Le troisième long métrage de Justine Triet ne manque pas d’ambition mais vaut essentiellement pour l’interprétation habitée de Virginie Efira.
Synopsis : Sibyl est une romancière reconvertie en psychanalyste. Rattrapée par le désir d’écrire, elle décide de quitter la plupart de ses patients. Alors qu’elle cherche l’inspiration, Margot, une jeune actrice en détresse, la supplie de la recevoir. En plein tournage, elle est enceinte de l’acteur principal… qui est en couple avec la réalisatrice du film. Tandis qu’elle lui expose son dilemme passionnel, Sibyl, fascinée, l’enregistre secrètement. La parole de sa patiente nourrit son roman et la replonge dans le tourbillon de son passé. Quand Margot implore Sibyl de la rejoindre à Stromboli pour la fin du tournage, tout s’accélère à une allure vertigineuse…
Justine Triet grimpe en sélection officielle.
Critique : Coécrit avec Arthur Harari, Sibyl est le troisième long métrage de Justine Triet dont on avait apprécié La Bataille de Solférino (révélation de la section ACID 2013), et Victoria, présenté en ouverture de la Semaine de la Critique trois ans plus tard.
En brossant le portrait d’une femme qui se débat entre sa vie professionnelle et son existence intime, ses choix affectifs et ses angoisses, la réalisatrice est cohérente dans sa thématique, mais affirme que ses films ne constituent pas des autoportraits, même si elle s’inspire de certains éléments personnels et de son entourage.
Mélange des genres, des tons et des motifs
Virginie Efira est éblouissante dans le rôle de cette écrivaine et psychanalyste dépassée par les événements, que la rencontre avec une jeune femme névrosée (Adèle Exarchopoulos) va perturber davantage. On songe à Une autre femme de Woody Allen, dans lequel une romancière en quête d’inspiration se retrouvait face à une inconnue qui la plongeait dans un trouble abyssal.
Mais Triet joue davantage la carte du mélange des genres et bien que son film ne comporte pas de scènes de comédie à proprement parler, une légèreté ambiante tempère la noirceur d’un récit où se mêlent folie, trahisons et frustrations. Mais c’est surtout d’identité dont il est question ici : « C’est comment on traite la question de nos origines, comment on fait tout pour les oublier, comment elles réapparaissent brutalement », précise la cinéaste dans le dossier de presse.
Le métrage croise aussi d’autres motifs tels la maternité, le couple ou la gémellité, mais leur traitement dans la narration semble à peine effleuré et donne l’impression que Justine Triet cherche à parler de tout sans se focaliser sur la ligne directrice de son histoire.
Mort tragique de Gaspard Ulliel à 37 ans – CinéDweller (cinedweller.com)
Des réserves dans l’émotion
Et les choses se gâtent quand les protagonistes du film se retrouvent sur l’île de Stromboli à l’occasion du tournage d’une réalisatrice allemande aussi déjantée et tourmentée que Sibyl et Margot, et dont le scénario du film évoque les souffrances de l’amour-passion : la mise en abyme n’est pas des plus légères malgré le jeu décalé de l’actrice Sandra Hüller. L’œuvre peine donc à tenir sur la durée, et il est dommage que les ambitions d’écriture de Justine Triet étouffent toute émotion, réduisant les personnages à des marionnettes de cinéma d’auteur.
Malgré ces réserves, d’aucuns pourront trouver du charme à ce drame psychologique qui permet d’apprécier aussi le talent de seconds rôles attachants tels Laure Calamy en sœur étouffante, Niels Schneider en amant idéalisé, ou Paul Hamy en ex-compagnon désillusionné.
Critique de Gérard Crespo
Sorties de la semaine du 22 mai 2019
Photo : Cédric Sartore