Sur le globe d’argent, œuvre inachevée d’Andrzej Zulawski est à la fois beau et profond, hystérique et méditatif, charnel et métaphysique. Du grand art, malheureusement mutilé à jamais.
Synopsis : Une équipe de cosmonautes atterrit sur la face cachée d’une planète lointaine afin de fonder une nouvelle civilisation. Mais à mesure que les Anciens meurent, la société dégénère. Les colons, dont le nombre croit rapidement, se transforment peu à peu en une tribu qui s’entre-déchire…
L’œuvre mutilée d’un cinéaste maudit
Critique : Grand film malade, Sur le globe d’argent l’est à plus d’un titre. Tout d’abord par sa conception douloureuse qui en fait encore aujourd’hui une grande œuvre mutilée. En 1976, alors qu’il vient de recevoir les honneurs des critiques internationaux grâce à L’important c’est d’aimer (1975), Andrzej Zulawski retourne en Pologne et bénéficie d’un budget conséquent afin d’adapter La Trilogie de la lune, imposante fresque littéraire de son grand-oncle.
Ce retour en grâce d’un réalisateur jadis expulsé du pays à cause du Diable (1972) s’explique par la volonté du pouvoir communiste de s’appuyer sur le soft power culturel pour assoir sa popularité dans le reste du monde. Les autorités signent donc un chèque en blanc au jeune réalisateur, qui en profite au maximum. Pris de la folie des grandeurs, le cinéaste se lance dans un tournage endiablé qui dure plus de dix mois avec dépassement de budget à la clef. Malheureusement pour lui, le nouveau ministre de la culture Janusz Wilhelmi, hostile aux artistes et originaux de tous poils, ordonne de stopper le tournage et de saisir tous les costumes et décors. Zulawski est contraint d’abandonner un projet qui lui tenait à cœur et dans lequel il s’était investi à cent pour cent.
Retour en grâce durant la perestroïka
Ce n’est qu’en 1987 qu’il revient à la charge en récupérant tous les éléments tournés et en effectuant un montage avec une voix-off qui explique les passages manquants sur fond d’images collectées en Pologne. Ce nouveau revirement des autorités locales s’explique à nouveau par la géopolitique mondiale et notamment par le développement de la perestroïka en URSS par Mikhail Gorbatchev. Toutefois, il est impossible pour Zulawski d’effectuer un nouveau tournage qui compléterait le métrage puisque tous les décors et costumes on été détruits. Sur le globe d’argent sera donc pour l’éternité une œuvre mutilée, et ceci malgré toutes les tentatives de rapiéçage.
Malgré l’usage d’une voix off explicative, il serait exagéré de dire que l’on comprend tout ce qui se passe à l’écran. L’œuvre, très longue et fort complexe, ne se laisse pas facilement appréhender, sentiment renforcé par ces trous d’airs narratifs liés à son inachèvement. Malgré ce sentiment de flottement, Sur le globe d’argent distille son lent poison avec une fureur peu commune.
Sur le globe d’argent, une manière de revisiter l’Ancien et le Nouveau Testament
Film malade ensuite par le traitement même de son sujet : une évidente parabole sur la naissance de l’humanité et de la religion. Les références chrétiennes pullulent et donnent toute sa saveur à cette méditation sur la dissociation entre l’âme et le corps. Poursuivant son exploration du problème de l’incarnation déjà entamée dans L’important c’est d’aimer, Zulawski nous invite à réfléchir sur l’essence même de l’âme et sa possible matérialisation dans un corps fini.
A l’aide d’une fascinante mise en abîme, il dénonce même le processus d’incarnation des personnages par ses acteurs. Déclamant des dialogues très littéraires et philosophiques, ceux-ci se donnent entièrement à un auteur qui leur en demande beaucoup.
Un recueil d’images hallucinantes
Malade enfin par son ambiance apocalyptique qui fascine autant qu’elle révulse : sans prendre de gants, Zulawski montre une humanité qui se distingue à peine de l’animal. Eructant, hurlant et bavant, ses protagonistes paraissent tous totalement fous, faisant de cette œuvre hallucinatoire un trip mémorable. Portée par une musique qui évoque celle d’Aguirre, la colère de Dieu (Werner Herzog, 1972) cette vision très noire de l’humanité s’insinue en nous et ne nous lâche plus durant deux heures et demie. Des images d’une insondable beauté resteront d’ailleurs à jamais gravées dans nos mémoires comme l’entrée des humains dans une ville en ruine hantée par des êtres fantomatiques ou encore cette plage où les non-croyants sont empalés. Autant de séquences inoubliables qui font d’autant plus regretter l’arrêt du tournage.
Chef d’œuvre maudit et irrémédiablement amputé de 20 % de sa durée, Sur le globe d’argent est un film halluciné et hallucinant de maîtrise, à réserver aux amateurs d’hermétisme cinématographique et d’expériences sensorielles extrêmes.
Une œuvre amputée, uniquement projetée en festival
Le résultat final, validé par son réalisateur, a été présenté en grande pompe au Festival de Cannes 1988 en présence du cinéaste et de sa dulcinée Sophie Marceau. Pourtant, cela n’a guère poussé les distributeurs à se porter acquéreur d’une œuvre trop complexe pour espérer trouver un large public en salles. Dès lors, Sur le globe d’argent allait devenir cet objet culte que chérissent les cinéphiles et qui ne sont visibles que lors de quelques festivals spécialisés comme L’Etrange Festival en 2016 ou encore Hallucinations collectives en 2021.
Après avoir eu droit à un DVD d’assez piètre qualité chez Malavida en 2007, Sur le globe d’argent est désormais disponible dans un superbe coffret édité par Le Chat qui Fume, avec en prime un blu-ray entier consacré au making of du film intitulé Escape to the Silver Globe. Son visionnage apparaît comme un complément obligatoire pour tous les amoureux de ce témoignage d’une époque dingue où tout semblait possible pour les cinéastes démiurges.
Critique de Virgile Dumez
Biographies +
Andrzej Zulawski, Krystyna Janda, Andrzej Seweryn, Jerzy Trela, Grazyna Dylag, Waldemar Kownacki
Mots clés
Cinéma polonais, Les films de SF des années 70, Les films dingues des années 70, La SF métaphysique, Les films à thématique religieuse