Permis de tuer est la seconde et dernière incarnation de l’agent 007 par Timothy Dalton. L’échec précipita la saga dans un champ de mine judiciaire pendant de nombreuses années. Néanmoins, Licence to Kill est l’un des meilleurs films de la franchise, fort de ses cascades, ses deux James Bond girls et sa violence graphique quasi incongrue pour une œuvre du répertoire britannique, tirée de l’œuvre de Ian Fleming.
Synopsis : Felix Leiter, agent de la CIA et ami de toujours de 007, met enfin la maon sur un baron de la drogue qu’il chassait depuis des années. Lorsque celui-ci s’évade et tue Leiter et sa femme, Bond sera prêt à tout pour laver l’affront, mêem à quitter les services secrets de Sa Majesté.
Matériel promotionnel promo – Licence to Kill (Permis de tuer), 1989 © Danjaq. S.A. and United Artists Company – © 1987 United Artists Company and Danjaq LLC. Tous droits réservés. Les Archives de CinéDweller
Critique : Deuxième et dernier Bond avec Timothy Dalton, Permis de tuer enterra pendant plus d’une décennie la franchise des 007, rythmée à un opus tous les deux ans, après avoir amassé péniblement 34M$ au box-office américain, l’un des scores les plus faibles d’une série fière de ses recettes oscillant entre 50 et 70M$.
Timothy Dalton et James Bond en quête de légitimité
Le succès international de The Living Daylights (Tuer n’est pas jouer) semblait avoir justifié le choix des producteurs pour Timothy Dalton au premier abord. L’acteur gallois avait signé un contrat de trois films. Toutefois il lui fallait encore imposer son propre style auprès d’un public exigeant qui s’était habitué à l’extravagance nonchalante d’un Roger Moore, chantre du toujours plus. Tuer n’est pas jouer, dans la pléthore de films de fantaisie et d’action des années 80, semblait un peu daté, et le public délaissait dans son imaginaire Bond pour les scénarios musclés mettant en scène Stallone, Schwarzenegger, Tom Cruise, Bruce Willis, ou Eddie Murphy dans Le flic de Beverly Hills.
Blaxploitation, science-fiction, action violente : la faculté d’adaptation de James Bond
L’exotisme des films avec Sean Connery n’était plus un argument de vente. Le public attendait une virilité qui douille, qui suinte la violence et des propositions nouvelles. Quand en 1989 Permis de tuer se fraie un chemin sur les écrans, les premières suites qui feront la décennie 90 s’accordent à dominer le box-office. James Bond est désormais un outsider, mais pas le favori sur les starting-blocks. Les producteurs avaient déjà senti le vent tourner avec l’assaut de La guerre des étoiles en 1979. Ils avaient répondu par l’improbabilité de Moonraker et sa célèbre séquence spatiale. Un peu plus tôt dans la décennie 70, Vivre et laisser mourir s’était fait l’écho du phénomène de la blaxploitation. Permis de tuer, lui, devait prendre le virage des années 80, en captant l’adrénaline d’une décennie puissamment exaltée dans l’action, jusqu’à la télévision, avec Deux flics à Miami, la série de Michael Mann qui sera l’une des sources d’inspiration pour les producteurs.
Écrit spécialement pour Dalton dont la prestation marquait un virage austère qui sera copiée à l’identique par Daniel Craig, Permis de tuer accepte de s’adonner au jeu des sept erreurs, effaçant les formules des précédentes aventures de l’agent britannique pour poser des jalons.
Permis de tuer crée son propre mythe
Tout d’abord, le film de John Glen, vétéran aux cinq Bond, n’adapte pas un roman de Ian Fleming, mais ne fait que s’inspirer de l’œuvre de l’auteur dont tous les ouvrages avaient déjà été portés à l’écran. Pour la première fois, le héros n’agit pas dans le cadre d’une mission secrète, souvent sur fond de guerre froide. Sombre, teigneux, voire ténébreux, James Bond est mû par un motif personnel, la vengeance. Le baron d’un cartel que l’on situera volontiers entre Pablo Escobar et le personnage d’Al Pacino dans Scarface, autre référence évidente de la décennie, a assassiné le meilleur ami de Bond et son épouse, le jour de leur mariage. Le lien viril entre Bond et son ami trucidé provoque le courroux de l’espion de Sa Majesté. Démissionnaire, il choisit de perdre son « permis de tuer » qui est révoqué (le titre original, Revoked Licence, a été écarté par les producteurs britanniques, craignant que l’Américain moyen ne comprenne pas le mot “révoqué”).
Ce point de départ permet aux scénaristes et à Dalton d’ancrer le personnage voulu peu souriant dans un réalisme psychologique, qui accentue les noirceurs du personnage incarné par Timothy Dalton. L’homme est capable de cruauté et de cynisme, loin de l’élégance et du flegme dont il a pu faire montre jusqu’ici.
Vendetta sanglante, James Bond se la joue perso
Il se dégage de cette vendetta, une violence graphique en rupture avec l’action désuète des productions antérieures. Bond saigne et fait saigner. Le plan d’une tête qui gonfle jusqu’à éclater est digne d’une série B horrifique, avec le latex incombant aux effets de l’époque. Les requins sont également carnassiers et les grands méchants, de leur côté, peuvent également finir broyés, comme dans un film de Guy Ritchie ou un Martin Scorsese en proie avec ses obsessions mafieuses.
Trop violent pour l’Amérique ?
Ces écarts n’ont pas séduit le public américain, qui allait attendre la surenchère d’humour et d’action du successeur de Dalton, Pierce Brosnan, pour célébrer ses retrouvailles avec le héros britannique. Pourtant Dalton en Bond préfigurait les tourments bienvenus des (super-)héros des films le décennie 2000, de Harry Potter à The Dark Knight. Mais, même si les critiques avaient beaucoup décrié les exploits fantasques de Roger Moore dont les cascades viraient au grotesque, ou du moins à la parodie assumée comme dans les sympathiques Moonraker et Dangereusement vôtre, elles affichaient aux États-Unis un conservatisme vis-à-vis de James Bond qui ne lui permettait pas d’évoluer sans hématomes.
Pam Bouvier, une James Bond girl post-bondienne
Un autre aspect que le réalisme retrouvé octroie à Permis de tuer, c’est l’attachement humain à la femme. Bond, qui a lui-même été marié, et a vécu l’assassinat de sa femme comme un trauma, va finalement rouvrir son cœur à la ravissante Pam Bouvier (incarnée par Carey Lowell, playmate de séries B très populaires entre 1986-1989, comme La nurse, Campus 86, ou Le trésor de San Lucas). Femme d’action post-bondienne, dès sa coupe de cheveux garçonne, elle dégage un volontarisme qui affirme déjà l’importance croissante de la place de la femme chez James Bond.
Matériel promotionnel promo – Licence to Kill (Permis de tuer), 1989 © Danjaq. S.A. and United Artists Company – © 1987 United Artists Company and Danjaq LLC. Tous droits réservés. Les Archives de CinéDweller
Timothy Dalton, le héros torturé qui préfigurait les années 2000
Si l’échec commercial de Permis de tuer a fait de ce 007 un numéro mineur, il s’agit bel et bien de l’un des meilleurs segments de toute la franchise, et de loin le plus abouti des années 80. Il paraît effarant aujourd’hui, alors que le public se pâme devant la complexité apportée par Daniel Craig, de ne pas revoir l’incarnation de Dalton comme l’inspiration première du héros de Casino Royale et Spectre, qui se réapproprie le sublime de son personnage. De surcroît, Craig partage la même fixation passionnée pour la femme plutôt que les femmes, et s’octroie le droit d’interagir en dehors du cadre normé des services secrets britanniques. Il en sera d’ailleurs de même pour le personnage de Nathan Hunt dans Mission : Impossible qu’incarne similairement Tom Cruise.
Habité par un regard profond, une classe naturelle et une sobriété captée par la réalisation, le James Bond de Dalton transcende bien des figures passées, tout en appliquant le cahier des charges en matière d’exotisme (l’Amérique centrale et ses eaux à squales d’un bleu mortel), de gadgets (le personnage de Q est ici bien plus présent que dans les autres films de la série, pour le parer de petits artifices utiles), et de beauté féminine (Talisa Soto est de loin l’une des plus ravissantes héroïnes de la saga).
Un vilain d’envergure
Preuve de la grandeur du film, James Bond trouve en Robert Davi un méchant à sa hauteur qui marque les esprits, ce qui était loin d’être le cas dans Tuer n’est pas jouer. Davi, habitué des rôles troubles dans les années 80 et 90, est impeccable avec son naturel autoritaire. Le visage abîmé, il n’en paraît pas moins charismatique et attractif dans un macrocosme mafieux qui gravite autour de lui. Le personnage est secondé par une petite frappe mémorable, un jeune encore inconnu, mais dont le visage transpire l’admiration pour son maître, la malveillance et la perversion, à savoir celui de Benicio Del Toro, au personnage étrangement gay friendly, dans sa proximité sacrificiel avec son gourou.
Une course-poursuite mémorable
Au niveau de l’action, qu’elle soit maritime, sous-marine, aérienne et routière, Permis de tuer impressionne. L’incroyable course-poursuite en camion ravive l’action sur roues des années 70 ; elle épate encore des décennies après la sortie originale du film et neuf Fast and Furious au compteur. Véritable référence bondienne dans la mise en scène, cette séquence impose le film comme une œuvre aux arguments commerciaux qui s’affranchissent de leur décennie pour époustoufler encore en 2021.
Permis de tuer, plutôt bien reçu par la critique française en son temps, vaut mieux que sa piètre réputation imposée depuis par le diktat des chiffres et l’oubli qui s’ensuivit. Quand l’Amérique lui préférait les péripéties de Batman de Tim Burton, qui réalisa ce même été 220 millions de dollars de plus aux USA, les Français manifestaient un droit à la différence, dans un monde où la culture n’était pas totalement globalisée. Ils se désolidarisaient des aventures en collant du héros de comics pour réaffirmer leur goût du risque. Car oui, Permis de tuer était risqué. Et cela a coûté à Dalton sa légitimité dans le rôle de l’agent 007.
Permis de tuer est à redécouvrir impérativement et en haute définition, s’il vous plaît ! La copie n’est pas très loin d’être sublime.
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Licence to Kill (Permis de tuer), 1989 © Danjaq. S.A. and United Artists Company – © 1987 United Artists Company and Danjaq LLC