Dernier film de Jacques Becker, Le trou est un petit bijou de cinéma où l’épure absolue de la réalisation confère une belle authenticité au récit. Un classique indémodable.
Synopsis : Gaspard, récemment incarcéré, est transféré dans une cellule où quatre détenus qui purgent une longue peine prévoient de s’évader en creusant un tunnel.
Mon ami le traitre
Critique : En 1947, plusieurs détenus de la prison de la Santé, dont Roland Barbat et José Giovanni, tentent de s’évader de manière spectaculaire en creusant un tunnel dans les égouts de la prison. Toutefois, cette évasion fut contrecarrée par la délation d’un autre détenu. Cette histoire a servi de base au tout premier roman du futur cinéaste José Giovanni intitulé Le trou, publié en 1957. En découvrant ce livre, Jacques Becker a immédiatement voulu en tirer un film et a fait acheter les droits d’adaptation au producteur Serge Silberman.
A partir de là, Jacques Becker rencontre régulièrement José Giovanni avec qui il écrit les différentes moutures du script de façon à être le plus proche possible de la réalité. Ce même souci d’authenticité va animer le réalisateur durant toute la production du long-métrage étalée sur 10 semaines. S’il ne peut pas tourner dans la prison de la Santé, Becker la reconstitue en studio de la manière la plus fidèle possible. De même, il choisit de n’utiliser aucune musique extradiégétique, sauf lors du générique final et tente de tourner l’action à l’aide de longs plans séquences qui ont pour but de détailler par le menu les modalités d’évasion des cinq détenus.
Des acteurs non professionnels pour renforcer le réalisme
Afin de s’assurer d’un réalisme maximal, Jacques Becker fait appel à des acteurs inconnus et parfois même non professionnels. Ainsi, derrière le pseudonyme de Jean Keraudy se cache en réalité Roland Barbat qui était le complice de José Giovanni durant l’évasion réelle des années 40. A ses côtés, on retrouve deux acteurs qui n’ont fait jusque-là que de la figuration, à savoir Marc Michel et Raymond Meunier, mais aussi deux non professionnels appelés à devenir célèbres. Effectivement, Michel Constantin est amené sur le plateau par son ami Jean Becker, alors assistant de son père, tandis que Philippe Leroy n’était jusqu’alors qu’un parachutiste multi décoré pour sa bravoure dans les guerres de décolonisation (Indochine et Algérie). Enfin, l’unique présence féminine est assurée par la débutante Catherine Spaak, elle aussi appelée à devenir célèbre.
A la sortie du film en 1960, tous ces acteurs étaient donc de parfaits inconnus, ce qui octroyait au film un cachet de parfaite véracité. Il faut dire que la description de l’univers carcéral est magnifiquement menée, sans recourir aux clichés souvent en vigueur dans le film de prison, mais sans pour autant oublier d’évoquer la surpopulation carcérale et les conditions indignes de détention. Ce qui frappe dans Le trou, c’est la capacité de Jacques Becker et de José Giovanni à dépeindre des êtres humains complexes et non des archétypes cinématographiques. Ainsi, le directeur de la prison apparaît soucieux du bien-être de ses pensionnaires, les matons ne sont pas tous des salauds et les détenus ne sont pas forcément des brutes.
La prison dans toutes ses dimensions
Ce respect envers l’humanité de chaque protagoniste est pour beaucoup dans la réussite que constitue cette œuvre majeure. A la manière de son ami Jean-Pierre Melville, Jacques Becker opte pour une description quasiment documentaire de la prison et de la tentative d’évasion. Sans jamais avoir recours au moindre effet de style, il parvient à créer un vrai suspense qui nous place du côté des malfrats. Leur entreprise est tellement folle et audacieuse que le spectateur souhaite ardemment la réussite de ce projet dingue et ingénieux.
Tourné dans un noir et blanc somptueux, sans aucune musique extradiégétique et avec un recours à un ton très neutre de la part des acteurs, on a souvent le sentiment que Jacques Becker a trouvé l’inspiration du côté des inspirateurs de la Nouvelle vague comme Melville ou Robert Bresson. Ainsi, malgré une durée conséquente, Le trou n’ennuie jamais et s’avère d’un parfait équilibre au niveau de son montage. D’une clarté et d’une limpidité absolue, le long-métrage est d’une fluidité admirable qui en fait un chef d’œuvre incontestable du film de prison.
Un vrai classique du cinéma français
D’ailleurs ce lien avec la Nouvelle vague peut être prolongé puisque Le trou est sorti à Paris la même semaine qu’A bout de souffle de Jean-Luc Godard. Malgré le décès soudain de Jacques Becker, Le trou ne bénéficie pas du même impact immédiat que son concurrent en ne réunissant que 18 220 curieux dans la capitale lors de sa semaine d’investiture. Loin d’être un succès immédiat, Le trou va peu à peu s’imposer auprès des cinéphiles au fil des années, glanant petit à petit près de 1,3 millions d’entrées sur toute la France.
Devenu un classique du cinéma, le long-métrage est sorti plusieurs fois en VHS, souvent dans des montages sérieusement amputés et il a fallu attendre l’ère du DVD pour revoir un montage intégral du film. Cette version complète entièrement restaurée a d’ailleurs fait l’objet d’une reprise en salles en 2017 et elle a servi de base pour écrire cette chronique. Elle est actuellement disponible dans une édition blu-ray, dans la fameuse collection Make My Day dirigée par Jean-Baptiste Thoret.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 16 mars 1960
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Jacques Becker, Michel Constantin, Paul Préboist, Catherine Spaak, Jean Becker, Gérard Hernandez, Jean Keraudy, Philippe Leroy, Raymond Meunier, Marc Michel