Film prototype du slasher, Black Christmas bénéficie d’une bonne ambiance et d’acteurs solides, mais le rythme est parfois languissant, tandis que le script multiplie les invraisemblances. Surcoté.
Synopsis : Pendant la période de Noël, dans une résidence étudiante de filles, quelques-unes des pensionnaires ne partent pas rejoindre leurs familles respectives pour les fêtes et restent sur place. Lors d’une soirée, de sordides appels téléphoniques anonymes troublent leur quiétude. Si elles préfèrent ne pas les prendre au sérieux dans un premier temps, une des leurs disparaît mystérieusement, et le corps d’une adolescente est retrouvée non loin de là par la police. Certaines des pensionnaires se mettent à la recherche de leur amie, mais pendant ce temps, dans la résidence, les cadavres s’empilent, et la police demeure extrêmement incompétente. Alors que les étranges coups de fil se poursuivent au beau milieu de ce remue-ménage, certaines des jeunes filles se retrouvent seules dans la résidence. Enfin, pas si seules que ça.
Un script maintes fois remanié
Critique : Au début des années 70, le scénariste Roy Moore s’inspire de plusieurs meurtres commis par le serial killer Wayne Boden à Montréal pour écrire un script intitulé The Babysitter, mais son script ne trouve pas preneur. Vers 1973, il décide d’envoyer à nouveau le scénario aux différentes maisons de production canadiennes et la petite firme Vision IV, tenue notamment par Bob Clark. Après une réécriture complète, le scénario devient Stop Me ! qui sera encore modifié pour devenir Black Christmas (1974).
Film Funding Ltd. of Canada,Vision IV,Canadian Film Development Corporation (CFDC) – sortie DVD : Wild Side Editions
Le script n’est d’ailleurs pas tombé entre de mauvaises mains puisque le cinéaste Bob Clark vient de se faire remarquer avec un excellent film d’horreur intitulé Le mort-vivant (1973), brillante métaphore de la guerre du Vietnam à l’ambiance étrange et morbide. Le réalisateur modifie plusieurs points du script en ajoutant une bonne dose d’humour dans la première partie – notamment par le personnage de la tenancière alcoolique de la sororité étudiante, largement inspiré par l’une des tantes du cinéaste et brillamment interprétée par Marian Waldman. Bob Clark insiste également pour faire du personnage principal féminin une jeune fille enceinte décidée à ne pas garder son enfant. Enfin, il opte pour un parti-pris radical qui consiste à ne jamais montrer à l’écran le tueur, et ceci jusqu’au bout du film.
Black Christmas, le premier slasher ?
Autant de partis-pris qui feront l’originalité de cette œuvre qui inaugure ainsi un nouveau sous-genre du thriller horrifique, à savoir le slasher. Nous sommes alors plusieurs années avant le Halloween de John Carpenter, mais soulignons que le film est réalisé quelques années après La baie sanglante (Bava, 1971) qui peut être considéré comme un autre proto-slasher. Tourné pour un budget minimal dans une véritable maison rendue inquiétante par la grâce des éclairages de Reginald H. Morris, Black Christmas bénéficie d’un casting de bonne tenue pour ce type de production.
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Ainsi, Bob Clark a réussi à embaucher Olivia Hussey qui sortait du succès de Roméo et Juliette (Zeffirelli, 1968) et qui n’avait pourtant aucune appétence pour l’horreur. Il a également obtenu le soutien de Keir Dullea (2001, l’odyssée de l’espace de Kubrick) et de John Saxon (Opération dragon face à Bruce Lee). Enfin, il sélectionne aussi Margot Kidder qui l’a convaincu dans l’excellent Sœurs de sang de Brian De Palma en 1972. Celle-ci est effectivement excellente dans le rôle de l’étudiante alcoolique, même si cela entre aujourd’hui tragiquement en résonnance avec son suicide à coups de barbituriques et d’alcool.
L’ennui s’invite parfois à la fête
Avec Black Christmas, Bob Clark fait donc le pari du minimalisme narratif puisque nous suivons l’élimination régulière d’étudiantes par un tueur dont on ne connaîtra ni les intentions, ni le passif, ni même le visage et encore moins l’identité. Le cinéaste table donc uniquement sur l’ambiance pour alimenter son œuvre, ainsi que sur quelques dialogues épicés et drolatiques. C’est un peu léger pour tenir sur la durée et même si sa réalisation est souvent inventive – notamment dans sa façon d’aborder la vue subjective de l’assassin à coups de grand angle – Bob Clark n’arrive pas toujours à maintenir la tension nécessaire à ce type de films. Autant dire que l’on s’ennuie parfois franchement devant l’absence de scénario vraiment structuré.
On peut également reprocher au long-métrage ses nombreuses invraisemblances. Comment le tueur parvient-il à joindre ses proies par téléphone depuis un grenier visiblement abandonné ? Pourquoi la police ne va pas vérifier le grenier en question alors qu’il s’agit du premier coin retranché que l’on irait inspecter ? Autant de questions qui resteront sans réponses et qui peuvent donc laisser perplexe. Finalement, on retiendra surtout du long-métrage la qualité générale de son interprétation, quelques fulgurances comme le meurtre d’une pensionnaire à coup de statuette en forme de licorne et enfin son plan final plutôt glaçant. On peut saluer l’apport de la musique dissonante de Carl Zittrer qui a trituré les cordes d’un piano pour obtenir des sons étranges ensuite amplifiés et modifiés. Utilisée avec parcimonie, cette musique bruitiste est efficace pour créer une ambiance sombre, contrastant avec la période de Noël.
Un succès canadien, mais une indifférence des autres marchés
Sorti avec succès au Canada, Black Christmas a eu davantage de difficultés pour s’imposer aux Etats-Unis où il a été diffusé initialement sous le titre Silent Night, Evil Night sans rencontrer le moindre écho. Il a fallu attendre de nombreuses années et notamment sa diffusion sur support vidéo pour que le film obtienne un statut de film culte auprès des amateurs de slasher, au point de générer la création de deux remakes éponymes. L’un en 2006 par le réalisateur Glen Morgan et l’autre en 2019 par la réalisatrice Sophia Takal et le producteur Jason Blum qui ont fait du film un étendard féministe post-MeeToo dont l’écho sur le net est exécrable.
En France, le film serait sorti en 1975 dans quelques salles du Nord de la France sous son titre québécois Noël tragique, selon le site Encyclociné. On peut toutefois estimer que sa véritable sortie intervient à l’ère du DVD grâce à l’éditeur Wild Side Vidéo en 2008. Les cinéphiles ont ainsi pu découvrir ce film méconnu dans nos contrées. Il a d’ailleurs fait l’objet d’une réédition chez The Ecstasy of Films en 2022 dans un beau Mediabook contenant un livre de 52 pages, un DVD et un blu-ray. Le film est ici édité pour la première fois dans son format d’origine de 1.85 :1, et même si la copie est loin d’être immaculée, les fans seront ravis des suppléments et d’un objet ornant fièrement les étagères de leur collection.
Pour notre part, nous sommes loin d’adorer ce film prototype à cause notamment de son rythme trop lent et des errances de son scénario, mais il possède une frange suffisante de fans pour être considéré avec respect.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 29 octobre 1975
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Biographies +
Bob Clark, Margot Kidder, John Saxon, Keir Dullea, Olivia Hussey, Marian Waldman, Andrea Martin