Phénomène de société viral, Barbie est l’avènement d’une mondialisation qui galope à la vision culturelle unique, le fruit d’un nivellement par le bas orchestré par des groupes qui œuvrent pour servir à tous la même soupe, sans se soucier de la consistance du produit. On n’est pas très loin du nanar.
Synopsis : A Barbie Land, vous êtes un être parfait dans un monde parfait. Sauf si vous êtes en crise existentielle, ou si vous êtes Ken.
Le faux pas de Noah Baumbach
Critique : En provenance d’un pays qui a servi aux plus jeunes Alvin et les Chipmunks, Les Schtroumpfs, Scooby-Doo et Garfield, débarque Barbie. Mettez y quelques stars appréciées et un sujet sociétale bouffi de pauvreté dans son traitement intellectuel pour un recours systématique à l’émotion, et vous aurez cette pauvresse de Barbie.
Au-delà des préjugés à l’idée de voir un film ancré dans l’insupportable monde des poupées Mattel, que l’on peut à raison vomir depuis sa petite enfance, pour sa mièvrerie et le mercantilisme que la poupée représente, on y a cru. Un peu. Par l’investissement de Greta Gerwig et surtout Noah Baumbach qui est co-auteur du scénario. La puissance du cinéma ciselé du Monsieur, qui a écrit et réalisé Les Berkman se séparent et Marriage Story nous laissait espérer un traitement différent du divertissement décérébré calibré pour les foules. Et si le duo issu d’un cinéma indépendant volubile et psychologique, fin et plein d’esprit, livrait une satire acerbe et adulte sur cet univers de plastique pour trancher dans le lard de la superficialité faite, homme ou femme, car à vrai dire, Ken et Barbie, même combat, ils sont tous deux insupportables.
Un produit à vendre, des responsabilités plein les épaules, Greta Gerwig embarrassée
Il n’en sera jamais question. Et pour cause. Il s’agit d’une adaptation destinée aux foules de gamins qui ne comprendront rien au double sens des dialogues et achèteront des figurines et des produits marketés. Insupportable Barbie. Elle a coûté 100 millions de dollars à l’écran. Il faudra manipuler ses premiers pas “live” de façon pas trop finaude pour ne pas s’aliéner le public (rappel, Ma sorcière bien aimée et sa mise en abîme trop à l’écart de la série originale avait floppé dur en 2005).
Dans ce qui cloche, il y a la forme qui épouse maladroitement le ton. Maladroitement, car il s’agit de la solution de facilité pour ne pas transgresser, pervertir, au royaume gentillet de l’égérie blonde des enfants. On ressent chez Greta Gerwig, qui s’amuse beaucoup à la réalisation et, honnêtement, elle aurait tort de s’en priver, une jubilation constante de se mettre au niveau, et non pas à dos, la société Mattel qui a bâti un empire sur la poupée mythique et qui a beaucoup d’enjeux dans cette aventure. Elle a d’ailleurs accepté d’être mise en scène, a priori pas de façon pas avantageuse dans le récit, pour mieux ironiser sur l’ADN capitaliste de ce qu’elle est en tant que boîte capitalisée. Pour Gerwig, la politique macroniste du “en même temps” est constante. La cinéaste doit prouver en tant que femme qu’elle peut réussir. Elle en porte la responsabilité de genre mais aussi les responsabilités commerciales vis-à-vis d’une boîte qui vend des effigies pour gamines. Elle doit aussi être à la hauteur des attentes du studio Warner qui a cru en elle. Et on l’a sent perchée dans la symbolique genrée par rapport à l’époque qui lui permet peut-être plus d’indulgence. Et puis, en tant qu’artiste qu’elle est et qu’elle reste, on ressent l’ébullition d’enjeux créatifs qui excitent son âme d’artiste. Elle est sincère dans sa démarche et veut livrer le divertissement ad hoc pour la société dans laquelle elle gravit les échelons. Cependant, si dans Barbie, beaucoup est dit, montré, discuté, tourné en dérision, dans un joyeux bordel de comédie décousue, ce qui anime Gerwig, cela nous laisse coi.
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Laid, fade, lustré, bienvenue à Barbie Land
L’univers laid est lustré, chouchouté ; il est sublimé dans son impitoyable artificialité. Le monde de Barbie n’est pas vraiment attaqué, et en tant qu’adultes qui ont passé l’âge, on n’a que faire des états d’âmes effleurés d’une poupée aussi peu cinégénique. Cet univers aurait pu être rudoyé pour ce qu’il représente dans ce film même, à savoir la quintessence d’une mièvrerie ici caressée avec beaucoup de bienveillance. Cette mièvrerie prend tout son sens dans la surenchère d’inclusivité totalement fabriquée, qui est une esquisse bâclée de la complexité humaine. La différence humaine réduite dans le casting prédigérée à l’avance d’œuvres globales.
Barbie préfère cajoler les très jeunes spectateurs qui aiment y jouer plutôt que d’avoir recours à une ironie, une insolence, voir un cynisme qui aurait gagner à dynamiter cette mascarade. Un peu comme Peter Jackson à l’époque des Feebles qui dynamitait le Muppet Show, sans aller dans le trash, évidemment, on parle d’un blockbuster estival à 100 millions de dollars. Mais comme le cynisme est désormais un gros mot plutôt qu’un talent qui se cultive, il faudra se contenter d’une réflexion combattive mais acidulée contre le joug de la femme qu’elle s’impose dans son acceptation de l’image que l’homme lui renvoie.
Féminisme des cours de récréation
Si on est convaincu par la réalité de ce regard dans notre existence de spectateurs bien réels, dans le film, rien ne nous convainc. Le pays de Barbie demeure un temple de bêtise jamais écorné et le rythme hystérique se contente d’enfiler les perles sur le patriarcat avec le mauvais goût des carences artistiques. Rire des mecs, beaufs et masculinistes, cela nous plait, mais à condition de mettre un coup de pied dans la fourmilière. A l’instar des productions américaines citées plus haut, Barbie est une horreur de superficialité où tout le monde sourit, chante et applaudit sur un rythme effréné, où le montage agresse la narration comme sur une vidéo TikTok, toujours dans la précipitation vers sa propre chute. Les scènes se succèdent dans une indigence scénaristique totale.
Greta Gerwig a un fil conducteur, abattre le patriarcat qui voudrait s’infiltrer dans le monde innocent de Barbie, et pour cela, elle ne dispose que d’1h54 pour planter le décor, faire des allers-retours entre le monde des jeux où la fête est permanente et le monde réel, où elle voudrait en plus vilipender le mercantilisme autour de la condition de la femme objet. Pas de bol. L’univers qu’elle met sur un piédestal est en creux tellement ennuyeux qu’on lui préfèrerait celui du patriarcat débauché qui, ailleurs, pourrait nous faire sourire par sa bêtise. Les personnages réels joués par America Ferrera et Ariana Greenblat sont particulièrement indigents dans leur absence de substance, puisqu’elles régurgitent tous les poncifs féministes de l’époque. On a déjà entendu tout cela dans d’autres bouches et en tellement mieux. Come on, mesdames. Vous pouvez mieux faire. Qui a envie de suivre et de s’identifier à cette mère et sa fille en rupture générationnelle, si ce n’est quelques adolescents auxquels le film passe très bien au vu de son formidable triomphe. Les avoir choisies pour accompagner Barbie dans ses voyages entre deux mondes, à la façon d’un Bob l’éponge quand il passe de l’autre côté de la bobine, le délire en moins, pour nous, c’est consternant, cela va sans dire.
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Un film 100% bienveillant et inclusif
La principale victime de ce traitement par le turbo est le personnage de Barbie elle-même. Margot Robbie honorable contrairement au reste du casting car elle surjoue beaucoup moins, a le physique de l’emploi. Sa beauté caricaturale faisait d’elle une Barbie toute désignée. Malheureusement, ses questionnements sur la cellulite, l’obsolescence d’être, le droit à disposer de son corps, de vieillir, tout est toujours très mal géré ; on lui fait déblatérer des sottises. Quand elle découvre une femme âgée dans le vrai monde et qu’elle la regarde avec émerveillement en lui disant, vous êtes belle, on reste effaré par l’écriture. Margot Robbie bascule dans des dialogues éculés et ingrats qui voudraient récompenser les spectateurs pour la beauté qu’ils n’ont pas. Non, être vieux, ce n’est pas être beau et pour cela, il aurait fallu un traitement plus angoissant par moment, en plaçant réellement Barbie face aux vertiges de la réalité de la vie. Vieillir angoisse, déprime, et on n’aurait aimé voir l’idole des blondes vraiment déprimée, cela aurait été plus drôle.
Barbie, pas mieux que Alvin et les Chipmunks et Les Schtroumpfs
Aussi, au sein d’un casting aux abonnés absents, totalement insignifiants, on préfèrera uniquement le personnage burlesque de Kate Mckinnon en Barbie dérangée, égale à elle-même, azimutée, allumée. Même si elle se contient, elle demeure le seul personnage séduisant dans ce monde propret où l’intégralité des personnages est au mieux insignifiante, au pire insupportable, mais jamais transgressive. La Palme de la nullité revient à Will Ferrell dans un surjeu éprouvant. En patron de chez Mattel, la vedette américaine patauge comme gimmick humain que l’on croirait tiré de l’adaptation de Sonic le film, qui est à nos yeux un sacré nanar, n’en déplaise aux millions qui auront consommé et adoré le bolide à épines sur le grand écran. Ferrell reproduit le burlesque américain du surjeu, celui que les personnages humains incarnent dans n’importe quelle comédie grimaçante où ces humains cabotinent face à des animaux qui parlent qui in fine existent encore moins que les entités animées dont ils servent seulement de faire-valoir. Les douloureux souvenirs d’Alvin et les Chipmunks ou de La forêt contre attaque, avec Brendan Fraser, nous reviennent immédiatement à l’esprit.
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Dans ce Barbie World, rien n’est fantastique, surtout pas la bande originale. Dans ce film toc qui a trouvé sa place douillette dans le vide de son époque, la musique à la mode, parmi la plus naïve et la plus fade des plateformes musicales de streaming, vomit ses hits cruches et casse les oreilles : l’horrible “Pink” de Lizzo, l’inaudible “Silver Platter” de Khalid, “Barbie Dreams” de Fifty Fifty… On épargnera une poignée de titres plus écoutables signés Tame Impala et Haim. Au moins, on remerciera la production de nous avoir épargner la présence de Taylor Swift qui avait pourtant toute sa place dans ce royaume d’indigence, tant son répertoire est à l’unisson avec cette production. Mais, c’est un autre sujet.
Ryan Gosling peut aller se rhabiller
Mais avant de finir, quid de Ryan Gosling, dans ce flot d’amertumes totalement subjectif et assumé. Du blondinet enfin bankable au box-office, on lui reconnaîtra savoir bien danser, mais ses qualités s’arrêtent là. L’acteur n’a ni le physique ni l’âge pour être crédible en Ken. Cependant, avec le temps, il a développé la qualité essentielle de Monsieur Barbie : il est totalement inexpressif. Ce qui passait pour un jeu de conviction dans des drames humains froids comme Drive ou The Place Beyond the Pines, se résume à une évidence. On a perdu l’acteur depuis longtemps. Ici, il n’est qu’un élément insipide de plus dans un produit marketé qui, n’en déplaise à Greta Gerwig, est tout sauf un film d’auteur.
Sorties de la semaine du 19 juillet 2023
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Biographies +
Greta Gerwig, Noah Baumbach, Alexandra Shipp, Michael Cera, Ryan Gosling, Margot Robbie, Ray Fearon, Kate McKinnon, Ariana Greenblatt, Emerald Fennell, John Cena, Simu Liu, Emma Mackey, Ritu Arya, Hari Nef, Lucy Boynton, America Ferrera