Un brin de provocation, quelques maladresses et un quatuor de mômes captivants : Attention les enfants regardent appartient aux œuvres décalées et radicales des années 70, quand Alain Delon prenaient des risques.
Synopsis : Quatre enfants suppriment la gouvernante chargée de veiller sur eux en l’absence de leurs parents. Les sachant coupables, un homme fait régner la terreur dans la maison où les enfants sont reclus.
Jeu d’enfants
Critique : Ce film méconnu d’un cinéaste oublié (et aux sujets assez sombres, il a réalisé La Traque, Les Passagers, et sera l’auteur de Légitime violence), vaut par un sujet original, qui, sans égaler la noirceur d’œuvres plus radicales sur le thème des enfants tueurs (Le Village des Damnés, Les Révoltés de l’an 2000), a au moins le mérite de montrer sans mièvrerie le monde de l’enfance et ses aspects les plus retors. Il est l’adaptation d’un roman noir de Laird Koenig, connu en France par les cinéphiles, notamment pour l’adaptation de sa série noire, La petite fille au bout du chemin.
Quatre gamins, présentés dès le début comme capricieux et drogués à la télé, sont confiés à une Espagnole qu’ils méprisent ; presque par jeu, ils la noient, sous le regard d’un énigmatique inconnu qui décide de profiter de la solution et les terrorise. Sur ce point de départ qui fait référence (explicite dans un dialogue) aux contes traditionnels, Serge Leroy construit une manière de fable qui emprunte aux codes du film policier pour mieux s’en détacher : au fond, l’enquête importe peu et les gendarmes comme les autres adultes sont bien faciles à berner.
Violence et perversion : attention les enfants regardent surtout la télévision
L’essentiel se joue ailleurs, dans la perversité mêlée de naïveté qui fonde les rapports entre les enfants (moquerie cruelle envers Boule, le grassouillet de la bande) et avec l’adulte : là, le scénario n’y va pas avec le dos de la cuillère, puisque Marlène, la plus âgée, tente de séduire l’inconnu dans une séquence dérangeante, puis elle organise son meurtre.
Attention les Enfants regardent manie plutôt bien le mélange de gamineries et de dureté : il sait les montrer se gavant de sucreries aussi bien que fomentant un assassinat ; il faut dire, et c’est assez rare pour être souligné, que les jeunes acteurs sont impeccables, jamais cabotins. Du coup, c’est le jeu d’Alain Delon qui paraît plus faible : même si son personnage est intéressant, le comédien ne se révèle pas très à l’aise dans l’ambiguïté et sa mort frôle le ridicule ; quant à sa « chorégraphie » sur une chanson de Sheila … Ce n’est d’ailleurs pas le seul défaut d’un film qui peine à convaincre sur la longueur, mais qui surtout insiste lourdement sur les programmes télévisés violents. On aimerait là que la dénonciation se fasse légère, elle est pachydermique.
Alain Delon contre les mômes
En revanche, les failles des personnages (le moment unique où Delon s’humanise face à la petite fille, la séquence dans laquelle Boule se venge sur la nourriture) ainsi qu’un nombre important de petits détails et de réactions bien vues sauvent le métrage de la fadeur comme du didactisme. L’observation des enfants, leurs rites, leurs sautes d’humeur, leur sens de la conspiration, tout cela ne manque ni de sel ne de finesse.
On sauvera également le portrait réjouissant des parents, leurs vidéos ridicules, leur angélisme hors de propos. Pour le reste, il faut saluer une œuvre qui ne choisit pas la facilité et aborde des terres peu fréquentées. Attention les Enfants regardent, interdit aux moins de 13 ans à sa sortie, reste donc une tentative singulière, inaboutie mais très intéressante dans le thriller français, et sera un échec pour Alain Delon superstar, prêt à prendre des risques dans les marées troubles du cinéma de genre.
Critique : François Bonini