Aldo Lado est un cinéaste italien qui reste méconnu en France, malgré quelques jalons dans le cinéma de genre et des complicités artistiques sur des décennies, et même une soirée hommage à la Cinémathèque au milieu des années 2000.
Aldo Lado a grandi à Venise et passé du temps à étudier à Paris, en 1961, à la Sorbonne. Il se retrouve premier assistant sur Le couteau dans la plaie, thriller avec Sophia Loren et Anthony Perkins, suite à l’accident du réalisateur Anatole Litvak.
La polémique Dario Argento
Il assiste en 1963 son ami Tinto Brass sur Chi Lavora è perduto, le premier film du sulfureux réalisateur de Caligula. Il enchaîne très vite avec Du mouron pour les petits oiseaux, de Marcel Carné (1963). Puis il repart en Italie et assiste Maurizio Lucidi sur cinq films : Pécos tire ou meurs, Trois salopards, une poignée d’or, La bataille du Sinaï, Les héros ne meurent jamais et un peu plus tard La victime désignée (1971) qu’il a coécrit.
Outre son travail d’assistant pour des raisons alimentaires, Lado écrit en parallèle ses premiers scripts, notamment pour Salvatore Sampieri. Il collabore même avec Dario Argento, sur la première mouture du scénario de L’oiseau au plumage de cristal. Selon le cinéaste, dans sa passionnante Conversation avec Laure Charcossey (éditions Le Chat qui Fume), l’histoire finira par un chèque payé en secret par le père influent de Dario Argento qui fit en sorte que son fils garde les seuls crédits. Un scandale que Lado n’a révélé que très récemment.
En 1970, Aldo Lado assiste Bernardo Bertolucci sur Le conformiste, film avec Jean-Louis Trintignant et Stefania Sandrelli, et en 1971, se retrouve sur le tournage italien de Fantasia chez les ploucs, comédie de Gérard Pirès, avec Lino Ventura, Jean Yanne et Mireille Darc.
Un cinéaste audacieux et bien vivant !
L’estampille « ancien assistant de Bertolucci » restera longtemps collé au CV d’Aldo Lado qui développera très vite sa propre carrière de réalisateur. Pour son premier film, un giallo étonnant, Je suis vivant!, en 1971, il plonge les spectateurs dans un Prague mystérieux où l’on croise dans un second rôle furtif, Barbara Bach, et en tête d’affiche Jean Sorel. Le film aura une carrière bien chaotique en France, avec une quasi non-exploitation en salle. C’est le DVD et la collection Giallo de feu Neo Publishing, l’éditeur le plus culte des bisseux des années 2000, qui révèle cette réussite patente démontrant une finesse dans le discours : Lado utilise le cinéma de genre pour asséner un discours puissamment politique sur la corruption des élites et l’entre-soi de la haute société déliquescente.
Je suis vivant ! en blu-ray chez Le Chat qui fume
A l’issue de son premier film en tant que réalisateur, Bertolucci lui propose de collaborer à la mise en scène du Dernier tango à Paris. Ils préparent le film ensemble, mais Lado devra in fine refuser de participer au tournage décalé en raison de l’inclusion du Parrain dans l’agenda de Marlon Brando. Lado doit en effet tourner son deuxième long en tant que cinéaste, avec l’impeccable Qui l’a vue mourir ? Dans cet impeccable giallo, édité en France tardivement par The Ecstasy of Films, on retrouve George Lazenby, ancien James Bond en quête d’une nouvelle chance, et Anita Strindberg. A l’instar de La longue nuit de l’exorcisme de Lucio Fulci qui date de cette même époque, le script choisit un prêtre pédophile comme vilain… Osé. Aldo Lado serait-il anticlérical ?
Une poignée de films méconnus et un classique du bis
La suite est moins connue des Français. La cosa buffa (La fleur de l’âge, en VF) fut distribué selon Encyclociné en province, dans un Sud que l’on imagine proche de la frontière italienne. Les critiques transalpines sollicitent pour une fois l’artiste. Il connaît un gros succès avec La tour du désespoir, en 1973, inspiré d’un roman français. Il faut dire qu’il dirige notamment l’une des vedettes italiennes de l’époque, Agostini Belli. Aldo Lado enchaîne avec le léger La cousine (1974), gros succès au box-office, avec notamment la très jeune Dayle Haddon, future Spermula au succès prometteur notamment en France où elle tourne beaucoup dans les années 80.
En 1975, Aldo Lado tourne son chef-d’œuvre, du moins son film le plus célèbre, que ce soit en France ou aux USA. Véritable traitement de choc émotionnel, La bête tue de sang-froid, longtemps accusé à tord d’être un sous La dernière maison sur la gauche, est un uppercut politique qui reprend le discours gauchiste sous-jacent de Je suis vivant, à savoir la peinture d’une certaine noblesse pathétique se jouant des classes dominées en les mêlant à des atrocités qui trouvent leur paroxysme avec une scène de viol insoutenable, propulsée par une Macha Méril démoniaque, symbole d’une haute bourgeoisie décadente dans ses mœurs et ses rapports au prolétariat. Ce film formidable déchaîne la critique italienne contre lui et accroîtra sa réputation en VHS où il sera exploité sous différents titres, avant de trouver une canonisation chez Neo Publishing dans les années 2000, en DVD. En 2020, un blu-ray est édité chez Le Chat qui Fume qui effectue un grand travail de réhabilitation de l’image d’un auteur trop peu connu des cinéphiles, faute de succès commerciaux probants en France.
La bête tue de sang-froid, en blu-ray chez Le Chat qui fume
En 1976, il signe un film plus sensuel et léger, avec Joe Dallesandro, inédit en France, L’ultima volta, tourne pour la télévision et écrit pour la Titanus, le script de Cobra que réalisera finalement Enzo Castellari, après des désaccords sur le casting du personnage principal que Lado voulait voir jouer par Widmark.
La mauvaise expérience de L’humanoïde
En 1979, La guerre des étoiles est un succès donnant le vertige à la Titanus qui demande à Lado d’écrire L’humanoïde. Des problèmes de production et un manque de talent autour de Lado lui feront avaler des couleuvres pour toucher le salaire dont il avait besoin. La fausse superproduction de science-fiction avec Richard Kiel, Corinne Cléry et Barbara Bach n’a plus rien de ce que Lado avait mis sur le papier. Le cinéaste déteste d’ailleurs le film. Enzo G. Castellari viendra tourner une scène d’action après un accident de négatif à la douane israélienne. Le film est tourné sous un pseudo, George B. Lewis, pour vendre la chose dans le monde. Cela a marché puisque L’humanoïde sera l’un des seuls projets du cinéaste à sortir en France avec un vrai circuit de salles jusqu’à Paris.
En 1980, il propose La désobéissance, son plus gros succès français durant l’été 81. C’est aussi son film le plus personnel et autobiographique. Ce lumineux récit d’enfance avait bénéficié d’une belle sortie avec un casting italien (Stefania Sandrelli) et français (Marie José Nat, Jacques Perrin), coproduction oblige. Malheureusement, avec le temps, ce film n’a pas eu la réhabilitation qu’il méritait sur notre territoire, après l’ère VHS…
Après une longue pause télévisuelle, Aldo Lado, via un financement franco-italien réalise un film érotique, en 1987 : un thriller chaud brûlant avec Fiona Gélin, Scirocco. Proposé sur les écrans français pendant l’été, avec des critiques épouvantables, c’est un échec intégral qui mettra un terme à sa carrière de cinéaste en France.
Plusieurs inédits jalonnent les dernières décennies
Dans les années 90, Lado reviendra souvent derrière la caméra pour des films inconnus en France qui connaîtront de bien sinistres sorts sur son territoire quand il parvenait à les sortir. Au moins pouvait-il compter sur sa complicité avec son amie Véra Belmont pour lui octroyer régulièrement du travail. Elle lui demande de la seconder comme producteur exécutif sur son premier long métrage, en 1985 (le culte Rouge Baiser), puis sur le blockbuster en costume avec Sophie Marceau, Marquise, en 1997. Entre-temps, elle lui demande de l’assister à la production de Farinelli, biopic que réalisera Gérard Corbiau.
De ces amitiés, outre Belmont, on notera celle des compositeurs, Ennio Morricone qui travaillera sur huit de ses films, et Pino Donnagio qui succèdera à Morricone après La désobéissance dans la composition de ces bandes originales.
Aldo Lado est un cinéaste passionnant, et l’on apprend beaucoup de choses sur lui dans l’ouvrage de Laure Charcossey qui a forcément aidé à l’écriture de cette biographie d’un homme sur lequel on trouve encore, en 2020, bien peu de choses à son égard.