Avec The Killer, David Fincher livre une série B qui se distingue par son brio formel, mais pas par son script déjà vu des milliers de fois par le passé. Un Fincher mineur.
Synopsis : Après un désastre évité de justesse, un tueur se bat contre ses employeurs et lui-même, dans une mission punitive à travers le monde qui n’a soi-disant rien de personnel.
The Killer, un projet de longue date
Critique : Initialement lancé à la fin des années 2000, le projet d’adaptation du roman graphique français Le tueur a occupé pendant quelques temps David Fincher qui a ainsi fait la connaissance du scénariste et créateur de la série d’ouvrages Alexis Nolent, dit Matz. Finalement, le film ne se fait pas, mais les deux artistes ont continué à entretenir de bonnes relations et David Fincher ne perd jamais de vue l’idée d’y revenir. Il a donc fallu attendre 2021 et le contrat d’exclusivité du cinéaste avec le géant Netflix pour que The Killer refasse parler de lui. Grâce aux bons soins de la plateforme qui cherche à obtenir une crédibilité artistique, David Fincher peut enfin mobiliser l’imposante somme de 175 millions de dollars qu’il n’aurait jamais pu obtenir d’un studio traditionnel, pour donner forme à ce récit que l’on pourrait qualifier de simple série B.
Les retrouvailles avec le scénariste de Se7en, Andrew Kevin Walker
Effectivement, le scénario de The Killer, qui marque les retrouvailles de Fincher avec Andrew Kevin Walker un peu plus de 25 ans après Se7en, même si Walker a travaillé sans être crédité sur The Game and Fight Club, n’est en rien novateur et se résume en deux lignes à peine. Nous sommes invités à suivre les traces d’un tueur à gages méticuleux qui rate sa cible et que ses patrons cherchent ensuite à éliminer. Dès lors, le tueur méthodique passe le film à se venger de ses employeurs. Rien ne distingue vraiment ce script d’une série B comme on en voit des milliers, que ce soit avec Liam Neeson ou ses confrères de la castagne. Pourtant, David Fincher tente d’élever le matériau de base vers une réflexion sur la philosophie du guerrier et l’impossibilité d’atteindre la perfection dans toute forme d’art, y compris celle de l’homicide.
Mais là encore, d’autres auteurs sont passés avant lui avec un brio que le réalisateur n’atteint jamais. On songe à l’ambiance feutrée du Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967) avec Alain Delon, ou encore au superbe Ghost Dog, la voie du samouraï (Jim Jarmusch, 1999) qui avaient pour eux d’être réellement profonds dans leur analyse de la solitude. Fincher assume la référence à Melville qui était déjà présente dans les œuvres écrites par Nolent qui a depuis longtemps confié son influence.
Une simple série B brillamment réalisée, mais désespérément vide
Dans The Killer, David Fincher livre un film froid et implacable comme peut l’être son personnage principal. Malheureusement, passé son premier chapitre où le protagoniste livre sa philosophie de vie par une voix off très intrusive – suivant en cela le style de la bande dessinée – le long-métrage ne creuse jamais la psyché du tueur, pas plus que celle des personnages secondaires qui demeurent des figures fugitives indéfinies. Seul le personnage interprété par Tilda Swinton parvient vaguement à émouvoir dans l’avant-dernier chapitre.
Pour autant, The Killer n’est aucunement un mauvais film car David Fincher demeure un réalisateur au talent impressionnant. Il parvient à sauver les meubles par la grâce d’une réalisation très classe, évoquant parfois le style d’Alfred Hitchcock. Fincher revendique effectivement un hommage à Fenêtre sur cour, notamment dans le premier chapitre. Le style de l’adaptation de Nolent évoque aussi Michael Mann dans sa froideur chromatique (on songe notamment au Solitaire et à Collatéral). Il se sert à merveille des décors variés qui lui sont offerts – Paris reste formidablement cinématographique – et soigne sa photographie, ainsi que son emballage sonore (toujours créé par Trent Reznor et Atticus Ross, à fond dans le design sonore, plus que dans la partition musicale proprement dite).
Michael Fassbender est de tous les plans
On serait moins indulgent envers The Killer sans la plus-value qu’apporte Michael Fassbender puisque la star est tout simplement de tous les plans. Son personnage en vient même à vampiriser tous les autres, au point de ne laisser de l’espace qu’à Tilda Swinton le temps d’une unique scène de dialogue fort réussie. Cela reste un argument assez léger au vu de l’attente générée par cette rencontre cinématographique.
Bel objet formel aussi déshumanisé que son protagoniste principal, The Killer s’avère finalement assez frustrant dans son incapacité à générer du sens, autre que de manière très littérale. Parmi les questions que l’on est en droit de se poser : quel en est l’intérêt pour un réalisateur de cette trempe ? Sachant que le polar finira oublié au fin fond du catalogue pléthorique de la plateforme de SVOD, en compagnie d’un Mank déjà contournable, la rationalité de The Killer nous échappe.
Notons enfin que le long-métrage a été présenté en avant-première au Festival de Venise en 2023 où il était en compétition. The Killer en est reparti évidemment bredouille.
Critique de Virgile Dumez