Citoyen d’honneur est une comédie sympathique qui évoque avec un certain talent les difficultés actuelles de l’Algérie, pays encore traversé de lignes de fracture béantes. L’ensemble est porté par des acteurs impliqués et bien dirigés.
Synopsis : Samir Amin est un écrivain comblé qui vient de recevoir le prix Nobel de littérature. Il vit à Paris, loin de son pays natal, l’Algérie. Sollicité de toute part, il refuse systématiquement toutes les invitations qui lui sont faites. Jusqu’au jour où il décide, poussé par son fils, d’accepter d’être fait « Citoyen d’honneur » de Sidi Mimoun, la petite ville où il est né. Mais est-ce vraiment une bonne idée que de revoir les habitants de cette ville ?
Citoyen d’honneur, remake du film argentin éponyme
Critique : Les producteurs Christophe Cervoni et Marc Fiszman qui ont financé une grande partie des œuvres de la bande à Fifi (Philippe Lacheau et consorts) ont craqué sur le film argentin Citoyen d’honneur (Mariano Cohn et Gastón Duprat, 2016) qui a glané de nombreuses récompenses partout dans le monde. Cette comédie amère évoquait le retour en Argentine d’un écrivain ayant reçu le Prix Nobel de littérature, alors qu’il a quitté son pays d’origine depuis une trentaine d’années pour l’Espagne où il a effectué toute sa carrière littéraire. Afin de rendre le script plus accessible pour le public français, leur idée était de transposer l’histoire entre la France et l’Algérie.
Ils font donc appel au réalisateur franco-algérien Mohamed Hamidi et lui proposent de se lancer dans cette aventure. Habitué à signer ses propres scripts, Hamidi accepte finalement le challenge, pour peu qu’il puisse modifier largement le scénario argentin, bien plus dramatique que ce que souhaite tourner le cinéaste. Pour alléger l’atmosphère, Mohamed Hamidi ajoute notamment un personnage comique qui accompagne sur place le prix Nobel. Bien entendu, il confie ce rôle à son complice Fatsah Bouyahmed qui a notamment contribué au large succès de La vache (2016). Enfin, Mohamed Hamidi écrit le rôle de l’écrivain en pensant à Kad Merad avec qui il vient de tourner Une belle équipe (2020).
L’Algérie au cœur
Malgré son sujet très algérien, Citoyen d’honneur ne peut être tourné dans le pays, encore secoué de soubresauts politiques peu sécurisants. Toute l’équipe s’est donc retrouvée dans un village marocain assez isolé, qui plus est durant la période de confinement liée à la Covid-19. Cela prouve à quel point l’Algérie demeure une terre de conflits. D’ailleurs, Citoyen d’honneur, sous ses airs de comédie innocente et légère, évoque tout de même des thématiques sérieuses et délicates. Ainsi, lorsque l’écrivain contestataire joué avec implication par Kad Merad est reçu avec beaucoup de jovialité par un village apparemment très accueillant, cela camoufle des tensions qui vont finir par rejaillir durant son séjour.
Sous des dehors affables, la comédie égratigne quand même fortement une nation incapable pour le moment de regarder vers l’avenir et sacrifiant ainsi sa jeunesse. Rebelle, la jeune fille incarnée avec fougue par la charismatique Oulaya Amamra, représente bien cette jeunesse algérienne qui a soif de plus de liberté et qui entend renverser les vieilles autorités locales, représentées à la fois par les officiels du FLN (très bon Zinedine Soualem dans un contre-emploi total) et par les autorités religieuses.
Un film qui chante la jeunesse algérienne révoltée
Mohamed Hamidi reconstitue notamment les manifestations du Hirak, lorsque la jeunesse est descendue régulièrement dans les rues du pays tous les vendredis pour protester contre le maintien des vieux dirigeants du FLN au pouvoir. Comme nous sommes tout de même dans une comédie, l’ensemble ne tourne pas au drame absolu, mais Citoyen d’honneur se fait tout de même l’écho des failles et autres fissures qui traversent de nos jours l’Algérie. Pas forcément très optimiste dans son constat, le réalisateur, comme à son habitude, se refuse à broyer du noir et préfère rendre hommage à ce peuple algérien qui entend se battre pour enfin mieux vivre dans son propre pays, sans avoir à s’exiler.
Alternativement drôle et grave, le long-métrage manque sans aucun doute d’imagination dans sa réalisation très classique et fonctionnelle, tandis que certains passages sentent un peu trop la bienveillance typique d’un certain cinéma feel good. Toutefois, on doit saluer la qualité générale de l’écriture, la réelle maîtrise de la direction d’acteurs et une petite prise de risques en évoquant les lignes de fracture d’une société algérienne encore en voie de recomposition.
Citoyen d’honneur n’a attiré personne en salles
Sortie le 14 septembre 2022, la comédie ne pouvait guère espérer un bon démarrage sur Paris, d’autant qu’Emmanuel Mouret sortait le même jour son très parisien – et excellent – Chronique d’une liaison passagère. Le film avec Kad Merad s’est donc contenté de 160 spectateurs dans 12 cinémas à 14h. Sur la journée du mercredi, le film ne se positionne qu’à la troisième place des entrées françaises, ce qui constitue une sacrée douche froide. La comédie attire cinq fois moins de spectateurs que La vache (2016) et se retrouve avec 10 073 Algériens dans 311 salles. A la fin de cette première semaine d’exclusivité, Citoyen d’honneur fait pitié avec seulement 57 538 égarés dans des salles vides.
Rappelons toutefois que le mois de septembre 2022 a été meurtrier, puisque les chiffres globaux de l’exploitation font partie des plus bas enregistrés depuis près de 40 ans. La plupart des films ont ainsi dévissé, souvent exploités dans des combinaisons énormes alors qu’ils ne motivaient aucun spectateur. Alors qu’il était un échec dès son démarrage, Citoyen d’honneur a tout de même vu son parc de salles augmenter et le long-métrage a fini sa carrière nationale autour de 120 664 tickets vendus.
Cet échec explique sans aucun doute l’absence totale d’édition vidéo physique. Citoyen d’honneur n’est disponible qu’en VOD. Il n’est pourtant pas dénué de qualités et est loin d’être le pire film français proposé en 2022.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 14 septembre 2022
Voir le film en VOD
Biographies +
Mohamed Hamidi, Oulaya Amamra, Kad Merad, Fatsah Bouyahmed, Jamel Debbouze, Zinedine Soualem, Brahim Bouhlel
Mots clés
Comédies françaises, L’Algérie au cinéma, Les écrivains au cinéma