Légendes d’automne d’Edward Zwick est un mélo à Oscars beau, mais pataud, qui excelle dans la prétention, la facilité d’écriture et les formules narratives tire-larmes. Un succès en 1995 aussi grotesque que réjouissant qui est le produit de son époque.
Synopsis : Révolté par le sort réservé aux tribus indiennes, le colonel William Ludlow quitte la cavalerie pour s’installer avec sa femme, Isabel, dans un ranch perdu du Montana. Fuyant la rigueur des hivers, Isabel finit par déménager en ville, laissant derrière elle leurs trois fils : Alfred, Tristan et Samuel. Ces derniers grandissent avec leur père et une poignée d’employés agricoles, parmi lesquels Un-Coup, un Indien du peuple cri, qui transmet à Tristan son amour de la liberté et des grands espaces. Au printemps 1914, quand Samuel ramène de la ville Susannah, avec laquelle il vient de se fiancer, Alfred et Tristan s’en éprennent immédiatement. Peu après, alors que la guerre vient d’éclater en Europe, tous trois se portent volontaires pour partir combattre aux côtés de l’Angleterre…
Légende de printemps : naissance du phénomène Brad Pitt
Critique : Quand Légendes d’automne sort aux USA à la fin de l’année 1994, Brad Pitt est une vedette fraichement découverte. Depuis Thelma et Louise et son look de jeune playboy des routes, c’est essentiellement dans des films indépendants (Johnny Suede, Cool World), notamment grunge (True Romance, Kalifornia) qu’il sévissait. Il commençait aussi à gravir des échelons à Hollywood dans des productions de studio comme Et au milieu coule une rivière de Redford et Entretien avec un vampire, avec Tom Cruise en Lestat décadent en tête d’affiche. Beaucoup de succès pour une star en devenir qui se façonne une carrière solide. Le jeune acteur qui deviendra une star en 1996 avec Seven et L’armée des douze singes, puis Sleepers, trouve avec Légende d’automne un bel écrin mélodramatique à grand spectacle pour resplendir de sa beauté juvénile exceptionnelle et satisfaire les audiences féminines. Le film, de sa photographie à sa réalisation, semble entièrement avoir été tourné autour de son minois d’exception.
Légende d’hiver : le film à Oscar passe à côté de la récolte
Toutefois, malgré un gros succès mondial, y compris américain, le drame familial tempétueux sur plusieurs générations, ne sera pas le succès critique attendu, avec des papiers ternes et trois nominations techniques aux Oscars où il ne remportera que la statuette de la photographie. Méritée. Elle est superbe. TriStar y croyait et avait logiquement placé son pion du grand terroir américain le week-end de Noël 1994, sur un circuit nord-américain ultra-limité afin que l’œuvre puisse concourir aux Oscars. Le reste du monde, dont la France et le Royaume-Uni, devront attendre avril 1995 afin de pouvoir profiter de la moisson éventuelle de prix qui ne viendra finalement pas. Pourtant, le genre mélodramatique était alors très apprécié, avec les succès des Howards End, Danse avec les loups, Philadelphia, Les vestiges du jour, La leçon de Piano, La maison aux esprits…
Logiquement, en 1995, l’épopée romantique et virile était le parfait véhicule pour le talent tout en retenu d’Anthony Hopkins devenue une figure mythique en 1991 avec Le silence des agneaux. Il était passé maître des émotions refoulées dans des œuvres de l’académisme comme Retour à Howards End, Les vestiges du jour, Chaplin, Les ombres du cœur…
Légendes d’automne et ses “3 frères”
Aux côtés d’Hopkins, ses deux autres garçons à l’écran, autre que le personnage rebelle qu’incarne Brad Pitt, quelques seconds rôles moins remarquables en la personne de Henry Thomas, le gamin de E.T. dont le jeu adulte ne sera jamais très satisfaisant, et Aidan Quinn, acteur new-wave vu dans Recherche Susan Désespérément, triomphe de la comédie indie avec Madonna en 1985. Ils ne participent pas à la réussite éventuelle du film où trois frères aux personnalités différentes convoitent la même femme.
Julia Ormond, premier rôle féminin fade
Le premier rôle féminin, essentiel dans cette longue histoire de western et de guerre, ponctuée par la mort, est malheureusement campé par Julia Ormond. Epouse, veuve, maîtresse, l’actrice peu charismatique passe d’homme à homme dans une fratrie où elle est rarement intense. La jeune femme sortait de The Baby of Macon de Greenaway et connaissait alors deux trois années de présence faste sur le grand écran (Lancelot avec Sean Connery et Richard Gere, le remake de Sabrina avec Harrison Ford, Smilla) avant un léger rebond du côté de la Russie (Le Barbier de Sibérie de Nikita Mikhalkov, 1999, production cannoise qui marqua les cinémas indépendants en son temps), avant de disparaître des préoccupations des spectateurs dans des seconds rôles insipides.
Pas de gloire pour Edward Zwick, réalisateur de Glory
Ce faste d’un joli budget de 30 millions de dollars marque une fois de plus l’attachement hollywoodien à servir la soupe d’une brique de qualité, où tout paraît artisanal, mais rien ne l’est vraiment. Edward Zwick à la réalisation (titre de gloire passé… Glory, prestigieuse épopée sur la guerre de Sécession, réalisée en 1989), brosse une peinture atavique d’une Amérique rurale de western à l’époque de la grande guerre européenne. Malgré une réalisation majestueuse, le cinéaste démontre surtout qu’il n’est et ne sera jamais un auteur à part entière, le talent ancré dans l’illustratif, le maniérisme et le pompeux, comme sa manière de diriger des acteurs toujours dans la démonstration et la pause.
Des morts et des larmes
Longue chronique sur plusieurs décennies où l’on naît et meurt en ponctuation d’un récit larmoyant qui force l’émotion, Légendes d’automne appartient aux produits sirupeux qui osent étirer l’espace-temps plus qu’il n’en faut. L’aspect contemplatif – les décors éthérés -, les tempêtes de l’histoire (la guerre est atroce et tragique, mais elle est décrite ici comme tragiquement atroce, dans l’emphase) et la cruauté d’un destin, exploité dans l’explicitation des meurtres et du suicide…, tout concourt à une cinématographie pompière. Le plaisir peut être réel ; il n’en demeurera pas moins honteux face aux ficelles.
Aussi, de ces Légendes d’automne, on gardera surtout en tête l’épatante musique de James Horner qui n’était pas encore passé par le succès phénomène de Titanic, autre bravade mélodramatique des années 90 à laquelle l’on préfèrera éminemment se référer.
Sorties de la semaine du 5 avril 1995
© 1995 Columbia TriStar
Biographies +
Edward Zwick, Brad Pitt, Julia Ormond, Anthony Hopkins, Henry Thomas, Aidan Quinn