Film oublié à cause de son étrangeté, Qui ? est pourtant une œuvre intéressante qui tente une synthèse entre Nouvelle Vague et thriller populaire. Le résultat, déstabilisant, vaut le coup d’œil.
Synopsis : Marina vient d’échapper à la mort. La voiture dans laquelle elle se trouvait avec Claude, son amant, vient de tomber de la falaise. La police, qui est arrivée sur les lieux, reste pourtant perplexe sur le discours de la jeune femme, car le corps de Claude n’a pas été retrouvé. Serge, le frère de Claude, est lui aussi arrivé sur les lieux. Voyant Marina sous le choc, il lui propose de l’héberger quelque temps…
Un thriller à machination plutôt original
Critique : Fondateur du ciné-club Objectif 49, assistant de René Clément pendant une dizaine d’années et copropriétaire du magazine des Cahiers du cinéma, Léonard Keigel est une personnalité de l’ombre qui mérite pourtant d’être remis en lumière. Effectivement, l’homme a également tenté une synthèse, certes imparfaite, entre deux tendances du cinéma français des années 60-70. Proche des jeunes loups de la Nouvelle Vague, Keigel a pourtant toujours officié dans le cadre d’un cinéma plus commercial et traditionnel, porté notamment par des vedettes. Si son premier film adapté de Julien Green intitulé Léviathan (1962) a reçu un accueil plutôt chaleureux de la part des critiques, ce ne fut pas le cas de ses réalisations suivantes.
Parmi elles, on compte ce Qui ? (1970) au titre fort mystérieux et assez peu parlant, mais qui représente bien cet objet filmique non identifié. Keigel semble se conformer au schéma traditionnel du thriller à manipulation comme il en fleurissait au cours des années 60. L’influence majeure est clairement celle des intrigues à la Boileau-Narcejac dont Les diaboliques (Clouzot, 1955) est le mètre étalon. Toutefois, il ne faut pas négliger non plus le tribut payé au cinéaste René Clément que Keigel a assisté pendant longtemps. Ainsi, le final ironique est tout droit sorti de Plein soleil (1959) et les relations perverses entre les personnages peuvent évoquer l’atmosphère particulière des Félins (1964). Enfin, rappelons que le couple formé par Romy Schneider et Maurice Ronet nous vient tout droit de La piscine (Deray, 1969), autre thriller retors.
Une troisième voie, entre film d’auteur et thriller commercial
Si le spectateur est donc apparemment en terrain connu sur le plan du script, le cinéaste le malmène fortement en dynamitant l’ensemble par une mise en scène inspirée également de la Nouvelle Vague. Ainsi, Keigel ose pratiquer l’arrêt sur image au cours de l’action, s’amuse avec la bande sonore en incrustant des sons parasite qui créent une ambiance étonnante. Cette douce étrangeté qui nimbe l’intégralité du métrage tire même à plusieurs moments vers le fantastique lorsque certains personnages semblent doués du don d’ubiquité. Certes, le script explique tout de manière rationnelle – avec une crédibilité toute relative d’ailleurs – mais le réalisateur semble attiré par le fantastique, travaillant des atmosphères proches de ce que fera un David Lynch plus tard.
Au passage, Qui ? tente d’ausculter les impossibles relations entre hommes et femmes, thème qui passionnait le scénariste Paul Gégauff. Le collaborateur régulier de Claude Chabrol était connu pour l’extrême noirceur de son monde intérieur et sa misogynie prononcée. Il décrit ici des relations amoureuses systématiquement conflictuelles, marquées par une forme de sadomasochisme. Les engueulades perpétuelles entre les protagonistes peuvent indisposer à la longue, mais cela crée une urgence qui empêche le film de sombrer dans la banalité. A chaque fois que l’on s’attend à une réaction, les auteurs se sont évertués à en prendre le contre-pied.
Romy Schneider et Maurice Ronet, beau couple de cinéma
A ce petit jeu de l’amour lié à la haine, Romy Schneider est comme d’habitude formidable. Elle semble surtout contente de se mettre en danger dans un film différent, ce qui sera confirmé par la suite de sa filmographie. Face à elle, Maurice Ronet ne force pas son talent, mais fait un partenaire très crédible face à la splendide Romy. Les rôles secondaires sont un peu plus effacés si l’on excepte Simone Bach, plutôt à l’aise. L’étrangeté du long-métrage est renforcée par l’excellente bande originale de Claude Bolling. En mode rock progressif pour hippies, le musicien livre une bande originale éthérée qui vient régulièrement soutenir les images de Keigel.
Certains ont pu signaler que la musique venait souvent suppléer aux manques d’une réalisation trop banale. Cela est sans aucun doute vrai, mais cet enrobage musical, parfois un peu trop répétitif d’ailleurs, contribue largement à créer une ambiance particulière qui séduit encore de nos jours. Finalement, c’est l’alliance entre tous ces éléments disparates – une intrigue policière classique, une réalisation décalée et une musique psychédélique – qui fait la singularité de ce Qui ? fort agréable et plutôt étonnant.
Une déception commerciale pour un film mal aimé
Sorti au mois de septembre 1970, l’étrange thriller est arrivé en huitième position du box-office parisien lors de sa première semaine d’exploitation avec 19 350 clients. Le métrage s’est ensuite plutôt bien maintenu pendant trois semaines, avant de perdre la partie et de plier bagage avec 81 659 amateurs de thriller dans la capitale. La province fut plus clémente avec le métrage qui a pu intégrer le top 10 durant deux semaines et s’est ensuite suffisamment maintenu pour générer autour de 483 167 entrées. Si ce fut une déception pour une œuvre comprenant le duo de La piscine, on peut toutefois estimer la performance correcte au vu de la bizarrerie du produit proposé aux spectateurs.
Aujourd’hui, Qui ? est toujours déconsidéré par de nombreux cinéphiles, mais le métrage est l’exemple parfait de ces œuvres à avoir cherché une voie médiane entre les innovations élitistes de la Nouvelle Vague et le cinéma populaire. Le résultat est certes inégal, mais finalement plutôt intéressant par son refus de toute catégorisation.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 23 septembre 1970
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