Efficace poliziottesco, Les féroces porte la marque nihiliste de son scénariste Fernando Di Leo dans sa description d’une jeunesse sans foi ni loi. La réalisation de Guerrieri n’en demeure pas moins efficace tandis que les acteurs assurent le spectacle, par ailleurs très violent.
Synopsis : Trois fils issus de familles aisées et tombés dans la délinquance vont mettre la ville de Milan à feu et à sang en multipliant les braquages, actes de vandalisme et agressions.
Un scénario de Fernando Di Leo tourné par Romolo Guerrieri
Critique : Au milieu des années 70, le sous-genre du poliziottesco est en pleine expansion et les producteurs italiens multiplient donc les financements de ce type de spectacle où la violence s’étale sur les grands écrans. Parmi eux, Fernando Di Leo est l’un des artisans les plus populaires, lui qui a connu la gloire grâce à des œuvres marquantes comme Milan calibre 9 (1972). Il retrouve d’ailleurs l’auteur de polars milanais Giorgio Scerbanenco lorsqu’il adapte une de ses nouvelles qui donnera Les féroces (1976).
Pourtant, sans doute trop occupé avec ses propres réalisations, Fernando Di Leo propose son scénario au cinéaste Romolo Guerrieri qui accepte de le tourner, lui qui avait déjà tâté du polar avec succès (Exécutions en 1969 ; La police au service du citoyen en 1973 ou encore Un homme, une ville en 1974). Habile artisan qui n’est autre que le frère de Marino Girolami, Romolo Guerrieri s’est donc largement inspiré du style direct et efficace de Di Leo pour faire des Féroces une œuvre abrasive.
Rebelles sans cause
Comme souvent avec les films inspirés de Scerbanenco, le contexte milanais est très important puisque la ville représente à elle seule le succès du miracle économique italien, mais aussi les contradictions à l’œuvre dans la société transalpine du début des années 70. Tandis que la jeunesse connaît une situation enviable par la réussite de leurs parents, celle-ci se retrouve désœuvrée et sans cause réelle à défendre. C’est le cas des trois jeunes délinquants du film qui sont tous issus de la bourgeoisie, mais qui se trouvent en rupture avec leur entourage.
Si leurs exactions du début font inévitablement songer à celles des Brigades rouges, le spectateur va rapidement comprendre que nulle revendication sérieuse ne sous-tend les actions violentes du trio. Ainsi, les massacres n’ont aucun but réel si ce n’est de se divertir et de tromper le destin avec la mort. Alors que le long métrage débute doucement par un casse raté qui tourne à la boucherie devant les yeux du commissaire incarné par un Tomas Milian étonnamment sobre, la suite va se révéler bien plus corsée. Ainsi, le titre français Les féroces n’est aucunement usurpé tant les trois jeunes s’avèrent sans limites.
La jeunesse du massacre
Avec son scénario simplement linéaire, Les féroces décrit donc la traque implacable des jeunes loups assoiffés de sang par une police totalement dépassée par les événements et qui doit se résoudre à comptabiliser les morts sans pouvoir rien y faire. Le procédé est certes répétitif, mais le cinéaste est parvenu à varier les approches des différentes péripéties, tandis qu’il s’est appuyé sur un trio d’acteurs formidable dont un Stefano Patrizi à la figure d’ange dissimulant un véritable psychopathe. On peut aussi saluer le jeu outré de Benjamin Lev – qui fut arrêté en plein tournage pour trafic de drogues et condamné à un an de prison – ainsi que celui de la toute jeune Eleonora Giorgi.
A leur poursuite, Tomas Milian n’est aucunement la star du film puisqu’il interprète un commissaire totalement dépassé. Il incarne en réalité une figure d’autorité qui serait en quelque sorte le pivot moral du polar et sans doute le personnage le plus proche du réalisateur. Déboussolé par cette jeunesse sans loi, le cinéaste semble se désoler d’un tel ensauvagement, tout en rejetant la faute sur les parents bourgeois qui n’arrivent pas à contrôler leurs chers bambins. Preuve est faite que les thématiques ne changent guère d’une époque à l’autre puisque ces questionnements agitent encore notre société dans ces années 2020.
Les féroces n’a pas volé son titre français
Toutefois, Les féroces n’est pas réductible à son constat sociétal glaçant qui rejoint celui de La jeunesse du massacre (Fernando Di Leo, 1969), film séminal s’il en est. En bon artisan du bis rital, Romolo Guerrieri s’acquitte de sa tache avec une description sans fard de l’extrême violence de cette jeunesse folle. Le métrage décrit donc non seulement des fusillades sanglantes, mais aussi des viols collectifs et des assassinats gratuits destinés à satisfaire les pulsions mortifères des jeunes gens.
A cela, il faut également ajouter un sous-texte homosexuel clairement insistant. Visiblement homophobes dans leurs propos, les deux héros principaux joués par Stefano Patrizi et Max Delys semblent liés par une amitié homoérotique non déclarée et surtout non assumée. Les cinéphiles pourront d’ailleurs s’amuser du fait que le duo termine de la même manière que le duo lesbien de Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991).
Une exploitation française en VHS, puis au cinéma
Ayant connu un petit succès en Italie, Les féroces n’est pourtant pas parvenu jusqu’en France avant une édition VHS chez VIP sous le titre absurde de Racket Boys (Libres, Désespérés, Violents.) en 1984. Toutefois, le plus étonnant vient de la sortie tardive du long métrage sur nos écrans, sous le titre Les féroces, près de dix ans après sa réalisation. La distribution est furtive, très certainement via la société Mondial Films durant l’été 1985, en province, et une semaine, à Paris, en décembre 1985, vraisemblablement sous l’égide de Métropolitan FilmExport.
Dans le livret du blu-ray publié par Elephant Films en 2023, Alain Petit précise également que le film serait sorti en province sous le titre Jeunes, désespérés, violents, sous titre de la VHS VIP. A voir.
Désormais, le thriller violent est donc disponible dans une copie restaurée de bonne qualité et pourvue de documents intéressants avec des entretiens précieux avec le cinéaste Romolo Guerrieri.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 11 décembre 1985
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Biographies +
Romolo Guerrieri, Tomás Milián, Venantino Venantini, Diego Abatantuono, Stefano Patrizi, Benjamin Lev, Max Delys, Eleonora Giorgi
Mots clés
Poliziottesco, Les délinquants au cinéma, Les cavales au cinéma, Jeunesse paumée au cinéma