Œuvre puissante et désespérée, L’important c’est d’aimer est sublimé par une réalisation impressionnante et la prestation de Romy Schneider qui se consume devant la caméra impudique de Zulawski. Un grand moment de cinéma.
Synopsis : Servais, un reporter photographe, rencontre Nadine, une comédienne qui, pour survivre, est contrainte de tourner des films pornographiques. Elle est attirée par le jeune homme, mais elle aime son mari, sorte de Pierrot désenchanté qui fuit les réalités de la vie. Servais commandite une pièce de théâtre à l’insu de Nadine, dans laquelle elle aura un rôle qui lui permettra d’exprimer ses qualités.
Zulawski tourne son premier film français
Critique : En 1972, le cinéaste Andrzej Zulawski tourne en Pologne Le diable qui est son deuxième long-métrage. Malheureusement, une fois le tournage achevé, le pouvoir en place décide de bloquer la sortie du film qui ne sera visible que bien des années plus tard. Dégoûté par cette censure du pouvoir communiste, Andrzej Zulawski décide d’accepter une commande française – sans pour autant s’enfuir de Pologne puisque sa famille reste sur place. Il s’agit d’adapter un roman de Christopher Frank intitulé La nuit américaine, qui a obtenu le Prix Renaudot en 1972. Ce qui deviendra L’important c’est d’aimer (1975) permet donc à Zulawski de collaborer avec un auteur en vogue, mais dont les thématiques bourgeoises ne lui correspondent pas totalement.
C’est sur l’insistance de Romy Schneider que Zulawski a été engagé par la productrice Albina du Boisrouvray qui va ensuite s’en mordre les doigts tant elle s’est heurtée à l’intransigeance du réalisateur. Effectivement, le cinéaste polonais n’appréciait pas particulièrement l’intrigue de Christopher Frank qui reprenait le classique triangle amoureux si cher à un certain cinéma bourgeois que Zulawski exècre. Aussi, le réalisateur ne va avoir de cesse d’exploser les conventions pour tirer le film vers un univers complètement barré qui ressemble à s’y méprendre à ses œuvres polonaises. Ainsi, le spectateur français ne reconnaitra même pas les espaces filmés (à Paris) tant le cinéaste s’attache à rendre les lieux intemporels et quasiment surréalistes.
Un tournage sous haute tension
Afin de tirer le meilleur de ses comédiens, Zulawski use d’une méthode totalement immersive qui met les nerfs de toute l’équipe à rude épreuve. Il se sert également des tensions entre les comédiens pour filmer des instants de pure vérité. Romy Schneider détestait notamment son partenaire Fabio Testi et Zulawski a gardé au montage une scène où elle se rue sur lui pour le gifler copieusement, au grand désarroi de l’acteur italien qui n’a jamais été aussi bon que dans cette séquence. Si Romy Schneider est absolument sublime et incandescente dans ce rôle, il faut rappeler qu’elle n’était disponible que quelques heures en matinée, avant d’être ensuite dans l’incapacité de jouer pour des raisons de santé. Fabio Testi livre dans Une histoire orale d’Andrzej Zulawski (de Matthieu Rostac et François Cau, Nitrate, 2020, p. 39) ce témoignage :
Romy n’allait déjà pas bien à l’époque. On travaillait le matin avec elle parce que, l’après-midi, elle n’était pas opérationnelle, donc Andrzej n’était pas content de la situation. Comme actrice, elle était fantastique. Comme femme, elle était très fragile.
Déjà très abîmée par l’existence, la star s’est ainsi totalement consumée dans ce rôle particulièrement torturé.
Des acteurs très impliqués et qui se surpassent
Face à elle, Jacques Dutronc est admirable de justesse, tandis que Klaus Kinski nous livre une prestation totalement hallucinée dont il a le secret. D’ailleurs, lui aussi ne retenait pas ses coups lors des scènes d’affrontement, comme à sa triste habitude. Au milieu de ces acteurs chevronnés, on peut être déçu par la prestation en retrait de Fabio Testi. Certes, son rôle n’a guère d’intérêt puisqu’il doit simplement être un amoureux transi, mais il échoue à transmettre cette passion à l’écran. Zulawski a toujours dit qu’il regrettait ce choix imposé par la coproduction italienne.
Toutefois, malgré ce léger défaut, L’important c’est d’aimer se révèle une œuvre puissante, et ceci dès la scène d’ouverture, absolument bouleversante. On assiste au tournage d’un film X où l’actrice jouée par Romy Schneider est incapable de prononcer la phrase “je t’aime” sur le cadavre présumé de son amant. En moins de deux minutes, Romy Schneider livre une prestation époustouflante, le tout sublimé par la magnifique musique de Georges Delerue en mode Le mépris.
Derrière le masque social
Cette scène ouvre donc une œuvre monumentale qui analyse en profondeur la thématique du masque et du jeu. Se déroulant dans le milieu de l’art, L’important c’est d’aimer ausculte la fine frontière entre le réel et le fictionnel. Ainsi, tous les personnages proposent deux facettes : Romy Schneider paraît sincère dans sa détresse, mais se joue du personnage de Fabio Testi ; Jacques Dutronc arbore un masque de clown alors qu’il est un homme désespéré incapable de supporter le monde réel ; Klaus Kinski dissimule son homosexualité derrière une façade violente ; Claude Dauphin dissimule ses activités mafieuses derrière le masque du bon patriarche.
Cette dualité permanente des personnages permet de donner une profondeur à une œuvre complexe qui alterne les passages hystériques – une constante chez le cinéaste – avec des moments de pure mélancolie. Au milieu de tout cela, Zulawski ose mettre en parallèle le métier de comédien et celui de prostituée. Il plonge aussi dans les bas-fonds de la pornographie et livre quelques séquences épicées. Toutefois, bon nombre des scènes d’orgie – où Claudine Beccarie a pu donner de sa personne – ont été finalement coupées au montage, pour ne retenir que quelques plans furtifs.
Une réalisation virtuose pour un film largement coupé au montage
Tourné avec maestria par un réalisateur sûr de ses capacités, L’important c’est d’aimer profite également de l’incroyable fluidité de la caméra d’Andrzej J. Jaroszewicz, capable de porter à l’épaule les lourdes caméras de l’époque pour suivre chaque geste des comédiens sans leur imposer de marques au sol. Cette virtuosité technique n’entre pourtant jamais en conflit avec le sujet et offre même un dynamisme étonnant aux différentes scènes.
Toutefois, le montage du film fut compliqué puisque les producteurs ont exigé une œuvre durant moins de deux heures (amputant le métrage d’une quarantaine de minutes) et que la censure s’est également mêlée de l’affaire. Au final, Zulawski a toujours déclaré qu’il n’aimait pas ce film qui a pourtant été le plus gros succès de sa carrière.
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Numéro 1 à Paris pendant deux semaines consécutives
Sorti au mois de février 1975 avec une interdiction aux moins de 18 ans, L’important c’est d’aimer a été un succès immédiat sur la capitale où il a pris la tête du box-office dès sa semaine d’investiture (92 079 curieux dans les salles). Puis, le métrage a conservé cette première place en deuxième semaine (avec 65 704 spectateurs supplémentaires). Le film hystérique ne cède sa place de numéro 1 qu’en troisième semaine face à Dupont Lajoie (Boisset). Il se maintient ensuite jusqu’à la fin mars et disparaît des classements pour terminer sa première exploitation vers 351 000 spectateurs parisiens. Son exploitation ultérieure l’a mené jusqu’à 538 506 entrées à Paris / Périphérie.
Sur la France, le drame de Zulawski arrive en troisième place la semaine de sa sortie avec 126 186 tickets vendus. Il grimpe à la première place du classement la deuxième semaine avec 163 105 voyeurs supplémentaires et se maintient en pole position en troisième semaine avec encore 148 737 retardataires. Le film ne plie qu’au bout d’un mois face à La tour infernale (Guillermin), mais se maintient bien au point de dépasser le million d’entrées à la fin du mois d’avril 1975. Si l’on ajoute ses autres exploitations, L’important c’est d’aimer a cumulé 1 546 523 entrées sur le territoire français, faisant du film un magnifique succès, d’autant plus étonnant que le métrage est plutôt difficile. Ce fut l’occasion pour Romy Schneider de glaner un César de la meilleure actrice largement mérité en 1976.
Un classique souvent édité, mais l’édition de référence n’arrive qu’en 2022
Édité ensuite par RCV en VHS, puis maintes fois ressorti en DVD par StudioCanal, L’important c’est d’aimer a eu le droit à une reprise au mois d’août 2012, lui permettant de revoir sa classification à une interdiction aux moins de 12 ans. L’attente d’une édition blu-ray de qualité a enfin été satisfaite par le précieux éditeur Le Chat qui Fume qui vient de dégoupiller une galette destinée à devenir une référence. Elle est actuellement en commande sur le site de l’éditeur et doit être achetée au plus vite.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 12 février 1975
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© 1975 StudioCanal / Affiche : René Ferracci. Tous droits réservés.