Méconnu et généralement sous-estimé, Tepepa (Trois pour un massacre) mérite une redécouverte dans sa version intégrale de plus de deux heures, ô combien plus riche sur le plan thématique que ce que la copie française tronquée laissait transparaître, en dépit de quelques longueurs.
Synopsis : Pour avoir organisé une révolte, Tepepa va se faire exécuter. Au dernier moment, un docteur anglais parvient à le soustraire à l’armée. Mais s’il l’a sauvé, c’est juste pour l’abattre lui-même.
Les Films Jacques Leitienne au cinéma
Critique : Critique artistique d’une très vaste culture, Giulio Petroni s’est fait remarquer en 1967 par le brio de La mort était au rendez-vous, un excellent western spaghetti avec en vedette le magnifique Lee Van Cleef. Dès lors, il s’impose comme un espoir du cinéma de genre local et met la main sur un scénario de Franco Solinas. Cet écrivain engagé à gauche n’a travaillé que sur des chefs d’œuvre du genre : Colorado (Sollima,1966), El Chuncho (Damiani ,1966) et Le Mercenaire (Corbucci, 1968). Trois pour un massacre sera son ultime contribution au genre.
On retrouve donc dans ce film la plupart des thèmes déjà présents dans les grands classiques du western zapata précédemment cités. Les auteurs confrontent une fois de plus un étranger indépendant à un héros mexicain symbolisant les opprimés du capital. Trois pour un massacre fonctionne sur le même principe narratif que les deux précédents films sur lesquels a travaillé Solinas : alors que la révolution fait rage, deux personnages antagonistes (un étranger cultivé et un paysan illettré) vont s’associer pour faire progresser l’idéal révolutionnaire, mais aussi s’affronter pour des motifs personnels.
Une révolution peu glorieuse
Une fois de plus, Solinas cherche à faire de ses personnages des symboles de l’éternelle lutte des classes qui ensanglante la planète. Toutefois, son script s’avère bien plus nuancé que ce qui est généralement écrit à son sujet. Si le scénariste prend évidemment fait et cause pour la révolution, il n’en est pas moins critique envers les dérives inhérentes à ce processus historique. Ainsi, il s’en prend ouvertement au gouvernement de Francisco Madero, accusé d’avoir mené la révolution au pouvoir, puis de l’avoir trahie en ne prenant aucune mesure radicale comme la redistribution des terres pourtant promise aux paysans. En mélangeant figures historiques et personnages fictifs, le film use d’un procédé caractéristique faisant la force du western zapata qui consiste, comme le souligne Jean-François Giré, à réunir le politique et le lyrique.
Autre point qui nuance fortement l’efficacité du processus révolutionnaire, le personnage de Tepepa profite de la violence qu’induit la révolution comme prétexte pour abuser de femmes. Ces éléments montrent une volonté de nuancer le propos et d’aller au-delà de la simple rhétorique communiste classique. Certes, le film glorifie le lyrisme de la révolution, en particulier dans sa dernière image, une surimpression du visage de Tepepa sur celui du petit. Sa conclusion inattendue montre toutefois que la violence perpétue la violence pour les générations à venir, et que tous ceux qui commettent des crimes au nom d’un idéal n’en sont pas moins des meurtriers.
Tepepa délaisse l’action pour la réflexion
Notons d’ailleurs que le film fut exploité au cinéma en France dans une copie expurgée de tout contexte politique (pas moins d’une demi-heure supprimée), ce qui lui retirait forcément tout intérêt, d’autant que le film de Giulio Petroni est plus intéressant par son point de vue sur la révolution prolétarienne que par ses scènes d’action, trop rares et un peu décevantes. Ainsi, l’évasion de Tepepa manque de souffle et la bataille finale entre les paysans et l’armée peine à convaincre à cause d’une réalisation poussive et peu inspirée. C’est d’autant plus dommage que les séquences de dialogues et de tension sont quant à elles remarquables.
Trois pour un massacre bénéficie de la présence d’une brochette d’acteurs incroyables
Le grand point fort du film réside sans nul doute dans sa distribution. Tomás Milián se révèle impérial dans son rôle de péon devenu chef révolutionnaire. Face à lui, Orson Welles n’est pas en reste, incarnant un colonel patibulaire. Sa présence physique est impressionnante, son air bougon et désabusé rappelant son rôle dans La soif du mal. Anecdote amusante, il est de notoriété publique que ces deux là ne pouvaient pas se supporter sur le tournage du film.
John Steiner campe un médecin britannique certes un peu trop flegmatique – pour ne pas dire monolithique- mais convaincant. On sera aussi agréablement surpris par la richesse du jeu du petit Luciano Casamonica, qui parvient à rendre son personnage convaincant et attachant par sa sobriété. On retrouve aussi l’habitué du genre José Torres, qui donne vie à un personnage secondaire intéressant. Les connaisseurs reconnaitront aussi le taïwanais George Wang dans le rôle d’un marchand d’armes.
Une vraie réussite sur le plan artistique
Dès les premières minutes du métrage, on est frappé par la qualité de la photographie de Francisco Marin, qui avait déjà fait ses preuves sur les deux Ringo de Duccio Tessari. En effet, ce dernier parvient à magnifier avec brio toute l’aridité des paysages d’Almeria, et contribue à les muer en un Mexique crédible. Ses choix de couleurs parfois assombries renforcent l’aspect mélancolique du film. Le métrage semble avoir profité d’un budget assez confortable au vu des nombreux véhicules d’époque et du niveau de finition des décors et costumes. Quand à la présence de Welles, selon Petroni, elle découle de financements américains.
Ce dernier nous gratifie d’une excellente mise en scène, en dépit de scènes d’action perfectibles, comme mentionné plus tôt. Sa réalisation, classique mais efficace, dénote un vrai talent pour composer des plans d’ensemble. Cela est manifeste au niveau de la disposition des acteurs et figurants dans le cadre. Petroni fige souvent ces derniers dans des poses esthétisantes qui confèrent un rendu très pictural à l’ensemble.
Enfin, le film bénéficie d’une écriture de grande qualité, usant de nombreux procédés littéraires tels que le récit enchâssé et la présence d’un narrateur. On peut ainsi observer certaines scènes à travers le prisme de la subjectivité de plusieurs personnages. Le film nous invite de fait à la réflexion et à la remise en cause de ces différents points de vue. Enfin, en dépit du ton bien souvent désenchanté, le métrage nous offre certains passages franchement drôles. Citons ainsi ce moment où Tepepa envoie valser un prêtre venu l’absoudre ou cet autre confrontant le docteur Price à la famille peu raffinée d’un maton.
Quelques défauts qui ne gâchent pas le plaisir du spectateur
Cependant, Trois pour un massacre n’est pas exempt de faiblesses. Cette version longue développe certes la psyché des personnages comme le souligne Giré, mais le rythme devient un peu trop lent. Certaines scènes auraient mérité des coupures, comme le déplacement de l’armée de Welles. Si le film souffre d’un ventre mou, fort heureusement, la dernière demi-heure se révèle passionnante et riche en rebondissements inattendus.
Pour finir, la musique de Morricone demeure très correcte, mais beaucoup moins marquante que celle du Mercenaire. C’est d’autant plus palpable que la partition de Tepepa reprend plusieurs motifs de celle du film sus-cité, à tel point que l’on se demande si elle n’est pas constituée d’un assemblage de chutes. Cette impression est d’autant plus regrettable que le thème final, beaucoup plus marquant, aurait pu être davantage utilisé.
Un western mésestimé
Il est donc grand temps de redécouvrir cette œuvre mal aimée, charcutée lors de sa sortie en salle, bancale par son rythme, mais ô combien enthousiasmante par son regard affûté sur la société. Comme le rapporte Milián, bien qu’italien, le film a été particulièrement bien reçu au Mexique, ce qui est un gage de sa crédibilité. Moins flamboyant qu’El Chuncho et moins lyrique que le Mercenaire, ce brûlot politique demeure un bel exemple du savoir-faire transalpin au cours de ces glorieuses années 60. Nous conclurons par un argument d’autorité, puisque le film figure à la dix-septième place de la liste des vingt westerns spaghettis favoris de Quentin Tarantino.
Sorti au cinéma en 1971 par le distributeur de séries B Les Films Jacques Leitienne, Tepepa a été distribué également sous le titre secondaire 3 pour un massacre, devenu en DVD pour Artus, Trois pour un massacre. Avec 18 000 entrées sur la capitale, le film ne restera qu’une seule semaine sur Paris.
Critique : Kevin Martinez et Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 10 novembre 1971
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Les westerns spaghetti sur CinéDweller
Le test du blu-ray :
Artus nous propose une édition agréable à l’œil et non tronquée : les curieux auraient tort de se priver !
Packaging & Compléments : 4 / 5
Dans un souci de cohérence avec les dernières sorties western de l’éditeur, on retrouve ici un digipack en deux volets décorés d’affiches du film. Des photos de Milian et Welles ornent l’intérieur du digipack , sous les disques. En ce qui concerne les bonus, on pourra profiter de trente-sept minutes de présentation du film par Jean-François Giré. Le spécialiste du genre nous apporte un éclairage exhaustif et pertinent. A cela s’ajoute une demi-heure d’entretiens avec le réalisateur et Tomás Milián, non moins passionnante. On trouvera enfin des suppléments plus anecdotiques, à savoir une intro alternative, un diaporama et un film annonce.
L’image du blu-ray : 4 / 5
Artus nous propose à nouveau une excellente copie, dans la lignée de ses précédentes éditions. L’image est très agréable à l’œil et rend justice au travail du directeur de la photographie. On remarquera cependant du bruit un peu trop présent et certaines scories qui peuvent apparaître de temps en temps, notamment des lignes verticales. A noter, quelques secondes au milieu du film trahissent une détérioration de la pellicule, probablement impossible à restaurer. Ces menus défauts demeurent anecdotiques et ne nuisent en rien au plaisir du visionnage.
Le son du blu-ray : 4 / 5
Les pistes française et italienne nous proposent un son mono d’une qualité équivalente. La première a certes plus de puissance, mais un souffle vient l’entraver. On l’oubliera toutefois assez vite. Le tout est très propre, sans distorsions. Bien évidemment, ce son d’époque est loin de faire des étincelles sur nos systèmes modernes, mais demeure très efficace.
Test du combo DVD / Blu-ray de Kevin Martinez