Hommage aux films noirs des années 40, Nightmare Alley bénéficie d’une réalisation superbe et de bons acteurs, mais sa durée excessive occasionne quelques longueurs inutiles. Un montage plus resserré aurait été bienvenu.
Synopsis : Alors qu’il traverse une mauvaise passe, le charismatique Stanton Carlisle débarque dans une foire itinérante et parvient à s’attirer les bonnes grâces d’une voyante, Zeena et de son mari Pete, une ancienne gloire du mentalisme. S’initiant auprès d’eux, il voit là un moyen de décrocher son ticket pour le succès et décide d’utiliser ses nouveaux talents pour arnaquer l’élite de la bonne société new-yorkaise des années 40. Avec la vertueuse et fidèle Molly à ses côtés, Stanton se met à échafauder un plan pour escroquer un homme aussi puissant que dangereux. Il va recevoir l’aide d’une mystérieuse psychiatre qui pourrait bien se révéler la plus redoutable de ses adversaires…
Le remake d’un film noir des années 40
Critique : Cela faisait plus de vingt-cinq ans que Guillermo del Toro souhaitait adapter une nouvelle fois le roman de William Lindsay Gresham intitulé Le charlatan. Ce titre est également celui d’une première version tournée en 1947 par Edmund Goulding avec Tyrone Power et Joan Blondell qui s’inscrivait totalement dans la vogue du film noir. En réalité, del Toro n’a tout simplement pas pu se rendre acquéreur des droits du bouquin, ce qui l’a donc empêché de réaliser ce rêve.
Grâce à l’entêtement de sa coscénariste et compagne Kim Morgan, Guillermo del Toro a finalement négocié avec la Fox détentrice des droits pour pouvoir effectuer un remake du film des années 40. Un accord étant trouvé, la production a été lancée et le scénario de Nightmare Alley a commencé à circuler à Hollywood, intéressant d’abord Leonardo DiCaprio qui renonce finalement au profit de Bradley Cooper. Le reste du casting comprend également quelques habitués du cinéaste comme Ron Perlman ou encore Richard Jenkins.
Un tournage marqué par la pandémie mondiale
Tourné en 2020, le long-métrage a été interrompu pendant plusieurs mois à cause de la pandémie de Covid-19. Finalement, le métrage a été terminé en décembre de la même année, mais sa sortie est repoussée pour décembre 2021 aux États-Unis. Ces vicissitudes ne semblent pas avoir entamé la volonté de Guillermo del Toro qui soigne une fois de plus le moindre plan de cet hommage respectueux envers le film noir. Certes très classique, sa réalisation s’avère d’une grande classe, avec d’amples et fluides mouvements de caméras, des éclairages superbes et des décors particulièrement riches et détaillés.
Cela commence pourtant par une première heure située au cœur d’une fête foraine où le personnage principal incarné avec autorité par Bradley Cooper se réfugie. Si l’on sent immédiatement l’amour que ressent del Toro pour cet univers réunissant des freaks, ainsi que des êtres cabossés par la vie, on ne voit pas très bien où le réalisateur veut en venir dans cette première partie trop longue. Certes, elle finira par apparaître nécessaire par la suite pour mieux comprendre les choix des différents personnages, mais del Toro a sans doute un peu trop fait confiance à l’intérêt suscité par ses protagonistes et oublie donc de créer une tension narrative forte. Ainsi, on peut trouver le personnage de Rooney Mara bien fade, là où les protagonistes secondaires sont bien plus intéressants grâce à des acteurs plus chevronnés comme l’excellente Toni Collette ou encore l’épatant David Strathairn.
Une première partie trop longue, relevée par la suite
Après cette entrée en matière que l’on aurait volontiers écourtée, Nightmare Alley plonge enfin dans une intrigue tortueuse digne du film noir des années 40. On retrouve dès lors avec un certain plaisir les archétypes de l’époque, à savoir l’antihéros qui se fourvoie, la femme fatale manipulatrice (Cate Blanchett en grande forme), mais aussi les puissants aristocrates qui peuvent se comporter comme des truands par abus de pouvoir (Richard Jenkins, toujours juste). Finalement, le long-métrage se referme peu à peu comme un piège autour du protagoniste principal, victime de sa volonté de tutoyer les élites au lieu de rester à sa place.
Dès lors, Nightmare Alley révèle une certaine cruauté puisque le métrage démontre que la bassesse humaine se retrouve absolument à tous les échelons de la société. Guillermo del Toro ne valorise ni les plus pauvres – toujours partants pour exploiter les plus faibles d’entre eux – ni les plus riches – qui ont les moyens d’être abjects avec leur prochain.
Un gros échec aux Etats-Unis
On peut donc regretter que l’ensemble manque un peu de mordant à cause d’une durée excessive qui fait que le discours se dilue parfois en des séquences inutiles ou redondantes. Jamais mauvais, mais jamais pleinement passionnant, Nightmare Alley a tout de même le mérite de proposer un spectacle adulte et qui s’inscrit pleinement dans une perspective cinématographique par la grâce de sa réalisation.
Son implacable échec américain est malheureusement symbolique de notre époque, puisque le long-métrage a affronté le troisième Spider-Man avec Tom Holland lors de son week-end d’investiture. Le résultat a été sans appel puisque le métrage de Guillermo del Toro a abdiqué avec moins de 10 millions de dollars de recettes pour un budget six fois supérieur. Triste, même si on peut comprendre le rejet occasionné par le film, vendu par une affiche hideuse sur un sujet banal et dans un genre passé de mode.
Critique de Virgile Dumez