Le prêteur sur gages (The Pawnbroker) : la critique (1968)

Drame | 1h56min
Note de la rédaction :
9/10
9
Le prêteur sur gages, l'affiche

  • Réalisateur : Sidney Lumet
  • Acteurs : Rod Steiger, Morgan Freeman, Geraldine Fitzgerald, Reni Santoni, Brock Peters, Jaime Sánchez
  • Date de sortie: 10 Jan 1968
  • Nationalité : Américain
  • Titre original : The Pawnbroker
  • Titres alternatifs : The Pawnbroker (Le prêteur sur gages) (titre vidéo français) / Der Pfandleiher (Allemagne) / Pantlånaren (Suède) / El prestamista (Espagne) / O Agiota (Portugal) / Lombardzista (Pologne) / Pantelåneren (Norvège) / L'uomo del banco dei pegni (Italie) / A zálogos (Hongrie) / O Homem do Prego (Brésil)
  • Année de production : 1964
  • Scénaristes : Morton S. Fine et David Friedkin, d'après le roman The Pawnbroker d'Edward Lewis Wallant
  • Directeur de la photographie : Boris Kaufman
  • Compositeur : Quincy Jones
  • Société(s) de production : Landau Company, The Pawnbroker Company
  • Distributeur : Prodis
  • Distributeur (reprise) : Swashbuckler Films
  • Date de reprise : 9 juillet 2014
  • Éditeur vidéo : Potemkine Films (DVD et blu-ray, 2021)
  • Date de sortie vidéo : 7 décembre 2021
  • Box-office France / Paris-périphérie : 56 274 entrées / 15 642 entrées / 1 513 entrées (reprise 1968)
  • Box-office nord-américain : -
  • Budget : 930 000 $ (soit 8,9 M$ au cours de 2023)
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.85 : 1 / Noir et Blanc / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : Berlinale 1964 : Ours d'argent du meilleur acteur pour Rod Steiger, prix FIPRESCI (mention honorable) pour Sidney Lumet / Screen World Award 1964 pour Jaime Sánchez / Laurel Awards 1964 : pour Jaime Sánchez / Bodil 1966 : meilleur film non-européen / British Academy Film Awards 1967 : meilleur acteur étranger pour Rod Steiger / Inscrit au National Film Registry en 2008 / Oscars 1966 : 1 nomination du meilleur acteur pour Rod Steiger / Golden Globes 1966 : 1 nomination du meilleur acteur dans un film dramatique pour Rod Steiger
  • Illustrateur / Création graphique : LPC / Jean-Claude Labret (agence)
  • Crédits : Landau Company, The Pawnbroker Company
Note des spectateurs :

Chef d’œuvre méconnu, Le prêteur sur gages (The Pawnbroker) est à redécouvrir d’urgence. Rod Steiger y livre une composition absolument bouleversante d’homme traumatisé. Bouleversant.

Synopsis : Un rescapé des camps de concentration nazis devenu propriétaire d’un magasin de prêt sur gage doit à la fois affronter les cauchemars de son passé et l’environnement hostile du ghetto new-yorkais dans lequel il vit.

Le prêteur sur gages et ses démêlés avec la censure américaine

Critique : Depuis l’imposant succès rencontré par son premier long-métrage Douze hommes en colère (1957), le réalisateur Sidney Lumet n’a eu de cesse d’adapter des œuvres littéraires ou théâtrales dont les thématiques sont clairement progressistes. Si son premier essai était un magnifique plaidoyer contre la peine de mort, il a ensuite enchaîné avec de nombreux films humanistes cherchant à dénoncer toute forme d’intolérance.

Le prêteur sur gages, photo du film avec Rod Steiger

© 1964 Landau Company – The Pawnbroker Company

En adaptant en 1964 le roman d’Edward Lewis Wallant intitulé Le prêteur sur gages, Lumet va faire face à plusieurs défis qui l’ont amené devant la commission de censure, alors encore très vigilante. Non seulement le réalisateur évoque dans son film les camps de concentration, avec notamment quelques reconstitutions promptes à choquer, mais il en profite également pour décrire avec précision les quartiers populaires de New York, avec ses divisions raciales et ses communautés rongées par un racisme ordinaire. De plus, le cinéaste ose montrer à l’écran la poitrine dénudée d’une actrice, qui plus est de couleur. Autant d’éléments qui ont valu au long-métrage de comparaître devant la commission de censure, pour en ressortir vainqueur.

Une œuvre audacieuse, inspirée par la nouvelle vague française

Ayant donc ouvert une brèche dans la censure américaine, Le prêteur sur gages marque définitivement le spectateur par de nombreuses audaces stylistiques, parmi lesquelles on compte une description quasiment documentaire du New York des années 60 avec une confrontation constante entre les Latinos, les Noirs et les Juifs. Les dialogues épicés auraient d’ailleurs bien du mal à être acceptés de nos jours, même s’ils ne font que dénoncer un racisme quotidien absolument terrifiant.

Le prêteur sur gages, photo du film

© 1964 Landau Company – The Pawnbroker Company

L’autre point fort vient d’un montage psychédélique qui vient parasiter certaines scènes traditionnelles pour signifier la contamination du réel par les souvenirs des camps du personnage principal. Ces brusques moments de violence deviennent de plus en plus fréquents au fil de la projection, signifiant le retour du refoulé chez cet être totalement replié sur lui-même et qui s’est réfugié dans le culte de l’argent afin de ne pas être confronté en permanence à son passé douloureux. Ces audaces s’inspirent fortement du cinéma européen et notamment de la nouvelle vague française menée par Godard. Il faut donc saluer le travail remarquable du directeur de la photographie Boris Kaufman (frère du célèbre Dziga Vertov), du monteur Ralph Rosenblum et du musicien de jazz Quincy Jones, dont la musique s’accorde parfaitement aux images.

Rod Steiger au sommet de son talent d’incarnation

La grande force du film est de ne pas avoir fait du personnage principal un homme sympathique que l’on prendrait facilement en pitié. Dur, intransigeant et parfois odieux avec autrui, cet homme irrémédiablement détruit n’est finalement qu’un mort vivant, un survivant qui ne souhaite que disparaître et retrouver les siens. Dans ce rôle difficile, Rod Steiger est tout bonnement magistral. Il parvient à faire ressentir en un regard toute la douleur de ce personnage détruit de l’intérieur, qui n’apporte que du malheur autour de lui.

Le prêteur sur gages, photo du film (Potemkine)

© 1964 Landau Company – The Pawnbroker Company

Réalisé avec maestria par un cinéaste en pleine possession de ses moyens, Le prêteur sur gages est un film difficile, inconfortable et qui sait provoquer le malaise. Il glana à l’époque quelques prix dont l’Ours d’argent pour Rod Steiger et une nomination à l’Oscar pour le formidable comédien, mais ne fut pas un succès commercial, à tel point qu’il a mis quatre ans à sortir dans les salles françaises avant de disparaître inexorablement des mémoires. Sa reprise le 9 juillet 2014 a permis aux cinéphiles de redécouvrir cette œuvre oubliée en salles.

Depuis, l’éditeur Potemkine, au catalogue si exigeant, a distribué un DVD et un blu-ray dont la copie restaurée est tout bonnement magnifique. La galette est d’ailleurs accompagnée de suppléments intéressants signés Nicolas Saada et Jean-Michel Frodon. Ce dernier revient notamment avec beaucoup de pertinence sur les rapports complexes entre cinéma et Shoah dans les années 50 et 60.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 10 janvier 1968

Acheter le film en blu-ray sur le site de l’éditeur

Voir le film en VOD

Le prêteur sur gages, l'affiche

© 1964 Landau Company – The Pawnbroker Company / Affiche : LPC / Jean-Claude Labret (agence). Tous droits réservés.

Biographies +

Sidney Lumet, Rod Steiger, Morgan Freeman, Geraldine Fitzgerald, Reni Santoni, Brock Peters, Jaime Sánchez

Box-office du film Le prêteur sur Gages :

L’Ours d’Argent de Berlin 1964 a pris son temps pour apparaître sur nos écrans, puisque Le prêteur sur gages (The Pawnbroker) est sorti timidement à Paris la semaine du 10 janvier 1968.

C’était alors la seule nouveauté américaine de la semaine, après une fin d’année 1967 chargée. Le distributeur Prodis en profite pour mettre largement en avant les noms de Rod Steiger et aussi celui de Sidney Lumet (Vu du pont, La colline des homme perdus) sans trop y croire.

Aussi, malgré la meilleure volonté au monde, The Pawnbreaker, devenu culte auprès des cinéphiles pointus avec le temps, passe totalement inaperçu en France avec un score de 50 000 entrées qui évoque la fin de carrière de Sidney Lumet (Power les coulisses du pouvoir, A bout de course – Running on Empty, Dans l’ombre de Manhattan et le remake de Gloria).

Sur la capitale, on peut découvrir Le prêteur sur gages en première semaine aux Studio Saint-Germain, au Bonarparte, au Lord Byron et à l’Astor. Le film d’auteur fort et exigeant ne peut rivaliser avec Benjamin ou les mémoires d’un puceau de Michel Deville qui galvanise les foules avec 60 930 entrées sur Paris pour son lancement (il dépassera les 2 500 000 entrées sur la France). La deuxième nouveauté, L’homme à la Buick de Gilles Grangier, avec Fernandel et Darrieux, se positionne en 5e place avec 28 858 Parisiens (au final, il flirtera avec les 800 000 entrées sur tout l’Hexagone). En 7e place, 30 fusils pour un tueur de Gianfranco Baldanello avec Carl Möhner, démarre à 25 000 entrées sur Paname, avec un total France aux abords des 300 000.

Ecrasé par Benjamin ou les mémoires d’un puceau, les continuations des Douze salopards, des Grandes vacances, de Casino Royale, des Risques du métier, Playtime, Le samouraï,  et Astérix le Gaulois, le drame avec Rod Steiger ne convainc que 8 599 spectateurs en première semaine.

Dans le même circuit, il passe à 5 177 spectateurs en semaine 2. Il finit sa course à 1 598 curieux, avant de progressivement essayer de trouver sa place en province, ce qu’il ne parviendra pas vraiment à faire.

En 2014, Swashbuckler Films tentera de susciter une adhésion avec une reprise à 1 513 spectateurs. Enfin, sept ans plus tard, l’édition vidéo Potemkine, tant attendue, inversera les titres et restaurera le titre original, malgré la grande difficulté des Francophones à lires les diphtongues du mot anglais. C’est pour les oreilles un massacre. Mais pour les cinéphiles, globalement, c’est un grand moment, avec une version restaurée 2K.

Box-office de Frédéric Mignard

Le prêteur sur gages (The Pawnbroker, affiche 2014)

© 1964 Landau Company – The Pawnbroker Company – Reprise 2014 par Swashbucker Films 

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