Soy Cuba : la critique du film (2003)

Drame historique | 2h21min
Note de la rédaction :
10/10
10
Affiche de Soy Cuba (France 2003)

  • Réalisateur : Mikhail Kalatozov
  • Acteurs : Jean Bouise, Luz María Collazo, Raúl García, Sergio Corrieri, José Gallardo
  • Date de sortie: 16 Juil 2003
  • Nationalité : Soviétique, Cubain
  • Titre original : Я — Куба
  • Titres alternatifs : I Am Cuba (titre international) / Ich bin Kuba (Allemagne) / Ja, Kuba (Pologne) / Eu Sou Cuba (Brésil)
  • Année de production : 1964
  • Scénariste(s) : Enrique Pineda Barnet et Evgueni Evtouchenko
  • Directeur de la photographie : Sergueï Ouroussevski
  • Compositeur : Carlos Fariñas
  • Société(s) de production : Instituto Cubano del Arte e Industrias Cinematográficos (ICAIC), Mosfilm
  • Distributeur (1ère sortie) : MK2 Diffusion
  • Distributeur (reprise) : Potemkine Films (version restaurée en 4K)
  • Date de reprise : 20 octobre 2021
  • Éditeur(s) vidéo : MK2 (DVD, 2004, 2007 et 2008) / Potemkine Films (combo DVD / Blu-ray, 2020)
  • Date de sortie vidéo : 1er mars 2008 (DVD, MK2), 1er décembre 2020 (combo)
  • Box-office France / Paris-périphérie : 44 140 entrées / 27 919 entrées - Reprise 2021 : 1 185 entrées (France)
  • Box-office nord-américain : -
  • Budget : -
  • Rentabilité : -
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.37 : 1 / Noir et Blanc / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : National Society of Film Critics 1996 : Special Archival Prize / Festival de Cannes 2003 : Sélection officielle
  • Illustrateur / Création graphique : Sketch Studio (affiche 2003)
  • Crédits : Mosfilm
Note des spectateurs :

Prouesse technique remarquable et bijou visuel, Soy Cuba est aussi une œuvre poétique de toute beauté qui redéfinira à jamais votre notion du cinéma. Pourtant, le métrage a été invisible pendant trente ans. Une injustice à réparer d’urgence.

Synopsis : À travers quatre histoires qui renforcent l’idéal communiste face à la mainmise du capitalisme, Soy Cuba dépeint la lente évolution de Cuba du régime de Batista jusqu’à la révolution castriste.

Soy Cuba ou l’association de l’URSS avec Cuba

Critique : En 1959, le régime dictatorial de Batista soutenu par les États-Unis est renversé par les communistes menés par Fidel Castro. Dès lors, les États-Unis ne vont cesser de faire pression sur l’île de Cuba afin de renverser un régime qu’ils jugent hostile. Cela a eu pour conséquence de pousser les castristes dans les bras de l’Union Soviétique qui cherchait de son côté à se rapprocher géographiquement de son ennemi puisque nous sommes alors en pleine guerre froide. A Cuba, les autorités ont rapidement mis en place un Institut cubain des arts et de l’industrie cinématographiques (ICAIC) afin de développer une industrie cinéma puissante. Afin de sceller l’alliance entre Cuba et l’URSS, un projet de coproduction est mis en place dès 1961 : il s’agira de Soy Cuba.

Venant de triompher dans le monde entier avec Quand passent les cigognes (1957), le cinéaste Mikhail Kalatozov est désigné par le Parti pour venir tourner cette œuvre de commande dont le but était de chanter la gloire de la révolution castriste. Le célèbre réalisateur est accompagné de son prestigieux directeur de la photographie Sergueï Ouroussevski et du poète Evgueni Evtouchenko. Les trois hommes seront assistés sur place par le scénariste cubain Enrique Pineda Barnet afin de mieux appréhender la réalité de l’île et sa culture si particulière. Après une longue préparation qui passe par une imprégnation de l’ambiance révolutionnaire qui règne alors sur l’île, les auteurs parviennent à s’accorder sur un point : le long-métrage ne suivra pas un personnage principal, mais va plutôt adopter une structure éclatée et communautaire, comme autrefois les films fondateurs d’Eisenstein et notamment son Cuirassé Potemkine (1925) ou encore La grève (1925).

Une conception longue de plus de deux ans

Désireux de signer une œuvre magistrale, Kalatozov et Ouroussevski bénéficient de moyens extraordinaires et d’un temps de tournage exceptionnel  puisque les prises de vues se sont étalées sur deux longues années. Soy Cuba a ainsi nécessité la mobilisation de plus de 5 000 figurants, de moyens logistiques hors normes et même d’une pellicule infrarouge fournie par l’armée cubaine elle-même.

Il faut dire que ce qui devait s’annoncer comme un grand film de propagande repousse à chaque plan les frontières du possible en matière de cinéma, du moins à une époque où le numérique n’existait pas. Tourné dans un noir et blanc expressionniste de toute beauté, Soy Cuba accentue encore les recherches formelles expérimentées sur Quand passent les cigognes (1957) et La lettre inachevée (1960). Le cinéaste utilise ainsi le grand angle de manière régulière, au point de déformer l’image et les corps de façon à créer une profondeur de champ qui ferait pâlir de jalousie Orson Welles. Mais le plus impressionnant vient de l’usage systématique de longs plans séquences qui défient toutes les lois de la pesanteur.

Soy Cuba ou la virtuosité technique poussée à son paroxysme

Ainsi, Soy Cuba multiplie les morceaux de bravoure dont on se demande encore comment ils ont pu être tournés. La caméra très mobile de Kalatozov s’infiltre absolument partout, descend la paroi des immeubles, traverse les balcons en se jouant des obstacles pour atterrir sur une terrasse, avant de suivre les clientes de l’hôtel de luxe qui plongent dans une piscine. Le plan le plus impressionnant est assurément celui de l’enterrement du jeune révolutionnaire qui donne lieu à un plan séquence vertigineux (copié depuis par Sam Mendes pour son ouverture du James Bond Spectre). On devrait encore citer la fameuse scène de révolte des étudiants qui reprend ici une scénographie déjà utilisée par Eisenstein pour la séquence des marches d’Odessa dans son Cuirassé Potemkine.

Soy Cuba, affiche reprise 2021 (Potemkine)2021

Affiche reprise octobre 2021 © 1964 Instituto Cubano del Arte e Industrias Cinematográficos (ICAIC) – Mosfilm / © 2021 Potemkine Films. Tous droits réservés.

Tout ceci ne serait que de la virtuosité technique si l’ensemble n’était pas au service d’une narration assez forte. Effectivement, une fois que le spectateur accepte l’absence d’un personnage fil rouge, les différents segments qui composent le film bénéficient tous d’un intérêt sur le plan thématique. Kalatozov s’attarde ainsi sur la décadence de la société cubaine durant la période Batista. Il montre l’influence néfaste des Américains qui se servent de Cuba comme d’un centre de récréation pour leurs soldats. Pour cela, il évoque la prostitution, ose également suggérer un viol collectif dans une scène qui ne va heureusement pas au bout de son idée sordide. Mais surtout, il insiste sur les inégalité sociales béantes entre une classe dominante gagnée par le consumérisme à l’américaine et des prolétaires qui vivent dans des bidonvilles ou qui sont exploités par de grands propriétaires terriens.

Une ode à la révolution comme acte libérateur

On aime notamment beaucoup l’épisode qui se situe dans le champ de canne à sucre racheté par la compagnie américaine United Fruit. La folie qui s’empare du vieil homme saisit le spectateur. Bien entendu, ces différents épisodes ont pour but de nous scandaliser afin que nous adhérions à l’idée d’une révolution devenue salvatrice.

Lorsque celle-ci explose dans le segment sur les étudiants révoltés, Soy Cuba prend des accents révolutionnaires qui sollicitent beaucoup les émotions des spectateurs. La grandiloquence n’est jamais très loin, mais le cinéaste évite toutefois de tomber dans une naïveté qui desservirait son propos. Il s’enthousiasme seulement pour un mouvement révolutionnaire qui vient tout juste d’émerger et qui porte donc encore en lui les espoirs d’un avenir meilleur. Mais surtout, Soy Cuba échappe finalement à toute démarche propagandiste par son ton poétique qui ne pouvait décemment pas plaire au plus grand nombre.

Une grande œuvre d’art restée longtemps dans l’ombre

En somme, Soy Cuba est un piètre film de propagande, mais assurément une grande œuvre d’art qui ne peut que bouleverser durablement la vie de tout cinéphile qui se respecte. D’ailleurs cet échec propagandiste a été consacré par sa double sortie catastrophique, aussi bien à Cuba qu’en URSS. Dans l’île, le film est resté une semaine à l’affiche et les Cubains ont depuis totalement oublié cette œuvre qui, pour eux, est passée totalement à côté de l’âme cubaine. Et de fait, Soy Cuba s’apparente vraiment au cinéma soviétique et pas du tout aux œuvres cubaines tournées à la même époque.

En URSS, le long-métrage n’a pas davantage convaincu, sans doute à cause de son insistance dans la description du monde capitaliste qui risquait d’éveiller l’envie des spectateurs soviétiques, alors en pleines privations de biens de consommation courante. De plus, le pouvoir était en voie de raidissement puisque le film a été initié sous l’ère Khrouchtchev et qu’il allait sortir un mois après l’accession de Leonid Brejnev au poste de Premier Secrétaire du Parti Communiste d’Union Soviétique. Le film a donc été plus ou moins enterré par le Parti.

Une sortie française tardive, mais triomphale

Finalement, ce bijou est resté à prendre la poussière sur des étagères, ne connaissant pas de diffusion internationale, avant sa redécouverte par Martin Scorsese et Francis Ford Coppola en 1992. Les deux cinéastes américains ont décidé de lui redonner vie, le considérant à juste titre comme un monument méconnu du cinéma mondial. Cela a permis au film d’être enfin sélectionné au Festival de Cannes en 2003 et de sortir dans la foulée dans les salles françaises sous la houlette de MK2 qui le programme en priorité dans son circuit lors d’une contre programmation estivale forte de sa stabilité pendant trois mois.  Soy Cuba connaît ainsi un succès français spectaculaire avec 44 140 entrées, malgré un lancement restreint à 5 cinémas et une durée de 2h20. Mais dès la première semaine, le constat de l’affluence est déjà signifiant (6 573 entrées en première semaine). La critique fait son travail et salue le chef d’œuvre intemporel qui restera très longtemps à l’affiche grâce à un bouche-à-oreille appuyé. Un score unique pour un film des années 60 qui aurait pu pâtir d’inconvénients commerciaux : sa durée, le noir et blanc, la signature d’un auteur oublié, une narration délaissée par l’aspect contemplatif.

2020/2021, la restauration 4K immortalise le film dans le sublime

Après une sortie en vidéo en 2008 chez MK2, Soy Cuba redevient d’actualité dans les années 2020 grâce à une restauration 4K de toute beauté. La reprise en salle est purement symbolique (1 185 entrées dans une salle en octobre 2021). En effet, le distributeur est également éditeur vidéo du film ; il propose Soy Cuba en blu-ray depuis 11 mois et le succès est fracassant, succédant ainsi à l’édition blu-ray de Quand passent les cigognes, et préfigurant le succès de La lettre inachevée, autre joyau méconnu de Kalatozov, proposé en vidéo et en salle en 2022.

Soy Cuba peut désormais trôner en bonne place sur les étagères des cinéphiles pointilleux, au milieu des plus grands titres de l’histoire du septième art, sa restauration l’a immortalisé parmi les chefs d’œuvre absolu du cinéma, toutes nationalités confondues.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 16 juillet 2003

Les sorties de la semaine du 20 octobre 2021

Acheter le combo DVD / Blu-ray sur le site de l’éditeur 

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Affiche de Soy Cuba (France 2003)

© 1964 Instituto Cubano del Arte e Industrias Cinematográficos (ICAIC) – Mosfilm / Affiche 2003 : Sketch Studio (agence). Tous droits réservés.

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Mikhail Kalatozov, Jean Bouise, Luz María Collazo, Raúl García, Sergio Corrieri, José Gallardo

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