Beau film mature, A bout de course fait le bilan de l’activisme politique des années 70 avec une bonne dose d’amertume et une pointe d’espoir. River Phoenix y est exceptionnel de présence.
Synopsis : Danny, jeune homme de dix-sept ans, est le fils d’anciens militants contre la guerre du Vietnam. Ses parents Annie et Arthur Pope organisèrent un attentat à la bombe contre une fabrique de napalm. Un gardien mourut lors de l’explosion. Depuis, les Pope sont en fuite. Danny vit assez mal cette situation de mensonge et de dissimulation. Mais tout va basculer lors de sa rencontre avec Lorne Philips, la fille de son professeur de musique.
Retour sur les années 70 et son militantisme radical
Critique : Sidney Lumet vient de signer Le lendemain du crime (1987), thriller correct avec Jane Fonda, qui a connu un petit écho aux Etats-Unis, lorsqu’il se penche sur le script original de Naomi Foner. La scénariste et productrice – par ailleurs mère de Maggie et Jake Gyllenhaal – s’est inspiré d’une affaire réelle, à savoir l’attentat à la bombe qui a touché l’université du Wisconsin en août 1970. Le groupe radical de gauche Weather Underground proteste alors de manière violente contre la guerre du Vietnam et fomente des attentats contre des sites stratégiques du gouvernement américain, notamment les lieux de création et de production du napalm.
Le scénario ne cherche aucunement à retracer de manière précise ces événements, mais raconte le destin de ces intellectuels de gauche qui ont choisi la clandestinité et l’illégalité au nom de leurs idéaux. L’histoire nous plonge in media res dans le quotidien d’une petite famille (un couple et leurs deux jeunes garçons) dont on devine assez vite qu’ils vivent cachés, en fuite permanente. Cette cavale incessante se double d’un activisme toujours prégnant, même si l’intrigue est située en 1987 et que les idéaux de ces gauchistes radicaux semblent plus que jamais dépassés.
A bout de course évite tous les pièges et les facilités d’écriture
Le film de Sidney Lumet suit particulièrement le destin de l’aîné du couple (fabuleux River Phoenix, au charisme instantané) qui développe un prodigieux talent pour la musique et aimerait intégrer la Julliard School. Mais comment prendre en main son avenir quand on vit sous une fausse identité et que ses parents sont des repris de justice en cavale ? Ici, Sidney Lumet pouvait tomber dans plusieurs écueils qu’il a heureusement évités. Il pouvait choisir la voie du thriller trépidant, ou transformer le film en une romance adolescente aseptisée pour satisfaire les producteurs, ou même opter pour une success story musicale à forte tendance mélodramatique.
Pourtant, loin de céder aux tentations de la facilité et aux formules toutes faites, Sidney Lumet et sa scénariste Naomi Foner ont signé une œuvre à l’écriture fine et limpide qui évite tous les pièges pour rester toujours à hauteur de personnages. L’adolescent qui se cherche n’accuse pas ses parents de cette situation et les aime ; les géniteurs ont beau être des criminels en fuite, ils possèdent un sens de l’éthique qui force le respect, tandis que leurs proches ne sont pas nécessairement des monstres de froideur. En fait, même si les positionnements des personnages sont extrêmes, leurs relations sont toujours marquées par le dialogue et une capacité d’empathie envers autrui.
De la fin des grands idéaux
De même, le regard porté par Sidney Lumet sur l’engagement politique des gens de gauche – dont il fait partie – n’est ni complice ni accusateur. Il rappelle surtout le contexte politique d’une époque troublée, marquée par l’extrême violence du conflit vietnamien. En aucun cas il n’excuse les débordements de ces activistes, mais il en montre aussi les fondements idéologiques. Finalement, le constat se veut plus amer qu’autre chose, puisque ces gens ont sacrifié une grande partie de leur vie au nom d’idéaux qui sont définitivement enterrés au cours des années 80, période de triomphe du néolibéralisme prôné par Ronald Reagan.
Alors que le long-métrage trouve une issue positive dans le destin de l’aîné incarné par River Phoenix, le combat de ses parents apparaît plus que jamais perdu d’avance dans un monde où le capitalisme est devenu la règle. Au milieu de tout cela, Sidney Lumet suit avec attention la construction mentale d’un jeune homme qui doit trouver sa propre voie entre les certitudes inculquées durant son enfance par des parents idéologues et les autres individus qu’il croise – notamment sa petite amie jouée avec talent par Martha Plimpton.
Un long-métrage mature qui ne fait pas d’appel du pied au public jeune
Au passage, on notera que la thématique de l’emprise des parents sur leur progéniture est récurrente au sein de la filmographie du jeune River Phoenix. Effectivement, cette idée est déjà au cœur de films comme Mosquito Coast (Weir, 1986) et Little Nikita (Benjamin, 1988). Quand on sait que River Phoenix a fait partie d’une famille de religieux intransigeants appartenant à la secte des Enfants de Dieu (connue pour ses agissements en matière de pédophilie) et traquée par les autorités, cela n’est sans doute pas un hasard.
A bout de course bénéficie donc d’une écriture impeccable, mais aussi d’une réalisation parfaitement maîtrisée qui ne recherche jamais l’épate et préfère l’épure. Alors que les distributeurs s’attendaient à un thriller trépidant mettant en scène l’adolescent vedette, A bout de course est une œuvre mature qui s’inscrit pleinement dans le cinéma adulte des années 70. Si l’on excepte la petite concession à la mode avec la présence de la chanson Lucky Star de Madonna, le film de Sidney Lumet n’a rien d’un produit formaté pour plaire à la jeunesse. Cela explique sans aucun doute son terrible échec public aux Etats-Unis.
Un bide aux Etats-Unis comme en France
En ce qui concerne la France, le cinéaste Sidney Lumet était toujours soutenu par la critique, mais les entrées ne cessaient de fondre à chacun de ses films. A bout de course n’a pas échappé à la malédiction avec seulement 47 014 entrées sur tout le territoire national. Une catastrophe qui a entraîné un oubli immédiat d’un film pourtant excellent. Depuis le début des années 2000, le long-métrage n’a connu qu’une édition DVD, mais a tout de même fait l’objet d’une reprise en salles en 2009 en cherchant à surfer sur le culte entourant désormais River Phoenix. Disponible sur plusieurs plateformes, A bout de course est donc une œuvre passionnante à redécouvrir d’urgence.
Critique de Virgile Dumez