En faisant preuve de nuance, L’amour et les forêts est un film féministe qui n’oublie pas de raconter une histoire forte et de faire du cinéma. Les acteurs y sont formidables.
Synopsis : Quand Blanche croise le chemin de Grégoire, elle pense rencontrer celui qu’elle cherche. Les liens qui les unissent se tissent rapidement et leur histoire se construit dans l’emportement. Le couple déménage, Blanche s’éloigne de sa famille, de sa sœur jumelle, s’ouvre à une nouvelle vie. Mais fil après fil, elle se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif et dangereux.
L’amour et les forêts, d’Eric Rohmer à Alfred Hitchcock
Critique : Lorsqu’elle découvre le roman L’amour et les forêts d’Éric Reinhardt publié en 2014, l’actrice et réalisatrice Valérie Donzelli se dit qu’elle aimerait bien faire quelque chose de cette œuvre puissante sur l’emprise masculine. Pourtant, elle préfère se livrer d’abord à un exercice de cinéma plus léger (Notre Dame en 2019), puis passe à la télévision avec la série Nona et ses filles (2021). Après ces différentes expériences, elle s’associe à Audrey Diwan pour écrire à quatre mains le script de l’adaptation du roman, en le modifiant fortement, notamment en ce qui concerne la narration.
Désireuses de montrer le piège de l’emprise masculine, les scénaristes ont donc divisé leur film en deux parties très distinctes qui s’étalent sur une dizaine d’années par la grâce d’ellipses judicieuses. De manière très classique, le long-métrage débute par la rencontre amoureuse située sur les bords de plage de Normandie. Le cadre naturel est marqué par des ciels bleus ouverts, tandis que le ton rappelle celui du cinéma d’Éric Rohmer. La référence est d’ailleurs tout à fait volontaire puisque l’on retrouve au casting Melvil Poupaud, l’éternel amoureux de Conte d’été (Rohmer, 1996), mais aussi Marie Rivière dont le nom restera à jamais attaché à celui du maître de la Nouvelle Vague pour ses prestations dans Le rayon vert (1986) ou encore Conte d’hiver (1992).
A propos de la violence conjugale, mentale et physique
Après avoir capté ces moments de grâce solaire, Valérie Donzelli va petit à petit changer de décor en transportant le couple dans un tout autre environnement, à savoir les environs de Metz et de Nancy. Dès lors, elle se sert du décor d’une maison inquiétante pour se livrer à un autre exercice de style. Elle met ainsi en place une mécanique implacable de style hitchcockien. Le cadre resserré 1.66 se justifie pleinement puisqu’il signifie l’enfermement mental dans lequel se retrouve l’héroïne du film. Désormais prisonnière de son conjoint qui la harcèle de questions sur son emploi du temps, la pauvre Blanche (Virginie Efira donc) ne peut plus faire abstraction de la présence de son homme dont elle est devenue une possession.
© 2023 Rectangle Productions – France 2 Cinéma – Les Films de Françoise. Tous droits réservés.
Assez proche de L’enfer (Chabrol, 1994), L’amour et les forêts plonge donc dans la folie de la jalousie maladive, mais va encore plus loin en insistant aussi sur les violences conjugales (mentales et physiques) qui en découlent. La puissance du film est de montrer de manière totalement convaincante à quel point les victimes refusent de voir la vérité en face et se murent dans le silence d’une vie pourtant insupportable. En cela, le métrage est bien un film à thèse qui entend faire évoluer les consciences. Mais là où Valérie Donzelli se tire d’affaire, c’est qu’elle n’oublie jamais de faire du cinéma et qu’elle n’abandonne pas la nuance au profit du militantisme.
D’excellents acteurs pour des personnages forts
Féministe, L’amour et les forêts l’est assurément, mais Valérie Donzelli ne généralise pas et propose d’autres portraits d’hommes bien plus attachants que le manipulateur incarné avec beaucoup de justesse par Melvil Poupaud. Ainsi, le personnage de l’amant interprété par Bertrand Belin apporte un peu d’air frais dans cet océan de tension. En fait, L’amour et les forêts propose de suivre un cas particulier qui fait écho à des situations vécues par de trop nombreux conjoints. Soulignons d’ailleurs la tendance actuelle à la hausse des féminicides. Le film constitue ainsi un bon moyen d’alerter certaines femmes sur leur situation actuelle et peut être les faire réagir.
Pour cela, la réalisatrice bénéficie du jeu toujours impeccable de Virginie Efira qui livre ici une double prestation intéressante (elle incarne le personnage principal et sa sœur jumelle). En outre, le drame se termine sur un long plan séquence sur son visage où toutes les émotions contraires de son personnage passent par le regard. Cela constitue assurément l’une de ses plus belles performances depuis ses débuts. Pourtant, tout n’est pas aussi réussi dans ce drame finalement un peu trop classique dans son déroulement.
L’amour et les forêts est un objet de cinéma un peu trop prévisible
Certes, Valérie Donzelli a voulu casser les codes en tournant une séquence sous forme de comédie musicale (un clin d’œil à ses premiers films), en multipliant les sources visuelles (une partie du film est tournée en numérique, l’autre en pellicule) et en essayant de varier la forme de son objet cinématographique. Toutefois, elle ne peut pas vraiment échapper au carcan de son script et livre donc une œuvre psychologique très juste, mais un peu trop prévisible.
De là le sentiment que le métrage n’évolue pas assez vite et que le montage pouvait être davantage resserré. En tout cas, L’amour et les forêts demeure une œuvre intéressante et bien plus valeureuse que la plupart des films français à thèse qui foisonnent sur nos écrans et qui sacrifient régulièrement le cinéma au profit d’un militantisme débilitant.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
Avec 651 000 spectateurs, L’amour et les forêts a permis à Valérie Donzelli de trouver son deuxième plus gros succès, après La guerre est déclarée (898 000). La présence de Virginie Efira a été un atout. La comédienne belge y a également trouvé quelques-uns de ses plus gros chiffres : mieux que Les enfants des autres, Revoir Paris, En attendant Bojangles, Madeleine Collins, Lui, Benedetta, Police, Sibyl, Un amour impossible…
L’amour et les forêts a connu une certaine stabilité à travers les semaines, partant de 220 327 entrées, pour chuter de 37%, 17%, 34%, 52%, 6%… Cet engouement reflète les excellentes critiques qui ont aidé à lancer l’un des meilleurs films français de 2023.
Le film sortira en vidéo en octobre 2023, VOD, DVD et Blu-ray chez Diaphana Edition Vidéo. Un entretien avec Valérie Donzelli et Audrey Diwan, co-scénariste (20mn) et un autre entretien avec Valérie Donzelli, et cette fois-ci la cheffe décoratrice, Gaëlle Usandivaras (15mn), sont proposés en bonus.
Les sorties de la semaine du 24 mai 2023
© 2023 Rectangle Productions – France 2 Cinéma – Les Films de Françoise / Affiche : Silenzio (agence) – Thibault Grabherr (photographie). Tous droits réservés.
Biographies +
Valérie Donzelli, Virginie Efira, Melvil Poupaud, Virginie Ledoyen, Nathalie Richard, Bertrand Belin, Romane Bohringer, Dominique Reymond, Philippe Uchan, Laurence Côte, Marie Rivière, Guang Huo, Matthieu Rozé
Mots clés
Cannes 2023, Films sur le couple, L’adultère au cinéma, Les violences conjugales au cinéma