Thriller psychanalytique, Le parfum de la dame en noir bénéficie d’une esthétique très travaillée et d’une interprétation remarquable de Mimsy Farmer. Un inédit à découvrir.
Synopsis : Silvia, une jeune scientifique, se consacre exclusivement à son travail, délaissant son fiancé Roberto. Lors d’une soirée, elle rencontre un confrère africain qui va lui faire découvrir l’occultisme. Bientôt, des visions sur sa petite enfance vont ressurgir, des images érotiques avec sa mère, et tout ce qu’elle avait tenté de refoulé au plus profond de son être.
Le parfum de la dame en noir, un giallo atypique et ambitieux
Critique : Alors qu’il a débuté en tant qu’acteur dans un cinéma d’auteur exigeant – il fut notamment le héros du film Prima della rivoluzione (1964) de Bernardo Bertolucci – Francesco Barilli s’est ensuite orienté vers l’écriture et la réalisation dans un cinéma plus populaire. Ainsi, il est le scénariste du formidable giallo Qui l’a vue mourir ? (Aldo Lado, 1972) et du film de cannibale Au pays de l’exorcisme (Umberto Lenzi, 1972). Toutefois, il entend bien passer véritablement à la réalisation avec un script original qui va donner Il profumo della signora in nero (1974) que l’on peut traduire littéralement par Le parfum de la dame en noir. Pourtant, son scénario n’entretient aucun rapport avec l’œuvre de Gaston Leroux et il s’agit finalement ici d’un clin d’œil à une source littéraire pourtant peu convoquée dans le long-métrage, alors même que l’histoire cite allègrement Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll.
Ce préambule peut dès lors alerter les amateurs de gialli purement commerciaux sur la non-conformité du produit fini par rapport à leurs attentes initiales. Effectivement, loin d’être une œuvre de série, Le parfum de la dame en noir s’inscrit plutôt dans un domaine plus incertain, à savoir le thriller psychanalytique. Ainsi, le premier meurtre n’intervient réellement qu’au bout d’une heure de métrage et le seul élément de suspense vient de la possibilité d’une machination dont on ne comprendrait pas tous les tenants et aboutissants. En réalité, Francesco Barilli cherche à suivre les traces d’un autre cinéaste majeur des années 60-70 à savoir Roman Polanski.
Comme un air de Roman Polanski
Le fait de suivre le quotidien d’une jeune fille dont la raison vacille progressivement nous mène sur la piste de Répulsion (Polanski, 1965) auquel on pense beaucoup, tandis que la menace représentée par le voisinage entretient des rapports avec Rosemary’s Baby (Polanski, 1968). Réalisé en 1974, Le parfum de la dame en noir peut même être comparé au génial Le locataire (Polanski, 1976), pourtant tourné deux ans plus tard. Polanskien dans l’âme, le travail de Francesco Barilli sur son premier long-métrage est aussi remarquable pour son empreinte freudienne et ses délires surréalistes, notamment lors d’une dernière scène choquante et totalement incongrue dont on peine à comprendre la signification.
Fondé sur une esthétique visuelle très affirmée – le jeu sur les couleurs et la photographie de Mario Masini sont incroyables et anticipent quelque peu le rendu du futur Suspiria (Dario Argento, 1977) – Le parfum de la dame en noir est assurément l’œuvre d’un esthète qui sait exactement ce qu’il souhaite voir à l’écran. Magnifié par une réalisation d’une belle fluidité, le drame intime vécu par cette jeune femme dont la raison vacille touche le spectateur et le pousse à se poser mille questions dont il ne trouvera pas nécessairement les réponses.
Mimsy Farmer avait tout d’une grande actrice
Véritable tourbillon sensoriel, aidé par l’inquiétante musique de Nicola Piovani, ce faux giallo ose perdre le spectateur dans son dédale de folie, tout en esquivant les explications trop rationnelles. Si machination il y a, aucune explication ne sera donnée sur sa raison d’être. Mieux, certains personnages que l’on pensait occis réapparaissent plus loin dans le métrage, laissant planer le doute sur les images qui ont été visionnées précédemment. Toutefois, l’ensemble ne serait pas aussi étrange et fascinant sans l’exceptionnelle prestation de Mimsy Farmer qui ne cesse de crier, pleurer ou avoir peur de ses propres pulsions. L’actrice, quasiment de tous les plans, est formidable et prouve une capacité d’incarnation qui épate.
Elle est entourée de nombreux seconds rôles tour à tour rassurants et inquiétants. A ce petit jeu, on aime beaucoup la présence du comique Mario Scaccia qui parvient à susciter l’angoisse par la seule puissance de son regard, mais aussi avec l’apport de la petite Lara Wendel qui incarne la version enfantine de l’héroïne. La gamine a ensuite continué sa carrière et a fait scandale dans le très malaisant Jeux interdits de l’adolescence (Pier Giuseppe Murgia, 1977), au fort parfum de pédophilie.
Un beau film inédit au cinéma et découvert dans les années 2010
Marqué par des influences psychanalytiques évidentes, Le parfum de la dame en noir est à redécouvrir de nos jours avec le prisme actuel des violences faites aux femmes. Effectivement, le giallo évoque par la métaphore le viol, mais aussi les ravages d’un patriarcat particulièrement violent en Italie, pays chrétien par essence. Il le fait avec force et des images mentales qui restent longtemps ancrées dans notre conscience.
Malgré ses nombreuses qualités, Le parfum de la dame en noir est resté totalement inédit sur le territoire français pendant des décennies avant d’être redécouvert à l’occasion d’une diffusion à l’Etrange Festival en 2010. Depuis, le valeureux éditeur Artus Films lui a consacré un beau blu-ray avec une très belle copie, malgré quelques scories. On vous recommande chaudement d’en faire l’acquisition.
Critique de Virgile Dumez
Acheter le film en blu-ray
Voir le film en VOD
Biographies +
Francesco Barilli, Lara Wendel, Mimsy Farmer, Maurizio Bonuglia, Mario Scaccia
Mots clés
Giallo, La folie au cinéma, Le viol au cinéma, La psychanalyse au cinéma, Les violences faites aux femmes au cinéma, Le cannibalisme au cinéma