Les chevaliers teutoniques : critique et test blu-ray (1961)

Historique, Guerre | 2h52min
Note de la rédaction :
7/10
7
Les Chevaliers teutoniques, l'affiche

  • Réalisateur : Aleksander Ford
  • Acteurs : Leon Niemczyk, Mieczyslaw Kalenik, Urszula Modrzynska, Grazyna Staniszewska, Andrzej Szalawski, Henryk Borowski, Aleksander Fogiel
  • Date de sortie: 26 Mai 1961
  • Nationalité : Polonais
  • Titre original : Krzyzacy
  • Titres alternatifs : Knights of the Teutonic Order (titre international) / Die Kreuzritter (Allemagne) / Los caballeros de la cruz (Mexique) / Los caballeros teutónicos (Espagne) / Os Cavaleiros Teutónicos (Portugal) / I cavalieri teutonici (Italie) / Keresztesek (Hongrie)
  • Année de production : 1960
  • Scénariste(s) : Aleksander Ford, Leon Kruczkowski, et Jerzy Stefan Stawiński d’après le roman Les Chevaliers teutoniques de Henryk Sienkiewicz (1900)
  • Directeur de la photographie : Mieczyslaw Jahoda
  • Compositeur : Kazimierz Serocki
  • Société(s) de production : Zespól Filmowy "Studio"
  • Distributeur : Athos Films
  • Éditeur(s) vidéo : Artus Films (Mediabook, 2022)
  • Date de sortie vidéo : 4 octobre 2022
  • Box-office France / Paris-périphérie : 1 002 362 entrées / 184 647 entrées
  • Box-office nord-américain : -
  • Budget : -
  • Rentabilité : -
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 2.35 : 1 / Couleurs (Eastmancolor) / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : Festival de Venise 1960 : en compétition
  • Illustrateur / Création graphique : Jean Mascii (affiche d'époque) / Benjamin Mazure (design Mediabook, 2022)
  • Crédits : Artus Films
Note des spectateurs :

Grande fresque nationaliste polonaise, Les chevaliers teutoniques séduit par son ampleur et son intrigue joliment tricotée. Malgré ses raccourcis historiques, le spectacle se suit avec plaisir grâce à un travail de reconstitution admirable.

Synopsis : Pologne, début du XVe siècle. À l’origine, ordre religieux destiné à protéger les pèlerins se rendant en Terre Sainte, les chevaliers teutoniques ont créé leur propre État tout-puissant, implantant leurs commanderies un peu partout en Europe. Le seigneur Jurand de Spychów croise un jour une troupe de Teutoniques emmenant des marchands injustement capturés.

Il les met en déroute, et l’unique rescapé, le commandeur Siegfried von Löwe se venge en incendiant sa demeure fortifiée et assassinant sa femme. La tension va monter, en parallèle de l’émergence du royaume polonais, voulant se défaire de l’emprise des chevaliers. Jusqu’à la fameuse bataille de Tannenberg, qui sera fatale à l’Ordre.

Vive la Pologne libre !

Critique : A la fin des années 50, le cinéma polonais est entièrement dominé par une structure d’Etat communiste. Même si la doxa contraint les cinéastes à adopter le style officiel du réalisme socialiste, les grands pontes sont à la recherche de subsides qui permettraient de hisser le cinéma polonais au top niveau des pays de l’Est. Pour cela, ils décident de surfer sur le succès international rencontré par des fresques historiques monumentales comme Ben-Hur (Wyler, 1959) ou encore Quo Vadis (LeRoy, 1951), ce dernier étant d’ailleurs adapté d’un célèbre roman polonais de Henryk Sienkiewicz.

Auteur majeur de la fin du 19ème siècle, Sienkiewicz est considéré comme un écrivain important pour les nationalistes polonais. Il était donc envisageable d’adapter une autre de ses œuvres monumentales, à savoir Les chevaliers teutoniques (1900). Dès 1960, la société d’Etat Zespól Filmowy “Studio” investit une fortune dans la création de cette grande fresque historique à forte teneur nationaliste. Pour mener à bien ce projet pharaonique, ils engagent le réalisateur Aleksander Ford, pourtant empêtré dans des problèmes avec la censure à cause de son film précédent Le huitième jour de la semaine (1958) qui a fortement déplu par son contenu défaitiste à propos de la jeunesse polonaise.

La première superproduction du cinéma polonais

Plutôt habitué aux drames sociaux et intimistes, Aleksander Ford ne semble pas le meilleur choix pour tourner Les chevaliers teutoniques (1960), porteur de valeurs opposées à celles de son cinéma. L’auteur se plie toutefois à l’exercice afin de retrouver les bonnes grâces du régime, lui qui a toujours été un fervent communiste. Pour arriver à retranscrire au mieux ce touffu roman de Sienkiewicz, Ford dispose d’énormes moyens. Il tourne en Cinémascope sur une pellicule Eastmancolor et peut compter sur 10 000 figurants et 470 chevaux. Ces dépenses se voient à l’écran, notamment lors de la fameuse séquence de la bataille finale qui oppose les Slaves et Polonais aux chevaliers teutoniques à Grunwald (nom polonais traduit en Tannenberg du côté allemand).

Les chevaliers teutoniques, détails du Mediabook

© 2022 Artus Films / Design : Benjamin Mazure. Tous droits réservés.

Il était très difficile de concentrer la multitude de péripéties et de personnages du roman en film. Aussi, la première heure s’avère assez ardue à suivre pour qui ne maîtrise pas un minimum l’histoire polonaise de la fin du Moyen-âge et notamment l’opposition des princes polonais avec les chevaliers de l’Ordre teutonique. Le cinéaste insiste sur la complexité géopolitique de la situation et introduit une bonne quinzaine de personnages en assez peu de temps, tous dotés de noms compliqués. Autant dire que le public français doit s’accrocher pour bien comprendre les tenants et aboutissants de ce qui se joue à l’écran. Heureusement, le réalisateur se concentre davantage par la suite sur les tragédies que traversent les protagonistes et atteint ainsi de nouveau à l’universel grâce à un ton tragique davantage porteur pour le spectateur.

Les chevaliers teutoniques contribue à valoriser le peuple polonais

On ne peut qu’être ému par le destin tragique de Jurand de Spychow (très bon Andrzej Szalawski) qui perd au cours du film sa femme et sa fille, ainsi que la vue, par la cruauté de son ennemi de toujours Siegfried de Löwe (très charismatique Henryk Borowski). La plupart des péripéties s’avèrent palpitantes et finissent donc par emporter l’intérêt d’un spectateur récompensé des efforts fournis durant la première heure. Le spectacle est assurément captivant et permet en outre de revisiter une période historique rarement évoquée à l’écran.

Si Alexandre Nevski (Eisenstein, 1938) exposait le point de vue russe sur les actions barbares des Chevaliers teutoniques, le film polonais de 1960 les étrille tout autant. Il s’agissait pour les auteurs de valider la thèse de la légende noire des Chevaliers teutoniques qui devaient initialement convertir les païens des pays germaniques et du nord de l’Europe. Pourtant, peu à peu, l’Ordre s’est constitué comme un Etat parallèle avide de capter davantage de terres, y compris sur des espaces déjà christianisés comme la Pologne (depuis 966 et le baptême de Mieszko Ier). Le film, tout comme le roman de Sienkiewicz, insiste donc sur la perfidie, la violence et la traitrise des membres de l’Ordre, tandis que les personnages polonais sont tous des exemples de bravoure et de loyauté.

Et si les Chevaliers teutoniques étaient une version moyenâgeuse des nazis ?

Cette vision réductrice des Chevaliers teutoniques (1960) se double d’une seconde interprétation qui explique la validation du projet par les communistes au pouvoir. Il s’agissait avant tout de raconter la glorieuse résistance du peuple polonais face à l’envahisseur germain. Autant dire que le film évoque tout autant le Moyen-âge que la Seconde Guerre mondiale. Pas étonnant donc de voir le peuple allemand chargé de tous les défauts du monde, face à des Polonais vertueux.

Alors que cette simplification historique et idéologique doit être présente à l’esprit, Les chevaliers teutoniques peut toutefois être regardé comme une œuvre de premier plan. Un soin maniaque a ainsi été apporté aux décors et aux costumes afin d’éviter les anachronismes. Les valeurs chevaleresques qui sous-tendent toute l’intrigue correspondent parfaitement à la mentalité de l’époque. Enfin, les combats ne souffrent pas des raccourcis vus par exemple à Hollywood ou Cinecittà. Ainsi, la bataille de Grunwald – Tannenberg est parfaitement retranscrite, avec ses rituels d’engagement, sa défense acharnée de la bannière et ses différentes vagues d’attaque. Certes, la bataille de sept heures a été résumée en quinze minutes de film, mais l’ensemble constitue une reconstitution franchement valeureuse.

Un bel ouvrage récompensé par un grand succès international

Réalisé avec talent par Aleksander Ford, Les chevaliers teutoniques commence par des séquences d’exposition trop classiques et un peu statiques qui souffrent d’éclairages trop francs et sans profondeur (un défaut constant au début des années 60). Cela s’arrange heureusement par la suite lorsque le cinéaste aborde les séquences plus dramatiques. Il est alors capable de tourner de beaux panoramiques sur des décors somptueux (on songe alors à Wojciech J. Has), tout en utilisant un style proche de l’expressionnisme soviétique. Malheureusement, on le sent contraint par les exigences du studio et Les chevaliers teutoniques demeure sans doute un peu trop sage pour s’élever au rang des œuvres incontournables du cinéma mondial.

Sorti en grande pompe en Pologne, le long-métrage a généré 14 millions d’entrées rien que dans son pays en restant quatre ans à l’affiche. Également proposé au public français, Les chevaliers teutoniques a connu une carrière très longue et qui a fini par générer de bien belles recettes. Tandis que les entrées parisiennes se sont arrêtées à 184 647 guerriers, la France entière a davantage été réceptive avec finalement 1 002 362 entrées étalées sur plusieurs années d’une exploitation au long cours.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 26 mai 1961

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Les Chevaliers teutoniques, l'affiche

© 1960 Zespól Filmowy “Studio” / Affiche : Jean Mascii. Tous droits réservés.

Biographies +

Aleksander Ford, Leon Niemczyk, Mieczyslaw Kalenik, Urszula Modrzynska, Grazyna Staniszewska, Andrzej Szalawski, Henryk Borowski, Aleksander Fogiel

Le test du Mediabook :

Artus Films ressort un classique du cinéma polonais invisible depuis fort longtemps dans nos contrées. Un pari culotté. Nous, on valide.

Compléments & packaging : 5 / 5

Certes, l’éditeur Artus Films ne disposait pas de bonus vidéo, mais les efforts pour faire de cette sortie un événement sont à saluer. Tout d’abord, on adore toujours autant le format livre de cette collection de Mediabook qui font partie des plus beaux actuellement sur le marché. Le packaging est luxueux et propose en son centre un véritable livre de 80 pages écrit par l’historien, spécialiste des Chevaliers teutoniques, Sylvain Gougenheim.

L’auteur revient tout d’abord sur la carrière complète d’Aleksander Ford, complexe et assez méconnue. Ensuite, il analyse le film et sa portée idéologique. Toutefois, la partie la plus intéressante – et aussi la plus ardue – est celle consacrée à la véritable histoire des luttes entre chevaliers de l’Ordre et les Polonais. L’auteur essaye ainsi de ne pas tomber dans le travers de l’idéologie et veut rétablir quelques vérités écornées par le film. C’est en tout point passionnant, et de plus, richement illustré.

Sur la galette même, l’éditeur propose un court diaporama de 2min.

L’image du blu-ray : 5 / 5

C’est assurément le point fort de cette édition avec une restauration en 2K de toute beauté. La définition est ici impeccable, tandis que toute trace de griffures et points blancs a été effacée. On notera aussi une belle fluidité de l’image, notamment lors des mouvements de cavalerie que n’auraient pas renié John Ford. Du très bon boulot, soutenu par des couleurs pimpantes (et un brin kitsch tout de même).

Le son du blu-ray : 3,5 / 5

Proposé dans deux pistes frontales, le film doit avant tout être dégusté en version originale sous-titrée afin de profiter d’un plus grand naturel des comédiens. D’ailleurs, la version française passe de temps à autre en polonais car le film a subi des coupes lors de son passage sur les écrans français. Dans tous les cas, la piste est efficace, dans les limites imposées par un mono qui n’offre pas une grande amplitude lors de la bataille finale.

Test du Mediabook : Virgile Dumez

Les chevaliers teutoniques, jaquette Mediabook

© 2022 Artus Films / Design : Benjamin Mazure. Tous droits réservés.

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