Petits meurtres entre amis, un premier film, mais un coup de maître, sinueux, tortueux, ténébreux, qui modifia en profondeur le visage du cinéma britannique. Danny Boyle devient du jour au lendemain le chantre de la Britpop au cinéma.

Synopsis : David, Alex et Juliet sont à la recherche du colocataire idéal, ni trop moche, ni trop coincé, ni trop ringard. Les candidats défilent jusqu’au jour où Hugo sonne à la porte… Après quelques jours sans histoires, ils le découvrent sur son lit, mort, avec une valise pleine de billets de banque. Que vont-ils faire de cet argent… et du corps ?

L’influence du cinéma de Quentin Tarantino

Critique : 1995. Alors que l’Angleterre vibre au son d’une Britpop revigorée, l’ère est au changement. Oasis, Blur, Suede, Radiohead, Massive Attack donnent à la nation un nouveau visage, celui d’une nouvelle génération qui n’a jamais connu l’autorité de Thatcher. John Major avait succédé à la harpie en 1990, avant de laisser sa place au travailliste Tony Blair, en 1997. Au cinéma, la révolution culturelle est caractérisée par l’apparition d’un cinéaste de Manchester qui arrive tard dans le milieu du cinéma (à près de 40 ans) ; il est affublé de ses deux potes de toujours, rencontrés au théâtre, John Hodge et Andrew MacDonald. Ensemble, ils livrent une bombe, Shallow Grave qui va changer à jamais le visage du cinéma local, même si le succès public est moindre que pour le film suivant du cinéaste, Trainspotting (1996).

Petits Meurtres entre amis et ses cadavres exquis

Shallow Grave s’inscrit clairement dans la déferlante de cinéma noir issue de la scène indépendante américaine : Quentin Tarantino l’a initiée avec Reservoir Dogs en 1991 et les ersatz se multipliaient aux USA comme en Europe. Ténébreux et sombre, le premier long de Boyle l’est, davantage que noir d’ailleurs. Il donne le ton à une carrière cohérente, malgré des changements de genre régulier. La paranoïa, le hasard, la fascination de l’argent, les rebondissements féconds, les changements de ton, l’importance de la bande-son… Tous les éléments inhérents aux classiques postérieurs de Boyle (Trainspotting, Slumdog Millionnaire, Trance), sont déjà en place. Le film démarre comme une comédie de colocataires, joviale et irrésistible, où l’amitié et la complicité cimentent la trame dans une bonne humeur communicative. Le ton vire progressivement au cauchemar, alors qu’une valise d’argent sale, retrouvée auprès du nouveau colocataire, transforme les personnages en des êtres amoraux, obsédés par l’argent et capables de toutes les horreurs pour conserver leur butin. Quand l’amour et le sexe, donc toujours la convoitise, ne viennent pas compliquer la donne.

Cruel, manipulateur, subversif, le film de Boyle sonde les bas instincts avec tout l’humour noir du cinéma britannique jusqu’à un final grand-guignolesque. La force de ce film qui aurait pu se résumer à une intrigue de huis clos théâtral, réside évidemment dans la réalisation techniquement brillante ; le cinéaste, avec un petit budget, était déjà un adepte des plans tortueux pour mieux nourrir son intrigue hitchcockienne avec femme fatale, et foison de trahisons. Le final est jubilatoire, loin de l’hymne à l’amitié que représentait le succès de Kenneth Branagh, Peter’s friends, trois ans auparavant.

Copyrights : Channel Four Films, The Glasgow Film Fund, Figment Films

Le test DVD

Douze ans après une première édition DVD chez MGM, une nouvelle édition, plutôt correcte, sort en France en 2014, avec son lot de bonnes surprises et quelques défauts indéniables, comme une jaquette assez immonde… Le film est également disponible en HD.

Compléments : 3 / 5

L’édition américaine parue chez Criterion était riche en bonus. On ne retrouvera ici qu’un making-of de 30mn, intitulé Digging your own grave en VOSF, où le frère du scénariste et producteur Kevin Macdonald, suit le tournage du film. Les frictions dans l’équipe technique, la mise en place des décors, le casting, les problèmes de budget sont évoqués, alors qu’on assiste au tournage en direct… Le document, qui n’est jamais de l’ordre de la featurette promotionnelle, a une vraie valeur historique et s’avère absolument indispensable.

Image : 3 / 5

La restauration permet de profiter d’une image plus propre, mais non dépourvue de petits défauts (contraste parfois un peu sombre, quelques traces subsistent). Mais l’ensemble est de bonne tenue, avec une colorimétrie marquée, qui va bien avec le gore du film.

Son : 3 / 5

A l’instar de l’édition américaine, on ne trouve pas de piste originale en 5.1. La VO n’est disponible qu’en stéréo, ce qui, avec nos oreilles aujourd’hui, peut paraître un peu faible, d’autant que la musique est particulièrement adaptée pour une spatialisation optimale.

En VF, on retrouve deux pistes, l’une 2.0 et l’autre montée par l’éditeur français en 5.1. Celle-ci s’avère artificielle avec des voix faiblardes, nasillardes, qui se perdent dans un écho, sur un fond sonore qui se détache maladroitement. Disons que cela partait d’un bon sentiment.

Voir en VOD

Critique : Frédéric Mignard