Film de gangster au suspense intense, Gloria de John Cassavetes est un polar urbain majeur, porté par le jeu étonnant de Gena Rowlands. La haute définition, quarante ans après sa sortie, lui redonne un charme désarmant.
Synopsis : Une ancienne danseuse de cabaret, Gloria, prend sous sa protection un jeune portoricain, Phil, dont la famille vient d’être assassinée par la mafia. En effet, le père du garçon, comptable de l’organisation, a dérobé un livre de compte accablant qu’il destinait au FBI.
Un film de commande pour conjurer le mauvais sort
Critique : Après une séries d’échecs meurtriers, Mort d’un bookmaker chinois (1976) et, malheureusement, le superbe Opening Night (1977), John Cassavetes n’a plus le choix. Il lui faut travailler dans le système. L’effort est alimentaire et lui permet d’espérer un long plus personnel qui ne viendra qu’en 1984, avec Love Streams que la Cannon de Menahem Golan et Yoram Globus produira.
En 1979, une major lui propose d’écrire un script servant l’ascension galopante de Ricky Schroder, l’angelot du Champion de Franco Zeffirelli, qui a triomphé au box-office. John Cassavetes s’y attèle, mais la famille et l’agent du bambin prennent la direction Disney et signent pour Le dernier vol de l’arche de Noé, un live-action maladroit qui ne restera pas dans les mémoires.
Avec sur les bras le script de ce qui allait devenir Gloria, Cassevetes cherche un studio intéressé par le fruit de sa plume. Columbia y voit un intérêt à condition qu’il en réécrive certains aspects et surtout qu’il le réalise.
Un film de gangster sans la violence inhérente au genre
Et voilà John Cassevetes, pionnier du cinéma indépendant américain, avec une commande séduisante à mettre en œuvre pour un studio. Le budget est donc différent des films intimistes où la psychologie l’emporte sur l’action. Désormais, il est chargé d’un polar qui débute magnifiquement avec un générique aérien sur New York, filmé à l’hélicoptère, avec en toile de fond le superbe score de Bill Conti. C’est beau, et en blu-ray, c’est encore plus saisissant. Gloria contient les ingrédients du genre. Des courses poursuites, une cascade en voiture, une violence propre au film de gangster que Cassevetes refuse en fait de mettre en scène, car les crimes graphiques ne l’intéressent pas et desservent ses intentions psychologiques. John Cassavetes exècre le cinéma divertissement, mais verse volontiers dans une réflexion sociale et humaine à fleur de peau.
Un duo sulfureux
Il accorde logiquement le premier rôle à son épouse, Gena Rowlands, son éternelle muse qui va inspirer une partie du script dans sa thématique, à savoir la rencontre d’une femme sans enfant, qui ne les aime pas, et un enfant fraîchement orphelin dont elle a soudainement la garde improvisée. Le duo mal assorti, sous le signe d’une tension permanente (la séquence du massacre de la famille du jeune homme, en hors-champ), est sulfureux au premier abord, plus qu’il ne suscite une empathie bienveillante. L’enfant, élevé comme un homme roi chez des mafieux latins, martèle les propos machistes que son père lui a inculqués avant de mourir (“you are the man”), face à une quadra abîmée qui espérait vivre une retraite tranquille à Pittsburgh, avec l’argent durement gagné dans un contexte mafieux flou. Les plans où ils “partagent le lit” ou durant lesquels ils se déchirent, sont assez troublants, donnant à l’enfant une maturité masculine au charisme adulte, ce que l’on reprocha au jeune débutant. John Adames fut auréloé d’un Razzie pour son jeu on ne peut plus singulier. On le regrette, car, à l’instar de Rowlands, ce petit bout de macho est en fait d’une vulnérabilité accessible au-delà de l’immédiateté des mots. Cassavetes dira à son sujet que c’est juste un môme jouant un rôle de môme. Il se retrouvait en lui.
Déterminisme anxiogène à la cruauté à l’épreuve des balles
On comprend ce qui a pu séduire Cassavettes et Rowlands dans ce polar animé. Des individus qui cherchent à s’extraire d’un déterminisme anxiogène, d’un milieu à la cruauté à l’épreuve des balles. Les tempéraments, modelés par les aléas de la vie, sont forts, vifs, blessés dans la chair des personnages. Et c’est bien toute une réflexion sur la maternité, l’atavisme, que l’on peut apprécier en hors-texte.
En tant qu’élément moteur du polar, la descente aux enfers de Gloria, trop vieille et trop “rondelette” pour courir (c’est elle qui le dit, se qualifiant d”overweight“) s’opère par une fuite de l’avant, mais également la capacité du personnage éponyme à aller vers ses ennemis. Elle ne cesse d’arpenter les quartiers malfamés les plus iconiques du New York déliquescent du début des années 80, avec une vivacité qui est un bel hommage au travail énergique de Rowlands, actrice miracle d’un type hollywoodien extra-terrestre. Sharon Stone a eu bien plus de mal à reprendre son personnage dans le remake de 1999, signé par Sidney Lumet. La capacité de l’épouse de Cassavetes à se fondre dans le personnage meurtri, est déstabilisante de vérité. L’académie des Oscars l’avait d’ailleurs nommée pour la seconde fois dans la catégorie de la meilleure actrice.
Dans cette étonnante réussite que l’on redécouvre avec plus d’exaltation encore dans le master contemporain magnifié d’une restauration 2K, l’on a bien quelques éléments scénaristiques qui nous chiffonnent, mais rien qui ne puissent contrebalancer l’émotion intacte du plus commercial des films de John Cassavetes, tout en demeurant la signature d’ un auteur. Les Américains ne s’y sont pas trompés et se sont méfiés d’une approche un peu trop artistique. Gloria, pourtant fort d’un Lion d’or à Venise (exæquo avec Atlantic City de Louis Malle), a dû se contenter d’une 87e place annuelle, pas très loin de l’épique japonais Kagemusha et du bide historique des Portes du paradis, avec 5 059 000$.