Megalopolis n’est ni le chef d’œuvre voulu par son auteur, ni le navet assassiné à Cannes, mais plutôt un film-somme qui déborde d’idées, dont certaines sont pertinentes et d’autres à côté de la plaque. Le résultat n’est aucunement aimable, mais a le mérite de l’originalité.
Synopsis : Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
Un développement de près de 40 ans…
Critique : Projet pharaonique que Francis Ford Coppola a mis plus de 40 ans à concrétiser, Megalopolis était devenu une arlésienne qui hantait tous les entretiens du cinéaste durant plusieurs décennies. Après une première tentative plus aboutie dans les années 2000, mais stoppée nette par les attentats du 11 septembre 2001, Megalopolis possédait toutes les caractéristiques du projet maudit qui ne verrait jamais le jour. Pourtant, après avoir réalisé son petit navet horrifique Twixt (2011), le réalisateur semblait désireux de ne pas rester sur cette expérience et finit par relancer la machine en 2019.
Malgré la crise de la Covid-19, le réalisateur parvient à monter financièrement ce projet très ambitieux puisqu’il mobilise plus de 120 millions de dollars, sans l’apport du moindre studio, tous refusant de s’engager dans une telle entreprise. Megalopolis est donc un sacré cadeau que s’offre le cinéaste de la trilogie du Parrain et d’Apocalypse Now, coutumier des gros coups de poker – on se souvient de son Coup de cœur (1981) qui l’a laissé sur la paille au début des années 80. En tout cas, on ne pourra jamais reprocher à Coppola un manque d’ambition tant sa filmographie transpire à la fois la passion du cinéma et le goût du risque.
Prétention à tous les étages
Avec Megalopolis, Francis Ford Coppola souhaite délivrer un opus magnus, une œuvre-somme qui viendrait clore la carrière d’un auteur qui s’autoproclame un génie du septième art. Et effectivement, Coppola n’est pas là pour jouer les modestes et délivre avec Megalopolis un message à l’humanité tout entière : il faut cesser les luttes intestines et stériles pour retrouver l’esprit pionnier et aventureux faisant la grandeur de l’esprit humain. Rien de moins.
Pour cela, il met en scène un créateur génial, sorte d’alter égo du cinéaste interprété par un Adam Driver charismatique, qui va rencontrer d’importantes résistances de la part de son entourage dans sa volonté de créer une ville idéale. Le personnage synthétise à la fois la création artistique, mais aussi l’esprit d’innovation scientifique. Il est le Grand Architecte qui peut apporter l’Utopie aux Hommes, mais les politiciens médiocres et les financiers pusillanimes deviennent des obstacles qui empêchent l’Humanité de progresser.
Se servir des classiques du passé pour construire l’avenir
Ce protagoniste central, capable d’arrêter le temps, semble pouvoir abolir le présent, trouvant sa source d’inspiration dans le passé pour mieux inventer le futur. C’est en ce sens qu’il faut comprendre les premières séquences métaphoriques du long métrage. En réalité, Coppola ne va cesser de chercher l’inspiration dans le passé culturel de l’humanité, avec des références multiples à l’Antiquité, mais aussi à des classiques de William Shakespeare. Il cite également de manière plus ou moins explicite des grands classiques du cinéma muet qu’il adore, comme le Fritz Lang de Metropolis (1927), mais aussi les nombreuses surimpressions qui étaient la spécialité d’Abel Gance durant sa période muette, de loin la plus féconde.
Pour autant, cette base classique n’est là que pour servir de tremplin vers un avenir que le cinéaste souhaite radieux aux générations futures, pour peu que le peuple ne se laisse pas séduire par des populistes manipulateurs, ici représenté par un Shia LaBeouf tête à claques, sorte d’émanation de Donald Trump. Pour délivrer ce message d’espoir envers le futur, Coppola ne choisit pas la ligne droite, loin de là.
De trop nombreuses intrigues au service d’un propos simple
Durant le premier quart d’heure, le cinéaste multiplie les personnages et les intrigues secondaires au risque de perdre le spectateur le moins patient. Petit à petit, son propos se fait plus clair et une trame narrative plus évidente se dessine lorsque le réalisateur arrive en terrain connu, celui de la description d’un microcosme familial où les petites haines et les trahisons pullulent – on retrouve ici les obsessions développées dans la saga du Parrain. C’est assurément sur ce terrain que Coppola est le plus à l’aise. On le sent davantage entravé dans les scènes de foule, pourtant nombreuses.
En fait, Megalopolis a du mal à vraiment décoller à cause d’un défaut d’écriture majeur : l’histoire ne découle pas des personnages, mais de la volonté du cinéaste de délivrer un message. Ainsi, les différents protagonistes ont du mal à exister par eux-mêmes puisqu’ils ne sont en définitive que des archétypes destinés à démontrer quelque chose. Dès lors, on ne peut s’attacher à aucun d’entre eux, et ceci malgré les malheurs qui les accablent.
Megalopolis, une œuvre surchargée qui a le mérite de l’originalité
Sans doute trop préoccupé à en mettre plein la vue, Coppola oublie donc d’insuffler de la vie à ses protagonistes et se concentre trop sur sa réalisation – souvent belle – et sur ses fonds verts. Ce n’est d’ailleurs pas le point fort de Megalopolis que de proposer tant de décors factices issus du génie informatique. Certains plans sont réalisés avec goût, mais il aurait fallu que ses collaborateurs le freinent sur certaines idées plus contestables sur le plan esthétique. Très pompier dans ses décors, Megalopolis souffre également d’une bande originale peu inspirée de la part d’Osvaldo Golijov.
Enfin que dire de ces intermèdes où des aphorismes apparaissent gravés dans le marbre, si ce n’est que cela renforce l’impression déjà très prégnante d’une prétention à tous les étages. A trop vouloir créer le chef d’œuvre absolu, Coppola est donc passé à côté de l’essentiel pour délivrer un film testamentaire boursouflé qui risque d’éconduire bon nombre de spectateurs. En tout cas, il a assurément le mérite de corriger le tir du ratage Twixt, sans pour autant atteindre au sublime.
Finalement, son plus grand courage vient du fait qu’il nous propose un long métrage entièrement original à une époque où seul le recyclage semble d’actualité. Certes, on aurait aimé que l’ensemble soit plus cohérent et maîtrisé, mais la tentative a le grand mérite d’exister et de proposer une alternative somme toute assez motivante au cinéma mainstream. Et c’est déjà pas mal !
Critique de Virgile Dumez
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