Grand biopic qui évite tout académisme, Oppenheimer est une œuvre mentale et intellectuelle fondée sur une construction mathématique implacable. Si l’émotion n’est pas au rendez-vous, les cellules grises sont largement sollicitées pour notre plus grand plaisir.
Synopsis : En 1942, convaincus que l’Allemagne nazie est en train de développer une arme nucléaire, les États-Unis initient, dans le plus grand secret, le “Projet Manhattan” destiné à mettre au point la première bombe atomique de l’histoire. Pour piloter ce dispositif, le gouvernement engage J. Robert Oppenheimer, brillant physicien, qui sera bientôt surnommé “le père de la bombe atomique”. C’est dans le laboratoire ultra-secret de Los Alamos, au cœur du désert du Nouveau-Mexique, que le scientifique et son équipe mettent au point une arme révolutionnaire dont les conséquences, vertigineuses, continuent de peser sur le monde actuel…
Oppenheimer, un audacieux puzzle mental
Critique : Ayant déjà montré son goût pour la grande Histoire avec Dunkerque (2017), le Britannique Christopher Nolan revient à celle-ci et en particulier à la Seconde Guerre mondiale en abordant pour la première fois de sa carrière le genre très balisé et académique du biopic. Toutefois, le réalisateur se refuse une fois de plus à le traiter de manière conventionnelle et préfère donc s’appuyer sur un livre qui fait autorité, à savoir la biographie Robert Oppenheimer : Triomphe et tragédie d’un génie de Kai Bird et Martin J. Sherwin, publiée en 2005, pour mieux déstructurer son récit et le rendre labyrinthique, à l’image de l’ensemble de sa riche filmographie.
Construit comme un gigantesque puzzle mental, Oppenheimer se veut une exploration subjective de la psyché du célèbre inventeur de la bombe atomique. Ainsi, la narration fait des incessants va-et-vient entre la période d’après-guerre où Oppenheimer est accusé d’avoir trahi les Etats-Unis lors de la chasse aux sorcières du maccarthysme et la période où il a été impliqué dans le projet Manhattan. Quelques échappées vers sa prime jeunesse viennent apporter quelques éclairages supplémentaires de temps à autre. A noter qu’aucune notation temporelle n’est là pour baliser le parcours du spectateur et que même l’emploi du noir et blanc ne correspond pas à la traditionnelle séparation entre passé et présent, mais entre point de vue subjectif et objectif.
Un scénario touffu qui laisse pantois
Brillamment construit autour d’échos, tel un morceau de musique, le scénario d’Oppenheimer est tout bonnement admirable, d’autant qu’il brasse un nombre conséquent de thématiques et d’éléments potentiellement complexes qui sont pourtant exposés de manière claire, pour peu que le spectateur fasse l’effort de suivre les nombreux dialogues d’une grande densité. Sur trois heures, l’expérience peut parfois s’avérer fastidieuse et épuisante, tant le matériel est d’une richesse difficile à saisir à la première vision. On peut en tout cas être légitimement admiratif devant le travail phénoménal accompli, étant donné la difficulté d’aborder une telle période sous un angle nouveau et éclairant.
Cillian Murphy est Robert Oppenheimer dans Oppenheimer, de Christopher Nolan. © 2022 Universal Studios. All Rights Reserved.
Pourtant, malgré tous les efforts de Christopher Nolan, le mystère Oppenheimer n’est guère levé avec ce long-métrage de trois heures. Visiblement rétif à l’analyse, le personnage demeure à peu près aussi insaisissable au début du film qu’à la fin. Tous les témoignages indiquent le caractère étrange de cet homme de génie qui a ensuite endossé la lourde responsabilité d’avoir créé l’arme ultime de destruction massive, et malgré la consultation de toutes les archives, l’homme derrière le scientifique reste aussi obscur.
Des acteurs très impliqués et remarquables
En revanche, Christopher Nolan parvient parfaitement à saisir les enjeux géopolitiques à l’œuvre autour du scientifique qui, lui, semble détaché de tout ceci. Le rôle des militaires à travers le bourru lieutenant-général incarné avec justesse par Matt Damon, mais aussi les luttes d’intérêt entre scientifiques et bien entendu les agissements peu recommandables des hommes politiques – dont le meilleur exemple est interprété avec rouerie et jubilation par Robert Downey Jr. – sont autant d’éléments qui démontrent à quel point l’individu peut n’être qu’un pion au cœur d’un échiquier qui le dépasse de loin. Face à ces pointures, Cillian Murphy est tout bonnement saisissant en Oppenheimer. Il s’agit à coup sûr du rôle d’une vie pour le comédien qui s’y incarne totalement.
Cillian Murphy et Emily Blunt dans Oppenheimer, de Christopher Nolan (2023) © Universal Pictures. All Rights Reserved.
Réalisé avec toute la maestria dont peut faire preuve le cinéaste, Oppenheimer contient quelques scènes d’anthologie dont la première explosion dans le désert, mais aussi quelques visions d’horreur vécues par un Oppenheimer qui commence à regretter son implication dans la création d’une bombe aussi destructrice. On signalera enfin le très beau dernier plan qui se veut être une prophétie sur la capacité des êtres humains à s’autodétruire. Malheureusement, ces séquences brillantes sont finalement assez rares au cœur d’une œuvre très bavarde et qui se déroule en très large partie dans des bureaux.
Attention à l’overdose de tunnels dialogués!
Comme Christopher Nolan est un grand cinéaste, il s’est arrangé pour tourner les séquences dialoguées comme des scènes de suspense, mais il n’évite pas toujours la redite et la surcharge. Ainsi, il utilise parfois trop consciemment l’efficace musique de Ludwig Göransson (à qui l’on doit déjà la BO de Tenet) afin de donner du souffle à des séquences entières où la caméra filme des gens autour d’une table en train de discuter. Cela peut être lassant au bout des trois heures de projection.
Oppenheimer n’en demeure pas moins un grand film d’Histoire et une œuvre d’une ambition folle à une heure où les grands studios sont si frileux à investir leur argent dans autre chose que des franchises déjà établies. Nolan a même grandement gagné son pari puisque ce film plutôt compliqué et qui suppose une belle intelligence de la part du public est en passe de devenir l’un de ses plus grands succès, avec déjà plus de 250 millions de dollars glanés rien qu’aux Etats-Unis (pour une œuvre qui est loin d’être gratifiante pour le pays) et près de trois millions de spectateurs en France.
Le long-métrage, sans aucun doute plus intellectuel que franchement émouvant, mérite en tout cas ce très beau succès et rassure quant à la capacité du cinéma à proposer des œuvres matures, tout en demeurant accessibles au plus grand nombre.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 19 juillet 2023
Oppenheimer, de Christopher Nolan. © 2022 Universal Studios. All Rights Reserved.
Biographies +
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Mots clés
Biopic, La Seconde Guerre mondiale au cinéma, Les succès de 2023