Avec ses beaux portraits de femmes, May December est une œuvre mature qui ausculte la complexité des êtres sans jamais donner de leçons. La réalisation parfaitement maîtrisée et le jeu des acteurs en font un incontournable du moment.
Synopsis : Pour préparer son nouveau rôle, une actrice célèbre vient rencontrer celle qu’elle va incarner à l’écran, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays 20 ans plus tôt.
May December, le grand retour de Todd Haynes après quelques films mineurs
Critique : Après le très bon Carol (2015), le cinéaste Todd Haynes semblait s’être quelque peu égaré dans un cinéma plus académique avec Le musée des merveilles (2017) et Dark Waters (2019) où l’on peinait à retrouver son style si personnel. Avec May December (2023), il retrouve donc un univers qui lui est plus proche puisque le long-métrage est un drame indépendant qui s’intéresse notamment à la destinée de deux femmes dont les routes se croisent à la faveur de la réalisation d’un film, le tout étant situé dans un univers de petite ville américaine, comme autrefois Loin du paradis (2002), déjà avec la grande Julianne Moore.
Pour May December, Todd Haynes illustre le scénario de Samy Burch qui s’inspire d’une sordide histoire vraie s’étant déroulée au cours des années 90. Ainsi, Mary Kay Letourneau est une professeure de 34 ans qui est tombée enceinte d’un élève âgé seulement de 12 ans (d’où le titre May December qui est une expression américaine signifiant un grand écart d’âge au sein d’un couple). Bien entendu, l’affaire s’est soldée par l’emprisonnement de la prof peu farouche qui a, en plus, récidivé après avoir violé sa période de probation. Cette histoire folle a donc inspiré le scénario de May December, apporté à Todd Haynes par l’actrice Natalie Portman.
Todd Haynes, apôtre de la complexité des caractères
Intrigué par cette histoire hors normes, le réalisateur y a vu l’opportunité de peindre le portrait très mature de personnages ambigus et complexes. Alors que le spectateur accompagne l’actrice incarnée avec beaucoup de charisme par Natalie Portman dans sa découverte de l’histoire intime de la quinquagénaire interprétée par Julianne Moore, la suite du long-métrage ira finalement de surprises en surprises par sa volonté farouche de ne jamais simplifier la situation.
Loin de vouloir dénoncer quoi que ce soit, Todd Haynes demeure à hauteur de personnages en les respectant dans leur complexité humaine. Ainsi, l’actrice va petit à petit révéler des tendances manipulatrices afin d’obtenir ce qu’elle est venue chercher, tandis que la cougar reste une énigme par bien des aspects. Victime d’un passé terrible ou géniale manipulatrice, le personnage n’est pas facilement saisissable et garde ainsi toute son épaisseur.
May December est aussi un bel objet cinématographique
Enfin, le gamin abusé qui est désormais un adulte vivant aux basques de son ancienne professeure est interprété avec talent par Charles Melton (surtout connu pour la série Riverdale). Apparemment à l’aise avec son passé, le trentenaire va révéler peu à peu des failles béantes qui en font sans doute la véritable victime d’une situation où se pose clairement la question du consentement à un âge aussi jeune. Pour autant, le réalisateur n’est jamais explicite et se garde bien d’émettre le moindre jugement moral à propos de ses protagonistes. Ainsi, dans un grand élan de maturité, il laisse chaque spectateur se faire son idée.
Après un début sous forme d’enquête comme autrefois un certain Citizen Kane (Orson Welles, 1941), May December se rapproche à la fois du cinéma très sensoriel de Douglas Sirk, mais aussi de la complexité thématique d’un Ingmar Bergman – la référence à Persona (1966) est évidente par l’utilisation incessante des miroirs qui réfléchissent les deux personnages féminins. Désormais en pleine possession de ses moyens, Todd Haynes livre ici une réalisation parfaitement maîtrisée qui ne cherche jamais l’esbroufe, mais sert constamment son histoire. L’ajout de la musique de Michel Legrand issue du film Le messager (Joseph Losey, 1971), réorchestrée par Marcelo Zarvos, accompagne les multiples révélations par son côté dramatique et quelque peu emphatique. Elle est en tout cas utilisée à bon escient pour souligner le drame intime très profond qui se joue durant deux heures.
May December, le film de la maturité
Porté par deux actrices au firmament de leur talent, mais aussi par le jeu nuancé de Charles Melton, May December apparaît comme un véritable film de la maturité pour Todd Haynes dont on aimerait qu’il s’éparpille moins dans des projets mineurs pour se consacrer pleinement à son œuvre plus personnelle.
Présenté au Festival de Cannes où il a recueilli des avis positifs, mais n’a obtenu aucune récompense, May December est sorti dans une combinaison très limitée aux States afin de pouvoir concourir par la suite aux Oscars. En fait, sa carrière américaine se résume à une présence sur la plateforme Netflix. La France a donc le privilège de pouvoir découvrir cette œuvre passionnante et enthousiasmante sur grand écran. L’académie des Oscars n’a finalement sélectionné l’œuvre que pour son scénario. Celle-ci a préféré retenir l’horripilant Barbie pour concourir dans sept catégories. Signe des temps!
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 24 janvier 2024
Biographies +
Todd Haynes, Julianne Moore, Natalie Portman, Piper Curda, Charles Melton
Mots clés
Cinéma indépendant américain, Festival de Cannes 2023, Drame psychologique