Remake d’un film danois très cruel, Speak No Evil respecte son modèle dans sa première partie, avant de le trahir dans son final très efficace, mais largement édulcoré et passé à la lessiveuse américaine, histoire de ne pas faire de vagues.
Synopsis : Une famille américaine passe le week-end dans la propriété de rêve d’une charmante famille britannique rencontrée en vacances. Mais ce séjour qui s’annonçait idyllique se transforme rapidement en atroce cauchemar.
Blumhouse en pleine crise d’inspiration
Critique : Ces derniers temps, la firme Blumhouse spécialisée dans l’horreur conceptuelle semble en sérieuse perte de vitesse, visiblement incapable de renouveler son catalogue. Effectivement, la compagnie vient d’enchaîner un nombre conséquent de navets qui créent le doute quant à sa capacité à maintenir un certain niveau d’exigence. On se souvient avec douleur de Night Swim (Bryce McGuire, 2023), Imaginary (Jeff Wadlow, 2024) et plus récemment L’I.A. du mal (Chris Weitz, 2024), autant de films vides aux castings insipides et interchangeables minés par des ambiances mornes et une absence de fulgurances. On en vient même à se demander pourquoi de tels produits continuent à sortir dans les salles françaises.
Puisque la crise d’inspiration est patente, autant aller chercher ailleurs, afin de voir si l’herbe y est plus verte. Et pourquoi ne pas avoir recours à la bonne vieille recette du remake d’une œuvre étrangère passée relativement inaperçue, du moins aux Etats-Unis ? Et c’est parti pour l’adaptation à la sauce ricaine d’un petit film danois vu dans les festivals et en VOD, un certain Ne dis rien (Speak No Evil) réalisé par Christian Tafdrup en 2022.
Le remake d’un film danois extrême
Il faut dire que ceux qui ont découvert cette rareté en sont ressortis tourneboulés par sa radicalité froide. Certes, le film d’origine pâtissait de défauts évidents comme un rythme très lent et des acteurs pas toujours charismatiques, mais sa dernière partie très extrême compensait cette entrée en matière qui lambine. Loin d’être un chef d’œuvre, le film d’origine pouvait donc logiquement être amélioré par un réalisateur plus chevronné disposant de moyens plus imposants.
Pour effectuer cette adaptation, Jason Blum a sorti de la naphtaline un réalisateur britannique dont on n’avait plus de nouvelles depuis l’échec de son film d’action raté Bastille Day (2016). James Watkins n’est pourtant pas un inconnu pour les amateurs de cinéma horrifique puisqu’on lui doit auparavant le gothique La dame en noir (2012) avec Daniel Radcliffe, et surtout le survival radical Eden Lake (2008) qui entretient justement de nombreux rapports avec l’intrigue et les situations extrêmes de Ne dis rien. Le réalisateur semble donc être l’homme de la situation pour livrer une œuvre conforme à son modèle, aussi bien dans sa progression horrifique que dans son final marquant.
Speak No Evil respecte l’original dans sa première heure
Malheureusement, l’origine américaine du produit aurait dû nous alerter sur l’impossibilité de conserver le cap extrême fixé par l’œuvre danoise. Donc, le Speak No Evil de James Watkins respecte son modèle durant plus d’une heure, avant de totalement bifurquer dans sa deuxième moitié, afin de lisser le propos du film d’origine.
Pourtant Speak No Evil semble initialement chausser les pas de son prédécesseur en prenant le temps de présenter les différents personnages lors de longues séquences introductives où rien ne filtre du genre auquel le métrage appartient. Loin de couper dans le script d’origine, James Watkins soigne son entrée en matière, au risque d’ennuyer les adeptes d’une efficacité plus immédiate. Pour cela, il peut compter sur un casting globalement meilleur que dans le thriller danois. Ainsi, James McAvoy fait preuve d’un extraordinaire charisme à l’écran. Il écrase l’ensemble du casting par sa prestance, même s’il reprend une partition désormais bien connue de lui depuis Split (M. Night Shyamalan, 2016).
Des acteurs de qualité menés par un charismatique James McAvoy
Face à lui, Scoot McNairy fait un chef de famille volontairement insipide tout à fait convaincant. Sans personnalité forte, cet homme au caractère trop affable s’étale littéralement devant son nouvel ami charismatique, au risque d’y perdre sa famille. Du côté des femmes, Mackenzie Davis représente à merveille ces Américaines qui affichent de larges sourires de façade alors qu’elle se sentent mal à l’aise, tandis qu’Aisling Franciosi est aussi convaincante en femme-enfant attachante qu’en garce psychotique.
Le réalisateur réussit donc largement sa partie thriller avec une montée progressive du malaise lorsque les protagonistes s’aperçoivent qu’ils auraient mieux fait de ne pas accepter cette invitation chez des inconnus. Il faut dire que les dérapages sont nombreux et qu’ils suscitent forcément l’interrogation quant à la normalité des hôtes. Après cette heure de présentation, le cinéaste enclenche donc la machine du survival en révélant la nature du couple formé par McAvoy et Franciosi.
Une deuxième partie plus lisse qui trahit le film d’origine
Dès lors, le long-métrage devient sacrément efficace, mais il perd aussi une grande partie de sa singularité. Ainsi, le spectateur ayant été marqué par la fin radicale et très cruelle du film danois va peu à peu découvrir que son remake américain va déchaîner la violence contre le couple maléfique et non l’inverse. Certes, le long métrage demeure toujours d’une belle efficacité et il fera sans aucun doute son petit effet sur ceux qui ne connaissent pas le film d’origine, mais les autres seront sans aucun doute déçus de cette manie des Américains à tout lisser. Ici, la morale est sauve puisque la violence ne se déchaîne finalement que contre les méchants. Cela est effectivement bien plus acceptable pour le grand public, mais cela contredit fortement le propos du film initial qui s’en prenait aux excès de civilité et démontrait que cela pouvait être contre-productif.
Speak No Evil se situe donc plusieurs coudées au-dessus des dernières productions Blumhouse, mais il perd en radicalité ce qu’il gagne en efficacité par rapport à son modèle. On espère surtout que cela poussera le grand public à découvrir l’original danois de 2022, pas forcément parfait, mais bien plus marquant par son extrême cruauté.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 18 septembre 2024
Biographies +
James Watkins, James McAvoy, Kris Hitchen, Scoot McNairy, Mackenzie Davis, Aisling Franciosi
Mots clés
Cinéma américain, Survival, Blumhouse Productions, Les tueurs fous au cinéma