Les révoltés de l’an 2000 est une œuvre saisissante, dont la thématique forte et la réalisation magnétique suscitent malaise et fascination. Un chef-d’œuvre du cinéma de genre qui revêt un aspect prophétique en 2020 et donne finalement plus de sens à son titre français longtemps considéré comme absurde.
Synopsis : Un couple d’Anglais, Tom et Evelyn, débarque dans la station balnéaire de Benavis pendant les festivités d’été. Préférant fuir la foule, ils prévoient de partir le lendemain pour la petite île d’Almanzora. Dans ce lieu ignoré des touristes, les Anglais auront tout à loisir de se reposer pendant leurs deux semaines de vacances, en particulier Evelyn qui est enceinte. Mais à leur arrivée, ils découvrent un village totalement abandonné de ses habitants. Bientôt, des enfants au comportement étrange font leur apparition. Et s’ils avaient quelque chose à voir avec la disparition de la population adulte ?
Une œuvre passée inaperçue à sa sortie
Critique : Depuis sa sortie timorée en VHS au début des années 80 chez Iris, puis Platinium, Les révoltés de l’an 2000 est longtemps resté inaccessible en France en raison de la mort des magnétoscopes et du passage au DVD. Quelques diffusions lors de festivals avaient permis, toutefois, à une poignée de jeunes cinéphiles de se refaire une culture ibérique et d’alimenter la réputation sulfureuse de cette œuvre forte.
Beaucoup restaient encore dans l’attente de cette pièce maîtresse du cinéma fantastique des années 70. On les appellera les « révoltés de l’an 2000 », une génération frustrée dans l’attente de parution de raretés en DVD, à laquelle répondra Wild Side en 2008, dans la collection opportunément intitulée les Introuvables. Une première aubaine, mais frustrante, car le format blu-ray apparaissait alors, mais l’OVNI inhérent au cinéma dingue des années 70 se retrouvait exclusivement proposé en format SD.
La vraie belle restauration pour le public contemporain arrive donc en 2020, proposée par Carlotta en salle, en août 2020 et en blu-ray, le mois suivant. Beau boîtier Steelbook, pour les collectionneurs, dans le style de Cujo et du Crocodile de la mort, chez le même éditeur qui, à l’instar du Chat qui fume ou d’Artus, sait aussi exploiter les classiques du bis dans des collections carrées.
Il fallait au moins cela pour (re)découvrir ce bijou de l’épouvante que trop peu de Français ont eu l’occasion de découvrir en salle, en février 1977, lors de sa petite sortie par l’indépendant FFCM qui, la même année, en donnait une louche de plus en reversant dans l’enfance diabolique avec Une si gentille petite fille. A vrai dire, à peine 34 078 Parisiens avaient découvert ce film par hasard. En première semaine, la production espagnole n’entrait même pas dans le top 15 avec 15 022 spectateurs. Maigre consolation, il battait Sœurs de sang de Brian De Palma qui ouvrait le même jour avec 14 448 frérots. Ils feront tous deux autant d’entrées en fin de carrière sur Paname. Ironie de la programmation, Annie Girardot était numéro 1 du box-office local avec le mélo glauque et voyeur A chacun son enfer où elle se battait pour retrouver l’assassin de sa fille tué par son… fils.
Deux films, deux chefs-d’œuvre
Réalisé par un grand amateur de fantastique, surtout connu pour ses programmes télé (Historias para no dormir), Les révoltés de l’an 2000, que l’on peut classer dans l’anticipation nihiliste, a été conçu pas moins de sept ans après La résidence, la première incursion de Serrador au cinéma. Osons le dire, ces deux métrages, les deux seuls de son auteur sur le grand écran, sont des chefs-d’œuvres artistiques absolus, caractérisés par des thèmes forts, touchant à chaque fois à l’enfance, et une réalisation subtile parmi les plus belles de leur époque (impossible d’oublier les décors gothiques de La résidence, l’élégance de son montage et de ses plans-séquences). La résidence mériterait une restauration en France pour une édition blu-ray, mais pour des raisons de droit, le film se retrouve bloqué chez son éditeur, qui n’a pas touché à sa copie depuis des décennies.
Les révoltés de l’an 2000 est initialement, librement tiré d’un roman, El juego de los niños. Le cinéaste n’en a gardé que le thème des enfants tueurs. Influencé par La nuit des morts vivants pour le huis clos à l’aspect quasi documentaire et surtout Les oiseaux pour la mise en scène d’un quotidien en plein air qui se rebiffe, Serrador a transposé l’intrigue sur une île touristique écrasée par le poids d’une lumière crue, loin des décors lugubres de ce genre de production. L’intrigue diurne prend à contrepied toutes les formules pour imposer sa propre angoisse sous des traits insolites dans un cadre caliente que l’on n’attend pas.
Attention les enfants ne font pas que regarder
Si les mômes meurtriers étaient légion au cinéma dans les années 70, il faut revenir sur une décennie obsédée par l’enfance. La société post-68 réfléchissait sur un âge (englobons l’adolescence), en évoquant sa sexualité, sa perversité, sans faire montre de scrupules et de tabou. Inceste, éveil des sens, et cruauté de l’enfant, la bienveillance n’était pas de mise à l’égard des mioches qui devenaient des monstres comme les autres et des êtres sexués en devenir.
Toutefois, contrairement à L’exorciste, La malédiction, le shocker Attention les enfants regardent avec Alain Delon et même le très voisin Demain les mômes, film d’anticipation français sorti quelques mois auparavant, pour ne citer que quelques exemples, il est important de souligner que les gamins des Révoltés de l’an 2000 ne sont pas à proprement parler esquissés comme des êtres maléfiques et pervers. Ce ne sont pas « les méchants du film ».
Les révoltés de l’an 2000 un titre et une œuvre prophétique
Saisis par une démence collective, les enfants ont massacré tous les adultes de leur île dans un ultime jeu macabre. Le préambule de sept minutes au gré d’images choc se débarrasse de tout suspense autour des motivations des jeunes tueurs. Des images d’archives choc (camp de concentration, famine…) introduisent d’emblée les motivations inconscientes des meurtriers en herbe avec une remise en contexte historique que l’on peut qualifier d’originale. Narciso Ibáñez Serrador brosse le portrait d’une jeunesse victime d’un monde où les adultes sont ceux qui martyrisent les jeunes innocents à travers les guerres, civiles ou mondiales, et d’autres qui alimentent le réchauffement climatique…
La revanche des “petits” contre les “grands”
A l’image des plantes vengeresses de Phénomènes ou des oiseaux dans le célèbre thriller de Hitchcock, l’enfant a d’abord comme matrice universelle la terre et se retourne logiquement contre ceux qui l’assassinent pour mieux assurer la survie de l’espèce. Cette cruelle ironie biologique, sous-tendue par une tension fantastique (la contagion meurtrière se propage par la télépathie), a été vite taxée de communiste à l’époque (la révolte des « petits » sur « les grands » représente autant la dictature franquiste que le monde capitaliste et ses égarements. Ces différents niveaux de lecture en font une œuvre dense et passionnante.
Dans tous les cas, le titre français, qui a été très critiqué pendant plus de quatre décennies, prend tout son sens en 2020, alors que le fossé entre les générations (« ok boomer ! »), les manifestations de la jeunesse contre des adultes qui auraient agi égoïstement contre leurs propres intérêts et contre leur avenir et leur environnement, matérialisent l’idée d’une révolte de la génération des 2000.
Un survival féroce parmi les grands jalons dégénérés des années 70
Quid de l’efficacité en tant que film de genre ? Féroce, forcément. Les jeunes protagonistes s’attaquent en particulier, alors que (presque) tous les adultes de leur île ont été décimés, à un couple de touristes anglophones, fraîchement débarqué (symbole d’une mondialisation prédatrice ?). Le thriller horrifique, véritable survival en puissance, s’offre de nombreux moments de bravoure, soignés par l’ambiance chaude et pesante. La réalisation précise, la photographie élaborée, le jeu des deux protagonistes centraux au diapason, tout cela contribue à faire briller Les révoltés de l’an 2000 de tous ses feux. Alors que l’horreur des actes commis ou potentiellement en attente d’être commis, en font une œuvre parfois dure à regarder, on apprécie le rythme du film qui prend le temps d’instaurer un suspense solaire éblouissant.
Evitant le piège du gore, le cinéaste confine toute la barbarie au seul titre original ¿ Quien puede matar a un nino ? (« Qui est capable de tuer un enfant ? »). Au premier degré, ce titre est beaucoup plus en phase avec le scénario que le titre apocalyptique français, avec la mention vendeuse à l’époque de l’an 2000, tout à fait hors propos si on n’analyse pas le sous-texte par le prisme de notre époque post-2000. Le tabou de la perversion et de la violence chez les enfants, tour à tour tueurs ou tués, explose à l’écran, avec une subtilité de chaque plan. La fin grinçante, qui renvoie aussi à La nuit des morts vivants, est bâtie sur un crescendo dans la violence et se solde par un véritable jeu de massacre aux rebondissements terrifiants. Cette pierre angulaire du cinéma fantastique dérange, horrifie, passionne, et demeure en 2020, une œuvre d’une incroyable actualité.
Un cinéphile contemporain se doit de voir ou de posséder ce film dans sa DVDthèque et de le resituer dans ses époques (post-Vietnam d’un côté, de manifestations contre le dérèglement climatique de l’autre).