires)
Ah ouais…
Et puis même pour d’autres presses, des trucs plus sérieux, comme L’Express, Le Point, VSD. Même Paris Match avec le Choc des photos… tu parles, je dessinais des accidents de la route avec des flics, je les ai dessinés car ils n’avaient pas la photo  !

Prenons Le Venin de la Peur, de Lucio Fulci, par exemple (édité chez Hollywood Vidéo, ndlr). Elle est à la fois visuellement sublime, mais aussi représentative d’un côté marchand brigand de l’époque, car la jaquette n’a rien à voir avec le film. Tu l’avais vu au moins celui-ci  ?
Ouais, mais je n’avais vu qu’une seule scène. Je vais te dire un secret, moi je dessine l’affiche d’un film que j’aurais aimé voir. Peu importe ce qui est là, je comprends bien le style du film que l’on me propose, c’est de la S.F., du polar, du giallo… Je vois où cela se passe et tout, mais le film quatre fois sur cinq, il est loupé, mais j’ai de l’empathie pour toute l’équipe et ce qu’ils ont voulu faire car les mecs qui font ça, ils y mettent deux ans de leur vie. Moi mon but, c’était de donner une chance au produit et de faire une affiche bigger than life que le film à la limite ne méritait même pas. En gros, je représentais le film tel que j’aurais aimé le voir s’il avait été fait avec de bons acteurs, par de grands réalisateurs… Certes, votre honneur, j’ai péché. J’ai fait «  défaut  », mais avec la meilleure intention.

Tu avais plus de pression quand tu devais travailler pour le cinéma  ? Tu étais mieux payé  ? Tu y passais plus de temps  ?
Oui et non. Je traitais chaque affiche comme une œuvre.

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Pour Frissons, parasites meurtriers, de Cronenberg, le distributeur n’a pas récupéré le visuel qui ornait la VHS d’Hollywood…
Ah ben non, tu imagines ça, en grand dans un cinéma  ? Survivance, je l’ai faite directement pour le cinéma, là ils me l’ont dit. C’est sorti après en vidéo.

Ta toute première affiche de cinéma…
C’était la baie sanglante

L’affiche qui t’a permis d’acquérir une certaine notoriété dans le milieu  ?
Tu sais, sur le moment, tu ne réalises pas. Je me rendais compte que je bossais sur des films majeurs avec Creepshow (1983) et Freddy (Freddy 3, 1987 ; Le Cauchemar de Freddy, 1988)… A l’époque j’étais estampillé épouvante…

Tu commençais à faire des couvertures de magazines également. Creepshow, c’était L’Ecran Fantastique… Pour Creepshow, Arts et Mélodies, le distributeur, avait fait une sacrée promotion.
Ah, ils avaient mis la gomme. C’était mon premier film en 4X3. Quand tu le vois la première fois, tu te prends une claque dans la tronche, surtout que, comme tu le dis, c’était une promotion monstre organisée par A&M. Ils avaient fait un catalogue de goodies… Pour la plupart des salles, il y avait une guérite avec un automate, il y avait des toiles d’araignées partout, de la musique, des fumigènes. Dans Paris j’ai vu mon affiche passer sur des camions… Cela se faisait à l’époque… Mais vraiment la 4X3, aujourd’hui, c’est 3 mètres sur 2.

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Mais alors quelles étaient les consignes sur l’affiche de Creepshow  ? Ils auraient pu récupérer le visuel américain qui était génial. (BD. Fox Independent, ndlr).
J’ai eu du pot  ! Le leur est bon, mais je pense que j’ai fait mieux. Pour celle-là, je pense que je me suis défoncé et j’ai trouvé, je pense, le bon truc. L’américaine était très verticale, très BD. J’ai récupéré d’ailleurs le motif de la BD. J’y ai inséré un clin d’œil à l’une de mes autres affiches, celle de Survivance dans une case, c’est un un autoportrait dans une autre, comme sur l’affiche de Freddy 3, d’ailleurs. Puis tout le reste est tiré du film…
Pour revenir à ta question, non, il n’y a pas eu de consignes, je n’ai même pas fait d’esquisse. Il y avait une vraie confiance entre le distributeur et moi, une confiance totale. J’ai vu le film et je leur ai dit, après la projo, moi le spectre, je vais le mettre en face, comme ça avec les mains (Melki mime la position du spectre, ndlr) et le gamin sur la bande-dessinée, et puis derrière, je vais mettre les vignettes du film. Car je veux montrer ce que l’on va voir au cinéma. Je veux faire plaisir aux gens et ce n’est pas une affiche blanche qui va faire pousser le schmilblick (référence évidente à l’affiche de Valérian et les 1000 planètes, de Luc Besson, que Melki ne digère pas, ndlr).

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Arts et Mélodie n’ont pas fait appel à toi pour l’affiche d’Evil Dead qui sortait quelques mois plus tard en salle. D’ailleurs même Hollywood Vidéo en VHS n’ont pas choisi l’une de tes illustrations.
Non, à la limite ils ont jugé que la photo du film était bonne et elle l’était. On l’a tous en tête. C’est vrai que j’aurais pu la redessiner mais ce n’est pas une question d’économie, car là c’était les années Tapie. Donc non, j’ai raté ça. J’ai raté House, mais là, l’affiche originale était déjà un dessin. C’était la mode des dessins.

Tu as dû réaliser une vingtaine d’affiches de cinéma, tu n’es pas un peu frustré de ne pas avoir pu en faire davantage contrairement à des gens comme Landi  ? Tu es arrivé à une époque où c’était un petit peu la fin du cinéma de genre.
Attends, mais bien sûr que si… Je suis arrivé à une époque où c’était le début de la découverte du cinéma indépendant…

Et l’avènement de la VHS. Il y avait une concurrence terrible au niveau des illustrateurs.
C’était affreux  ! La mode était à l’illustration. Donc Landi, il faisait des montages photos découpées, il se débrouillait. Par exemple Venin avec Klaus Kinski, la typo, il la découpait, il la collait, il faisait ça en 4 jours  ! Elle est bien, mais regarde pas le détail, c’est de l’aero…qui allait précipiter la fin de l’exploitation du cinéma de genre en salle.
Voilà, y avait des catalogues de films, dont j’ignorais l’existence, il y avait des connaisseurs qui les connaissaient. Il fallait séparer le bon grain de l’ivraie, mais au bout de dix ans, tous ces petits films qui ne sortaient qu’en vidéo, car ils ne pouvaient pas tenir la rampe au cinéma, même des vieux films reliftés par mes soins, ben il n’y en avait plus. Tous les catalogues avaient été épuisés. On changeait de jaquette pour faire croire que c’était de nouveaux films. La Baie sanglante est ressortie avec une autre jaquette, du même style, avec des éléments visuels pris d’une autre jaquette… tu vois un peu le travail. La manne s’est tarie et j’ai dû faire autre chose.

La typo, avec ce côté 3D, tu en étais l’auteur  ?
Ouais, toujours. Pour tous ces petits films là, sauf pour la caméra, la mise en scène et les acteurs, j’ai l’humilité de dire que je faisais à peu près tout  ! Je faisais les slogans  : «  suppliez-le pour qu’il vous tue d’abord.  », «  derrière la porte quelque chose vit  » pour Trauma, «  aux USA, 17 millions de personnes n’en dorment plus la nuit.  », pour Freddy 3. «  Il est déjà trop tard pour hurler  »… Là je suis dans mon élément, c’est grand-guignolesque, c’est punchy…. C’est comme Audiard…

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Crédit Laurent Melki – Tous droits réservés.

Tu étais une équipe de marketing à toi tout seul.
Voilà, mais aujourd’hui je ne tiens plus la rampe. Plus personne ne tient plus la rampe. Plus personne ne pourrait me faire confiance, sauf ceux qui m’ont connu à l’époque et qui sont un peu plus ouverts que les autres…

Mais alors la concurrence, les relations que vous entreteniez les uns avec les autres, à l’époque il y avait Renato Casaro,  Jean Mascii, Landi… Ils officiaient tous dans le cinéma de genre, tu arrivais là-dedans avec ta fraîcheur…
C’était une autre époque, ils avaient tellement de boulot et ils étaient tellement hype… Ils se réunissaient le vendredi au Friedland, une brasserie… J’y suis allé, j’avais vingt piges. Je venais de faire Creepshow et Videodrome, c’est tout. J’étais surtout estampillé M. Vidéo, pour toutes les jaquettes que j’avais faites. Et je commençais à mettre un orteil dans le monde du cinéma. Mais quand même on les avait vues ces deux affiches-là, en 3X4  ! Videodrome, elle n’est pas restée longtemps, mais Creepshow, on l’a bien vue  !

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Affiche Creepshow 1983 – Copyright Laurent Melki
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La promo massive de Creepshow – le Maxi 45 tours de The Creepshow Dance par Le Spectre

J’arrive puis je vois mes maîtres… Il y avait Landi, Mascii, Ferracci était mort,… en tout ils étaient quatre. J’arrive, «  je suis Laurent Melki  »…  «  ah oui, tu fais de la vidéo toi…  », «  Euh, ouais, j’ai fait quand même Creepshow…  », «  Ca va  ? »… J’étais un peu adoubé. Je m’installe, aussi à l’aise qu’un pingouin au Sahara. Puis, un moment, on mangeait, ils racontaient des anecdotes… ils en avaient plus que moi. Ils étaient quand même un peu intéressés par ce que j’avais à dire, car la vidéo, ils ne touchaient pas. La vidéo c’était un art mineur, ils me demandent, «  alors quel effet ça fait de voir son travail en plus petit  », ah les sadiques (en plaisantant). Donc je leur fais comprendre que c’est moins bien qu’en grand et que j’aimerais bien faire davantage d’affiches de cinéma. Alors, ils me répondent, «  tu sais, c’est pas facile  », ils essayaient bien de me casser les dents.

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© Laurent Melki. Tous droits réservés.

Et puis Mascii, il avait fait les Bebel, il faisait tous les Cannon… Moi je les ai dessinés, pas en affiche de film, mais en couverture, bon c’était mon maître, avec Casaro. Alors, je lui dis bon ben écoute, si tu en as trop, tu peux m’en passer une. Il me réponds «  ah non, les gens veulent du Mascii, pas du Melki.  ». Allez, prend ça dans la tête… Je lui dis, ouais… mais regarde la signature c’est la même, et c’est vrai, on a la même signature. On a fini le repas, on s’est quittés bons amis, puis, on ne s’est jamais revus. J’allais pas aller les squatter à leurs rendez-vous. Ils se connaissaient, c’étaient des potes. Ils avaient le même âge, j’avais 20 ans de moins. J’étais le petit jeune. Ils ont été sympas de m’accueillir quand même.

Extrait de l’affiche de Creepshow, illustrateur : Laurent Melki.

«  Le petit jeune  », il commençait quand même à bien travailler dans d’autres pays francophones, mais aussi par l’Allemagne et même le Royaume-Uni.
Pour les jaquettes, j’ai été approché dans les années 80 par Vestron. C’était une boîte anglaise, ils avaient une succursale à Paris, et j’ai bossé aussi directement pour l’Angleterre. Je ne peux pas te dire quelle boîte, j’envoyais les ekta là-bas, puis on s’est quittés car je me suis planté sur l’une d’entre elles, on m’imposait trop un type qui n’était pas dans mon style… La Folle journée de Ferris Bueller.

Par rapport aux Italiens, j’ai l’impression qu’on peut dresser un parallèle entre ton œuvre et celle d’Enzo Sciotti, dans le type de films sur lesquels vous bossiez à l’époque. Vous aviez tendance à traiter à peu près des mêmes films.
Oui, sauf que lui le faisait en Italie, pour les Italiens, avec une dextérité qui n’est pas loin de celle de Casaro, mais Casaro, c’est le niveau du dessus, c’est la perfection. C’est le Mascii italien, mon maître… Et la grande claque, c’est Rambo, là il a fait très fort, et en France en plus, on avait repris son visuel. J’ai été traumatisé par ça, dans le bon sens du terme. Je me souviens des lasers partout, résultat, je me suis mis à mettre des lasers partout. C’est devenu ma marque de fabrique, mais c’est vrai que j’ai été influencé par l’œuvre de ce grand bonhomme.

Fin des années 80, le cinéma de genre disparaît… Mais les illustrateurs, à force de survendre des nanars avec des visuels sublimes, je pense en particulier à la production transalpine, ne sont-ils pas un peu responsables de cette crise ?
Ecoute, moi j’en fais partie. Le navet transformé en citrouille géante… Je le dis souvent, mais c’est ça le but. Même les titres étaient foireux, donc il fallait trouver des titres pour les vendre, donc il fallait tout changer. Le ripolineur de cinéma, c’était moi, quoi.
Mes amis de toujours, Scherzo – ce sont eux qui m’ont présenté à Hollywood Vidéo, qui avait un magasin Export 2000, boulevard Barbes – , j’ai fait aussi leur logo pour qu’ils vendent mieux.

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T’es à l’origine du logo Scherzo  ?
American Video, Melissa… Pour Scherzo, j’avais choisi d’écrire en Vivaldi, car dans le métro j’avais été scotché par une 4X3 d’Inferno, d’Argento…

Comment es-tu arrivé chez Fil à Film  ? C’était davantage un éditeur axé sur les films de répertoire. Ils ont d’ailleurs réédité des films sur lesquels tu as déjà travaillé comme La Baie Sanglante. Et tu vas être amené à travailler sur la collection Belmondo, La Nuit des Morts Vivants… Donc Fil à Film et toi, ça se passe comment  ?
Ca se passe plutôt pas mal, on a même failli se rater. Le siège social était en Normandie, j’ai rendez-vous avec le boss, je l’attends, il n’est pas là. J’attends quatre heures, il arrive à la nuit tombée… Il m’avait complètement oublié  : «  ah ouais, ouais, je voulais te voir, viens dans mon bureau.  ». Je lui ai montré mon boulot et il trouve ça génial. Il me donne plein de films d’épouvante et comme c’était un bon pote de Lelouch, qui venait de faire Itinéraire d’un enfant gâté, un jour il me demande si ça me dirait de faire la collection Belmondo. Il voulait une unité, mais il voulait changer les visuels de salles, alors qu’à la base, il y avait déjà des affiches de cinéma fabuleuses. Les affiches de Belmondo étaient mythiques. Les illustrations étaient signées Mascii, Casaro… J’étais comme un môme face à son idole.

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Fin de l’interview :


Les heures ont passé et Melki a développé, puis épilogué. Ses influences, l’évolution de sa technique, l’utilisation du numérique, ses rapports avec la presse pour qui il travailla beaucoup, son statut dans le milieu du cinéma, et le graphisme aujourd’hui… L’occasion de revenir également sur les affiches de festivals, les couvertures pour des magazines spécialisés (Mad Movies…), les demandes de jaquettes et pochettes de disque par une nouvelle génération qui découvre son œuvre, mais aussi ses affiches de spectacles pour Bouglione, et autres. Il a déjà composé 17 visuels différents pour le Cirque d’Hiver Bouglione dont l’image semble aujourd’hui indissociable du style Melki, avec ces effets 3D qui semblent jaillir des séries B que l’on aimait tant.

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Les Parisiens ont tous déjà remarqué la patte féline de ces posters qui ornent régulièrement les panneaux d’affichages aux formats différents, chacun représentant une mise en scène graphique du monde du cirque, comme une invitation au rêve, au divertissement ultime, mais ce grand public ne connaît pas forcément le nom de l’artiste. Pourtant ce style, ils l’ont déjà repéré des dizaines de fois, à l’époque du show de Laurent Gerra, Laurent Gerra flingue la télé. C’était en 2005 et ce fut un vrai succès, avec des 4X3 partout dans le métro. Gageons que ces visuels deviendront à leur tour collectionnés à l’image de ceux des années 80 qui abreuvaient les vidéo-clubs d’univers flamboyants.

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2017-2018


Melki s’est aussi beaucoup épanché sur un projet auquel il tenait beaucoup, la jaquette pour un documentaire consacré à son idole, Jean-Paul Belmondo, qu’il a composé en hommage à la carrière du french actioner, en forme de superlatif. Belmondo ou le goût du risque sort justement en vidéo, avec un magnifique visuel collector. L’actualité colle une fois de plus à la carrière de ce maître d’un art qui ne veut pas céder, malgré les changements de modes précipités par le numérique, qu’il sait maîtriser par ailleurs. Oui, près de 40 ans après ses débuts, la glorieuse flamme de l’héroïque fantaisie de Melki brûle encore.
Pour les néophytes, son site internet a fait peau neuve et concentre une partie des visuels cultes qui ont fait sa réputation. Quant aux illustrations de cet article, elles sont issues de ma collection personnelle, à l’exception de l’affiche de l’exposition à l’Aedaen Gallery, Strasbourg, 2017, du logo de l’article, Frissons Parasite meurtriers, issu du site Films Fantastiques.Com, à l’occasion de la critique du film par Gilles Penso. Laurent Melki a fourni également de nombreux fichiers, comme l’impressionnante jaquette de Dr jekyll et les Femmes, film érotique expérimental de Walerian Borowczyk, sublimé par un visuel érotico-horrifique qui demeure l’un des fantasmes des clients des vidéo-clubs du début des années 80.

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Un reportage d’Arte