La règle du jeu : la critique du film et le test UHD 4K (1939)

Comédie dramatique, Satire sociale | 1h47min
Note de la rédaction :
9/10
9
Affiche de La Règle du jeu de Jean Renoir

  • Réalisateur : Jean Renoir
  • Acteurs : Julien Carette, Paulette Dubost, Marcel Dalio, Jean Renoir, Nora Gregor, Mila Parély, Roland Toutain, Gaston Modot
  • Date de sortie: 08 Juil 1939
  • Année de production : 1939
  • Nationalité : Français
  • Titre original : La règle du jeu
  • Titres alternatifs : The Rules of the Game (titre international) / Spelets regler (Suède) / La regla del juego (Espagne) / A Regra do Jogo (Portugal) / Reguły gry (Pologne) / Spillets regler (Norvège) / La regola del gioco (Italie) / Játékszabály (Hongrie) / Die Spielregel (Allemagne) / Pelin säännöt (Finlande)
  • Autres acteurs : Pierre Magnier, Edy Debray, Pierre Nay, Francœur, Claire Gérard, Odette Talazac
  • Scénaristes : Jean Renoir, Carl Koch
  • Monteuses : Marthe Huguet, Marguerite Renoir
  • Directeur de la photographie : Jean Bachelet
  • Compositeur :
  • Chef Maquilleur : Ralph
  • Chefs décorateurs : Max Douy, Eugène Lourié
  • Directeur artistique :
  • Producteur : Jean Renoir
  • Producteurs exécutifs :
  • Sociétés de production : Nouvelles Éditions de Films (NEF)
  • Distributeur : DPF (Distribution Parisienne de Films)
  • Distributeur reprise :
  • Dates de sortie reprise : 1949 / 23 avril 1965 / 19 novembre 2008 / 16 avril 2014 / 6 avril 2022
  • Editeurs vidéo : Editions Montparnasse (VHS) / Iris Télévision (VHS) / Ciné Horizon (VHS) / Éditions Montparnasse (DVD, 1999, 2005) / Éditions Montparnasse (blu-ray, 2011) / Les Films de ma vie (DVD, 2017 et blu-ray, 2019) / ESC Editions (blu-ray, 2021 et 4K UHD, 2022) / Rimini Editions (4K UHD, blu-ray et livre, 2025)
  • Dates de sortie vidéo : 26 avril 1999 (DVD) / 20 septembre 2005 (DVD) / 6 septembre 2011 (blu-ray) / 13 juin 2017 (DVD) / 15 août 2019 (blu-ray) / 6 janvier 2021 (blu-ray) / 17 août 2022 (4K UHD) / 4 juin 2025 (4K UHD, blu-ray et livre)
  • Budget :
  • Box-office France / Paris-Périphérie :
  • Box-office nord-américain / monde :
  • Rentabilité :
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.37 : 1 / Noir et Blanc / Son : Mono
  • Festivals :
  • Nominations :
  • Récompenses :
  • Illustrateur/Création graphique : © Jacques Bonneaud (affiche) ; Kenzo Artwork (jaquette UHD 4K). Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Les Grands Films Classiques. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Attachés de presse :
  • Tagline :
  • Franchise :
Note des spectateurs :

Chef d’œuvre toujours d’actualité par sa peinture au vitriol de la société française, La règle du jeu tourne en dérision le jeu social fait de mensonges et d’hypocrisie. Indispensable.

Synopsis : L’aviateur André Jurieux vient de traverser l’Atlantique en solitaire pour conquérir le cœur de Christine, son amour éternel, qui a épousé le Marquis de la Chesnay, un aristocrate parisien. Celle-ci se montrant indifférente à l’exploit, Jurieux tente alors de se suicider. Son ami Octave le fait alors inviter chez Christine et son riche époux, pour une partie de chasse en Sologne…

Avec La règle du jeu, Jean Renoir devient seul maître à bord

Critique : A la fin des années 30, Jean Renoir est enfin un cinéaste reconnu grâce à des créations successives magnifiques comme La grande illusion (1937) et La bête humaine (1938), deux chefs d’œuvre portés par Jean Gabin. Grâce à un naturalisme sensationnel, le cinéaste est non seulement reconnu comme un artiste au même titre que son père (le peintre Auguste Renoir), mais il est même en capacité de créer sa propre compagnie de production nommée Nouvelles Éditions de Films  (N.E.F.).

Désormais indépendant, Jean Renoir commence à travailler sur le scénario d’une adaptation des Caprices de Marianne, une pièce d’Alfred de Musset datant de 1833. Très occupé par le montage de La bête humaine, Renoir laisse son scénario dormir dans un tiroir et choisit de le reprendre ensuite en le modifiant totalement, au point que l’on ne reconnaisse plus la pièce lui ayant servi d’inspiration. Effectivement, entre-temps, Renoir a eu l’idée de peindre le portrait de la société de son temps, celle de 1938 qui s’apprêtait à affronter une guerre mondiale dont beaucoup sentaient l’imminence.

Une comédie classique seulement en apparence

Le scénariste invente dès lors une multitude de personnages, s’inspirant des pièces classiques opposant les maitres et leurs valets. Il souhaitait ainsi s’affranchir du naturalisme auquel il était toujours rattaché pour embrasser un classicisme à même de créer le « drame gai » qu’il avait alors en tête. Prévu initialement pour être interprété par son couple vedette de La bête humaine, Jean Gabin et Simone Simon, La règle du jeu se retrouve sans comédien lorsque l’actrice refuse le rôle et que son partenaire la suit. Cela a confirmé l’aspect choral de son futur film dans l’esprit de Jean Renoir.

Ainsi, son scénario ne contient pas de réelle colonne vertébrale et ne s’organise pas de manière classique autour de deux ou trois personnages centraux. En lieu et place, il organise une danse qui deviendra macabre mettant en scène une dizaine de protagonistes dont l’importance est finalement égale dans le jeu qui se joue. Car le titre La règle du jeu est parfaitement bien trouvé, tout tourné qu’il est autour de l’idée de théâtre social. En tant que spectateur, nous sommes invités à assister à une représentation d’une société où chacun joue un rôle bien précis et avance masqué.

Jeu social où chacun avance masqué

Hormis deux personnages qui demeurent d’une grande franchise – on parle ici de la marquise interprétée par la comédienne autrichienne Nora Gregor et de l’aviateur Jurieux joué par le casse-cou Roland Toutain – tous les autres personnages portent un masque en permanence. D’ailleurs, sur ce point, on saluera la grande clairvoyance de Jean Renoir qui n’oppose pas du tout les grands bourgeois et leurs domestiques, contrairement au dogme du Parti communiste avec lequel il fut pourtant compagnon de route. Dans La règle du jeu, tous les êtres humains se valent, qu’ils appartiennent à la haute société ou non. Ils sont tous mus par les mêmes désirs de possession, d’accaparement, de séduction et bien évidemment de destruction.

La règle du jeu, jaquette collector, détails

© 1939 Les Grands Films Classiques / © 2025 Rimini Editions / Jaquette : Koemzo Artwork. Tous droits réservés.

On peut d’ailleurs aisément comprendre pourquoi le long métrage a grandement déplu lors de sa sortie initiale en 1939. Effectivement, aucun personnage n’est vraiment là pour racheter les autres. Les gens de droite se sont offusqués de la description assassine qui est faite de leur classe sociale, mais la gauche radicale a certainement grincé des dents en découvrant ces prolétaires envieux, mesquins et tous aussi pitoyables que leurs maîtres. Mais ne pas se méprendre, La règle du jeu n’est aucunement un film misanthrope. Disons plutôt qu’il établit une stricte égalité entre tous ses personnages, qu’il parvient à comprendre leurs réactions – humaines, trop humaines comme dirait Nietzsche  – mais qu’il démontre que cette société ne peut déboucher que sur un effondrement généralisé, car basé sur des fondements hypocrites et mensongers.

Une scène de chasse qui annonce les massacres à venir

Il organise donc dans sa première partie une sorte de vaudeville dont on sent déjà que les conséquences risquent d’être fatales à l’un des personnages. Cela se confirme lors de la magnifique – mais dure à regarder pour les amoureux des animaux – séquence de la chasse aux lapins. Le massacre qui est montré – sans doute réalisé à l’époque avec de vrais animaux tués devant la caméra, preuve d’un changement d’époque – n’est jamais glorifié, mais fait au contraire écho à ce qui se déroule déjà de l’autre côté du Rhin alors que le IIIème Reich est au pouvoir. La scène anticipe également la fin du film qui verra un protagoniste succomber à la suite d’un quiproquo qui n’a rien d’amusant pour le coup.

Outre cet aspect très caustique vis-à-vis de la société française de son temps, Jean Renoir organise également une magnifique mise en abyme théâtrale. A plusieurs reprises, les personnages sont placés sur une scène et portent des masques afin de s’amuser lors de ce week-end très ordinaire. Mais le jeu de masques se poursuit une fois dans les coulisses et chacun y va de sa partition. Le maître joue les hommes magnanimes, les domestiques obéissent servilement, tout en dénigrant leurs supérieurs et tout ceci nous amène à une représentation parfaite du grand théâtre de la vie en société.

Une virtuosité technique jamais démonstrative, mais bien réelle

Pour appuyer cela, Jean Renoir fait également preuve d’inventivité et même de modernité dans sa réalisation. Si le noir et blanc créé par Jean Bachelet se refuse à tout effet particulier (il n’y a pas ici de jeu sur les contrastes, ni aucun gadget de l’expressionnisme), il s’est tout de même arrangé pour utiliser des focales permettant de développer une impressionnante profondeur de champ, à l’égal de ce qui sera fait aux Etats-Unis quelques temps plus tard par un certain Orson Welles dans Citizen Kane (1941).

De même, la caméra de Renoir suit les évolutions de tous ses protagonistes avec une aisance et une fluidité proprement remarquables, notamment lorsque la fête dérape totalement et que le film frôle l’hystérie collective. Sa caméra semble s’affranchir des portes et des obstacles matériels pour suivre l’action au plus près. Pourtant, cette virtuosité n’est jamais tape-à-l’œil et n’est là que pour mieux servir le propos d’un film à l’humour grinçant.

Des acteurs tous au diapason

Joué magnifiquement par Marcel Dalio – on cria au scandale qu’un juif puisse jouer le rôle d’un aristocrate de bonne famille, preuve du racisme ambiant qui est également dénoncé dans le film – mais aussi par Jean Renoir lui-même, parfait en Octave, La règle du jeu appartient assurément aux grands chefs d’œuvre du patrimoine français par la richesse de ses thématiques et le témoignage précieux qu’il livre sur l’état d’une société en crise – pas si éloignée de la nôtre, ce qui justifie l’emploi du terme modernité pour le désigner.

Pourtant, le tournage ne s’est pas déroulé de manière harmonieuse et le dépassement de budget a contraint la Gaumont à venir en aide au producteur indépendant Jean Renoir. A cause des retards accumulés, le film n’a pas pu sortir début juin 1939 comme prévu (sur le modèle de La bête humaine qui en avait tiré de bons bénéfices), mais seulement le 8 juillet 1939 en double exclusivité au Colisée et à l’Aubert Palace, dans une version largement amputée par Renoir lui-même.

Un échec commercial lié à un montage largement charcuté

Ainsi, le film proposé au public durait seulement 90 minutes et beaucoup se plaignirent d’une intrigue peu compréhensible à cause de ce montage. Malheureusement, face aux retours très négatifs, Renoir a décidé de couper encore davantage, ramenant sa durée à environ 80 minutes. Le désastre était prévisible. Pire, début septembre 1939, la carrière de La règle du jeu est interrompue par le début de la Seconde Guerre mondiale.

Repris juste après la guerre en 1949 dans ce même montage amputé, le film a de nouveau essuyé un bide sévère. Il a donc fallu attendre la fin des années 50 pour que des cinéphiles passionnés nommés Jean Gaborit et Jacques Durand décident de chercher à reconstituer le film original d’une durée de 107 minutes. Ils sont d’ailleurs largement encouragés dans leur entreprise par les jeunes loups de la Nouvelle Vague qui vouent un culte au film.

C’est cette version dite complète qui est revenue sur les écrans en 1965 et qui fait aujourd’hui autorité, d’autant qu’elle a été validée par Jean Renoir lui-même. Grâce à ce minutieux travail de reconstruction du film, sa ligne directrice est plus claire et ses différents niveaux de lecture se trouvent renforcés, faisant bien de l’œuvre un incontournable du cinéma français d’avant-guerre.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 5 juillet 1939

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Affiche de La Règle du jeu de Jean Renoir

Distribution Parisienne de Films (DPF)

Biographies +

Julien Carette, Paulette Dubost, Marcel Dalio, Jean Renoir, Nora Gregor, Mila Parély, Roland Toutain, Gaston Modot

Mots clés

Cinéma français, Les grands classiques du cinéma français, La chasse au cinéma, Satire sociale, Le couple au cinéma

 

 

Le test du coffret collector 4K UHD et blu-ray

Présenté dans un superbe coffret, La règle du jeu bénéficie d’une édition que l’on peut qualifier de définitive par la beauté de sa copie et le nombre impressionnant de suppléments disponibles. Test réalisé à partir du produit finalisé.

Packaging & Compléments : 5 / 5

Saluons tout d’abord l’effort de l’éditeur Rimini pour nous proposer un objet de toute beauté, sous forme d’un coffret contenant un livre indépendant de 62 pages, quatre cartes cartonnées qui reprennent deux affiches françaises et deux posters anglo-saxons. Enfin, le beau digipack s’ouvre en trois volets qui contiennent la galette UHD 4K et deux blu-ray (un pour le film et un pour les bonus). C’est très classe.

En ce qui concerne le livre, il propose une analyse de l’œuvre de Jean Renoir sous différents aspects, puis prend le temps d’évoquer les carrières des nombreux acteurs. Enfin, il se termine sur des témoignages d’artistes qui confient leur amour pour le film. Le tout est agrémenté de nombreuses photos. Sur le blu-ray du film, un commentaire audio passionnant d’Olivier Curchod est disponible durant la totalité de la projection, avec profusion de détails.

De nombreux documents issus des archives de l’INA

Sur le blu-ray consacré aux suppléments, le tout est d’une richesse impressionnante. Tout d’abord, Jean Renoir présente lui-même son film (6min) grâce à une précieuse archive de l’INA. Il y dévoile son projet dans les grandes lignes et se désole de la mauvaise réception à la sortie du film. Ensuite, on peut regarder un passionnant épisode de Cinéastes de notre temps tourné par Jacques Rivette où ce dernier interroge longuement Jean Renoir (56min). Indispensable puisque le maître explique lui-même ce qu’il a voulu exprimer à travers son œuvre.

Ensuite, un module intitulé Reconstituer La règle du jeu (10min) revient sur le magnifique et compliqué travail effectué par Jean Gaborit et Jacques Durand pour retrouver des copies différentes d’une œuvre dont le négatif avait brûlé durant la guerre.

L’intervention la plus pertinente est assurément celle d’Olivier Curchod (27min) qui déconstruit le mythe entourant la sortie censément houleuse du long métrage à sa sortie. Son travail de chercheur et d’historien est absolument admirable et repris de l’ancienne édition du film par les Editions Montparnasse. De cette même édition, on retrouve aussi le module « Ma » règle du jeu (15min) où des auteurs comme Claude Chabrol ou Noémie Lvovsky s’expriment sur leur rapport personnel avec le film. Un peu dispensable.

On préfère l’analyse de François Truffaut (22min) même si le jeune critique se trompe sur de nombreux points, mais il ne disposait pas à l’époque d’internet et des montagnes de livres de cinéphiles pour se renseigner. On adore aussi le long, mais toujours passionnant dialogue entre Jean Douchet et Arnaud Desplechin à propos du film (48min) lors d’une diffusion à la Cinémathèque française.

Spécifique à cette édition, Philippe Roger, maître de conférences en cinéma livre une analyse pertinente du rapport entre l’image et le son au cœur du film (38min). Enfin, on a le droit à un extrait de l’opéra-comique Le déserteur (4min). Vous ne pourrez plus rien ignorer du long métrage après ce visionnage.

L’image du UHD 4K : 4 / 5

Le négatif original ayant définitivement disparu, les éléments utilisés pour la restauration sont moins performants. Il est important toutefois de noter que cette version UHD 4K est différente de celle proposée par ESC Editions en 2022. Si le matériel de départ est identique – la restauration de 2021 – Rimini Editions a encore effectué des modifications supplémentaires pour donner un rendu un peu plus précis, notamment dans les extérieurs et aussi les détails en arrière-plan. Cependant, cela entraine parfois un floutage un peu artificiel du premier plan au profit du second, ce qui peut être parfois perturbant. Bien entendu, on chipote ici puisque le rendu est globalement superbe. Cela demeure la meilleure copie disponible à ce jour.

Le son du UHD 4K : 4 / 5

La piste son 2.0 dual mono se révèle particulièrement percutante, mettant notamment en avant les voix des acteurs de manière très claire. De même, on peut apprécier le travail sur la musique qui ne sature pas. Malheureusement, malgré tous les efforts, un certain souffle est encore présent sur la piste. Cela ne dérange pas vraiment durant le visionnage et demeure largement supérieur aux copies précédemment disponibles.

Test blu-ray UHD 4K : Virgile Dumez

La règle du jeu, jaquette édition collector UHD 4K

© 1939 Les Grands Films Classiques / © 2025 Rimini Editions / Jaquette : Koemzo Artwork. Tous droits réservés.

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Affiche de La Règle du jeu de Jean Renoir

Bande-annonce de La règle du jeu

Comédie dramatique, Satire sociale

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