Particulièrement ennuyeux et verbeux, Mank est formellement superbe, mais enfonce des portes ouvertes avec constance. De plus, sa maestria formelle s’accommode mal de la diffusion sur petits écrans télévisuels.
Synopsis : Dans ce film qui jette un point de vue caustique sur le Hollywood des années 30, le scénariste Herman J. Mankiewicz, alcoolique invétéré au regard acerbe, tente de boucler à temps le script de Citizen Kane d’Orson Welles.
Un nouveau chef-d’œuvre Netflix ?
Critique : Apparemment, il suffit désormais qu’un réalisateur se lance dans un projet inhabituel, en noir et blanc ou affublé d’une durée hors norme et que l’ensemble soit diffusé en exclusivité sur Netflix pour que tous les critiques tombent en pamoison et crient au chef-d’œuvre. Cela a déjà été le cas avec Roma (Cuarón, 2018) et The Irishman (Scorsese, 2019), deux œuvres largement surcotées et outrageusement vendues comme des classiques instantanés par la sphère Internet. Si ces films ont évidemment d’indéniables qualités, on est en droit d’être plus modérés face à cet enthousiasme généralisé où il ne fait pas bon avoir un avis discordant, ère de globalisation oblige.
Malheureusement, le phénomène semble se reproduire une fois de plus avec ce Mank qui nous est une fois de plus vendu comme le chef-d’œuvre absolu de son auteur, le par ailleurs excellent David Fincher. On avait quitté le cinéaste avec Gone Girl (2014), excellent thriller machiavélique, mature et violent, et on avait hâte de le retrouver à la tête d’un projet ambitieux. Il adapte donc ici un script de son père Jack Fincher qui nous raconte comment le scénariste Herman Mankiewicz a accouché du script de Citizen Kane (Welles, 1941) et surtout pourquoi celui-ci s’en est pris au magnat de la presse William Randolph Hearst alors que cela pouvait plomber à jamais sa carrière. Si le sujet est plutôt intéressant pour les cinéphiles, force est de constater qu’il risque de laisser indifférent beaucoup de personnes, d’autant que le scénariste n’a pas fait beaucoup d’effort pour rendre le tout attrayant.
Un film à réserver aux cinéphiles purs et durs
Effectivement, si Mank échappe bien au classique reproche du didactisme généralement attaché au genre du biopic, il en oublie peut-être un peu trop le public à qui il s’adresse. Ainsi, avant de se lancer dans la projection de Mank, il faut mieux avoir bien en tête l’intrigue de Citizen Kane, mais aussi connaître sur le bout des doigts l’histoire des grands studios américains. Si les noms de Louis B. Mayer et Irving Thalberg ne vous disent rien, ni celui de Hearst, alors il faut mieux passer votre chemin car le cinéaste suppose que vous connaissez déjà leur fonction et parcours par cœur. Mank s’adresse donc clairement à un public trié sur le volet, celui des cinéphiles pointus, véritables mordus de cinéma.
Pourtant, nous ne sommes pas certains que ceux-ci trouvent beaucoup d’intérêt à suivre ce biopic qui, finalement, ne dit pas grand-chose et enfonce beaucoup de portes ouvertes. A travers une avalanche de dialogues parfois cryptiques (on cite des noms peu connus en permanence) et un nombre conséquent de personnages qui ne sont que des ombres fugitives jamais développées, Mank semble découvrir que Hollywood est un milieu corrompu, uniquement intéressé par l’argent et à la solde d’intérêts privés. La belle affaire ! Il nous démontre que les milieux financiers américains, mais aussi la presse et les grands studios, sont liés par des accords tacites et qu’aucune personnalité iconoclaste ne peut surnager dans un tel contexte. Là encore, rien de bien nouveau sous le soleil. Enfin, ce n’est pas la petite notation (au détour d’un dialogue) sur la collusion entre les grands studios hollywoodiens et Adolf Hitler qui bouleversera ceux qui ont déjà lu l’excellent livre de Ben Urwand intitulé Collaboration, le pacte entre Hollywood et Hitler, Bayard, 2013.
Des images de cinéma destinées au petit format
Particulièrement ennuyeux par cette propension à ne rien nous apprendre de vraiment intéressant, Mank devrait en principe nous séduire par sa forme particulièrement travaillée. Seulement voilà, pourquoi s’évertuer à proposer de magnifiques images de cinéma dominées par une réelle profondeur de champ pour finir par être diffusé sur des écrans de télévision, voire de smartphone par le biais de Netflix. Est-il même pertinent de rendre hommage à la magnificence du cinématographe pour n’être diffusé que sur une plate-forme ? La question, qui ne semble effleurer personne, s’impose pourtant d’elle-même, car la contradiction est patente.
Alors oui, David Fincher a soigné sa photographie et propose souvent des plans intéressants (notamment lors de la belle séquence des élections) qui auraient eu toute leur place sur un écran large, dans les conditions parfaites qu’offre une salle de spectacle. En l’état, on ne peut guère juger des intentions visuelles de l’auteur dans ce format télévisuel étriqué pour lequel il n’est clairement pas conçu. Il nous faudra sans doute revoir un jour ce long-métrage dans des conditions enfin normales, à savoir en salle.
Un biopic faussement audacieux, mais vraiment ennuyeux
On sauvera de cette entreprise finalement moyennement convaincante l’interprétation très juste de Gary Oldman. Les autres acteurs sont bien plus anecdotiques et n’ont guère de personnage consistant à défendre. Amanda Seyfried a bien du mal à nous convaincre de son statut de starlette et Tom Pelphrey fait un Joseph L. Mankiewicz bien peu charismatique. Finalement, seuls les vieux briscards comme Arliss Howard et Charles Dance parviennent à faire exister leurs personnages, malheureusement trop peu présents à l’écran.
Assurément pas un mauvais film, Mank n’a rien d’une œuvre incontournable, malgré le soin apporté à la forme. Il s’agit d’un biopic finalement très classique (sa narration faussement alambiquée s’avère en réalité très linéaire dans son déroulement) qui n’exclut pas l’ennui profond du spectateur.
Critique de Virgile Dumez