Cannibal Ferox est un pur film d’exploitation qui défraya la chronique de par ses scènes barbares. Le film notoire d’Umberto Lenzi, où ethnocentrisme, viol, émasculation, et tueries d’animaux se succèdent, est réservé à un public averti.
Synopsis : Des étudiants en anthropologie se rendent en Amazonie afin de prouver que le cannibalisme est un mythe. Sur place, ils rencontrent deux Américains, trafiquants de diamants et de cocaïne, qui ont réduit un village indigène en esclavage. Suite à un viol commis par l’un d’eux, les habitants du village se rebellent.
Le film gerbant de gore et de sadisme qu’Umberto Lenzi n’aimait pas
Critique : Dans une filmographie rocambolesque, Umberto Lenzi n’est pas du genre à s’appesantir sur ses films d’horreur. Le réalisateur du Triomphe de Robin des Bois, Catherine de Russie, au début des années 60, de Si douces, si perverses avec Jean-Louis Trintignant, La guerre des gangs, ou La rançon de la peur, ne tient pas son plus gros succès, Cannibal Ferox, dans son cœur. Selon la légende publicitaire, le film d’exploitation barbare aurait été interdit dans plus de 30 pays, mais a connu une carrière de carnassier en VHS un peu partout dans le monde. Forcément le steak tartare intarissable en protéines permettra à Umberto Lenzi de vivre pendant de très longues années sur ses rentes. L’homme au caractère trempé s’érigera même en auteur maudit dont on aura retenu le pire de sa carrière. Il considère ses meilleurs opus méconnus et rarement sources d’inspiration pour ses nombreux solliciteurs en interviews baveuses.
Le désamour de Lenzi pour Cannibal Ferox provient probablement du fait qu’il s’agisse d’un film de commande, pour le producteur Luciano Martino, frère du cinéaste de La montage du dieu cannibale Sergio Martino. Esthétiquement, le film est limité et la réalisation est terne. A peine le cinéaste parvient-il à diriger des comédiens en surjeu. Les yeux sont possédés (Giovanni Lombardo Radice, en salaud haïssable) ou vides d’expression (Lorraine De Selle dont on se demande encore si elle n’incarne pas à sa façon une sorte de néant).
Un rip-off à peine maquillé de Cannibal Holocaust
L’histoire, pour sa part, semble directement essorée du jus sanglant de Cannibal Holocaust, phénomène mondial en 1980-1981. Ruggero Deodato, auteur de Cannibal Holocaust vouera à Lenzi une rancœur sans équivoque qu’il partagera avec quiconque l’interrogera à son sujet, pendant des décennies. On reconnaîtra pourtant à Lenzi d’être le cinéaste italien à avoir lancé la mode du film de cannibales en 1972 avec Cannibalis, au pays de l’exorcisme, pacotille d’aventure où les sauvages ne servaient nullement la dynamique du récit, car relégués à une sous-intrigue. Lenzi réalisera également La secte des cannibales, connu mondialement sous le titre d’Eaten Alive. Cannibal Ferox est parfois vendu comme étant sa suite.
Reste que le moralement très contesté Cannibal holocaust reste le maître étalon du sous-genre qui ne connaîtra jamais d’équivalent aussi fort. Cannibal Ferox pourtant démontre bien l’outrecuidance d’Umberto Lenzi qui, afin de surfer sur la vague, décide de transposer son récit anthropologique pas inintéressant – le cannibalisme est-il un mythe? – dans un abattoir à ciel ouvert, où l’homme est un loup pour l’homme. Dans l’outrage, le cinéaste se complaît à filmer des mises à morts d’animaux, allant jusqu’à forcer l’un de ses acteurs à trucider un porc avec une sauvagerie consternante. Giovanni Lombardo Radice, bad guy au regard tors dans le film, ne le lui pardonnera pas. Umberto Lenzi scénariste fait par ailleurs subir à ses personnages les pires outrages : les parties génitales sont fréquemment amputées ou atrophiées avec un sens du détail qui fera tourner de l’œil les âmes sensibles. La censure britannique interdira le film, le classant dans les Nasty Movies, cette collection de titres maudits qui se zyeutaient sous le manteau dans le Royaume-Uni de Margaret Thatcher. En France, l’interdiction sera logiquement aux moins de 18 ans et le distributeur, Commodore Films, jouera forcément de cette estampille pour attirer les âmes insensibles.
Cannibal Ferox, dégueulasse de son titre aux horreurs infligées
Malgré ces immondices, Cannibal Ferox, dont le titre même sonne dégueulasse, ne deviendra pas le film de cannibale ultime. Techniquement et émotionnellement, la bisserie ne parviendra jamais à capter la rage viscérale de Cannibal Holocaust s’époumonnant dans la course à accepter sa position intermédiaire de divertissement pathologique moins pire que les autres. Contre lui, les sempiternelles scènes new-yorkaises (de L’enfer des Zombies de Lucio Fulci au classique de Deodato, on y a droit) alourdissent le métrage. Dans l’une de ces scènes, l’on y retrouve l’un des acteurs de Cannibal Holocaust, en guise de clin d’œil masochiste. Ruptures de ton, de musicalité et de couleurs ponctueront l’électron à moitié décérébré du gore italien qui ne sera jamais meilleur que dans sa vilénie et sa brutalité en terre anthropophage.
Au moins, la musique synthétique italienne, dont on reconnaît parfois l’ADN nihiliste, si elle ne relève pas de l’élégie crépusculaire du score de Riz Ortolani sur Cannibal Holocaust, permet de créer une ambiance putride qui rabiboche les yeux et les oreilles. Un vinyle parfaitement collector en sera tiré en 2018.
Les tares de Cannibal ferox n’ont jamais éconduit ses fans qui lui vouent un culte acharné pour les sensations fortes que sa barbarie suscite. Les spectateurs contemporains seront pour leur part scandalisés par la monstruosité de l’offre et n’y verront que l’emprise d’un cinéaste sur son équipe, la violence faite aux femmes, aux animaux, et donc aux spectateurs témoins forcés de ses atrocités ; ils imagineront par ailleurs des coulisses du pire. Ils jugeront l’ethnocentrisme aux relents racistes inacceptables. Et ils auront probablement raison. Mais la vérité, comme souvent, doit se trouver quelque part entre ces deux positions extrêmes.
Un film polémique qui fera les bonnes et mauvaises fortunes de son auteur
Dans tous les cas, paradoxalement, malgré son succès conséquent, Cannibal Ferox mit un frein considérable à la carrière d’Umberto Lenzi, après des décennies de succès dans le film d’espionnage, l’aventure exotique, le polar urbain ou le giallo. Les polémiques autour de la violence sismique de Cannibal Ferox au X davantage évocateur de la déchéance pornographique que du mot latin signifiant cruel, le mettront au ban des auteurs italiens, alors que s’amorçait pour le cinéma italien un déclin inexorable en raison de l’ascension des chaînes privées qui tuèrent le cinéma local.
Les années 1980 d’Umberto Lenzi seront au mieux médiocres, au pire nullissimes, avec des jalons miteux comme Ironmaster la guerre du fer, Cinq salopards en Amazonie, La Maison du cauchemar, Cop Target ou l’inénarrable Demoni 3 (Black Démons en France).
Quand Stallone sauve Lenzi de son enfer cannibale
Devenu classique contestable du cinéma d’épouvante malgré lui, Cannibal Ferox sera notamment promu au rang des nanars culte par le fils de Sylvester Stallone, le regretté Sage Stallone, qui nous as quittés en 2012. Associé au monteur culte Bob Muraski, la jeune vedette de Rocky IV s’était rendue en Italie pour acquérir les droits auprès du maestro. Il participera à la hype autour de l’auteur que le poto Quentin Tarantino portera au firmament.
Stallone Jr. et Muraski éditeront Cannibal Ferox en VHS et laser-disc, pour inaugurer leur société désormais fameuse, Grindhouse Releasing. Le film bénéficiera ainsi d’une première édition en DVD en 2000. Cannibal Ferox, initialement exploité aux USA sous le titre de Make them Die Slowly, sera upgradé en blu-ray au milieu des années 2010, trois ans après la mort de Sage Stallone, à l’âge de 36 ans. Lenzi mourra pour sa part en 2017.
Film trash pour public woke, ou pas
En France, après de nombreuses éditions VHS entre 1981 et 1995, l’éditeur culte Neo Publishing en proposera une édition DVD collector intégrale en 2005. Il faudra que la France attende 18 ans et l’avènement d’un réchauffement climatique historique avant la parution d’une édition blu-ray sous ses tropiques. Porté par le travail minutieux du Chat qui Fume, l’édition succède à un DVD qui s’est pris une majorité dans le nez, celle d’une nouvelle génération de cinéphiles partagés entre bienveillance systémique et désir pervers animal, mais aussi piégé par son ambivalence entre refus de la consommation physique, au nom de l’écologie, et consumérisme de collection steel-bookée. Au moins, chez le matou du bis, le packaging limité sera cartonné.