Première production Besson, Kamikaze propose une intrigue de SF intéressante, emballée de manière efficace et sublimée par la musique d’Éric Serra. Michel Galabru y est également impérial en scientifique fou.
Synopsis : Albert, savant surdoué, est mis au chômage. Poursuivant ses recherches à domicile, il trouve le moyen de tuer, depuis son récepteur, les présentateurs qui passent en direct à la télévision. La police s’interroge mais une intuition fantastique va conduire le commissaire Pascot sur une piste dans cette incroyable affaire.
Kamikaze, un premier film collectif
Critique : Jeune réalisateur ambitieux, Luc Besson a connu de beaux succès en ce début des années 80 avec ses deux premiers longs que sont Le dernier combat (1983) et surtout Subway (1985). Il souhaite donc passer au stade supérieur en devenant producteur ; il rédige un semblant d’intrigue intitulée Kamikaze (1986) qui a ensuite été développée en scénario par Michèle Halberstadt, rédactrice en chef à Première, et future épouse de Laurent Pétin, qui écrivait son premier script. Quant à Laurent Pétin, il débutait lui-même à la production sur Kamikaze. Le couple créera l’un des distributeurs français les plus intéressants des années 1990-2020, ARP Sélection.
Pour cette première production, Luc Besson fait confiance à un technicien qui le suit depuis son premier long, à savoir l’assistant Didier Grousset à qui il propose de passer à la réalisation.
Il s’agissait d’un gros challenge pour le jeune Didier Grousset qui n’a pas d’expérience dans le court-métrage. Il se voit confier les rênes d’un budget de 15 millions de francs, avec un casting imposé, à savoir Michel Galabru, Richard Bohringer et Dominique Lavanant. Heureusement, le jeune débutant s’est parfaitement entendu avec l’ensemble des acteurs et de l’équipe et a même développé une amitié franche avec Richard Bohringer. Ainsi, le tournage de Kamikaze s’est déroulé dans une bonne ambiance, même si le budget était serré et que le réalisateur était astreint à ne pas dépasser trois prises par plan. Un sacré défi technique pour une œuvre qui sort de l’ordinaire de la production française de l’époque, embrassant de façon ostentatoire le genre de la science-fiction. Besson offrira au jeune cinéaste la possibilité de tourner en Scope et en Dolby Stéréo.
Un film très moderne pour son époque
Comme la plupart des œuvres commerciales de cette époque, Kamikaze souffre de plusieurs défauts qui ne doivent pourtant pas éconduire les spectateurs amateurs d’OVNI cinématographiques. Tout d’abord, la modernité proclamée de son intrigue amène le film à être terriblement daté. Puisque tout passe par la technologie, celle-ci apparaît désormais comme terriblement désuète, que ce soit au niveau des téléviseurs que des cibles de l’assassin, à savoir des speakerines – métier qui consistait à annoncer les programmes de télévision avant qu’ils ne soient diffusés, pour les plus jeunes de nos lecteurs. Toutefois, cela passe plutôt bien pour peu que l’on se replonge dans ces années 80 où modernité et archaïsme se côtoyaient encore en France.
Ensuite, on peut trouver le jeu de certains acteurs mal assuré. Alors que des pointures comme Galabru, Bohringer et Lavanant s’en sortent avec les honneurs, les seconds rôles sont moins convaincants. On songe notamment au jeu fragile de Kim Massee – qui est d’ailleurs devenue réalisatrice de films indépendants depuis ce long qui fut son dernier – mais aussi à celui de Riton Liebman. Cependant, on appréciera la fraîcheur de la débutante Romane Bohringer qui avait tout juste 13 ans lors du tournage.
Kamikaze bénéficie d’une réalisation efficace et d’une excellente musique
Parmi les autres défauts du film, on signalera enfin certaines facilités d’écriture qui deviendront la marque de fabrique de Luc Besson par la suite, avec des coïncidences qui paraissent quelque peu forcées. Toutefois, cela n’empêche pas de profiter pleinement d’un spectacle plutôt bien troussé dans l’ensemble. Tout d’abord, Kamikaze bénéficie d’une réalisation efficace, avec quelques bons plans-séquence fondés sur une caméra très mobile, ainsi qu’un découpage géré avec intelligence. En fait, on sent ici la volonté de l’équipe de concurrencer le cinéma américain de l’époque sur son propre terrain, avec une réalisation choc.
A cela, il convient d’ajouter la présence d’une excellente partition musicale signée Éric Serra, alors au top de son inspiration qui allait aboutir à ses géniales partitions pour Le grand bleu (1988) et Nikita (1990). Basé sur une rythmique de basse particulièrement efficace, sa bande-son pêchue illustre à merveille les images tournées par Grousset et leur donne même une puissance qu’elles n’auraient pas eu sans elle. C’est assurément un des points forts de ce long-métrage qui bénéficie également du talent de cabotin de Michel Galabru. Certes, le comédien est dans l’excès, mais il le fait avec une telle sincérité et une telle conviction que cela convient parfaitement à son rôle.
Face à lui, Richard Bohringer fait preuve au contraire d’une très belle retenue qui contraste à merveille avec son compagnon de jeu (même s’ils n’ont pas beaucoup de scènes en commun). Les deux hommes parviennent à donner une réelle épaisseur à leurs personnages qui échappent ainsi aux stéréotypes qui les menaçait à l’écriture du script. Reçu correctement par la presse spécialisée, Kamikaze avait donc de nombreux atouts pour fonctionner.
Les 90 ans de Gaumont
Sorti le 10 décembre 1986, période qui coïncidait avec l’anniversaire historique de la Gaumont à la tête de laquelle siégeait depuis 12 ans Nicolas Seydoux, le film de SF est intercalé de façon symbolique une semaine avant la sortie des Fugitifs, grosse machine de Francis Veber de 28 millions de francs qui allait permettre à Gaumont, en période de crise du cinéma gravissime, de célébrer son anniversaire sur des airs triomphants, tout en se gardant sous le compte le film de Luc Besson suivant, Le Grand Bleu. Ce budget historique de 78 millions de francs allait devenir, en mai 1988, un phénomène de société.
En première semaine, Kamikaze doit répondre à la sortie très importante de Charlotte For Ever de Serge Gainsbourg, avec notamment Charlotte Gainsbourg. Ce dernier, proposé par le concurrent direct de la Gaumont, AMLF (aujourd’hui Pathé, ndlr), figurait dans pas moins de 40 cinémas franciliens.
Les Américains, eux, sont présents dans la comédie (Y a-t-il quelqu’un pour tuer ma femme de Disney, 35 salles), le blockbuster de S.F. (Howard, produit par George Lucas, UIP, 29 écrans) et le cinéma horrifique (Le jour des morts vivants de Romero, 10 sites).
Kamikaze sera le grand vainqueur du mercredi 10 décembre 1986 avec pas moins de 10 373 entrées quand le sulfureux Gainsbourg est hors de combat, puisqu’il ne compatibilise que 5 715 entrées.
A l’issue de la première semaine, Besson a pris la tête des nouveautés de la semaine à Paris en attirant 72 648 curieux dans les salles, achevant Gainsbourg, abandonné à ses névroses à 33 000 spectateurs et une 7e place embarrassante. Manon des Sources, suite du diptyque de Pagnol par Claude Berri, et Basil détective privé occupent les première et seconde positions.
Sur Paris intra-muros, Kamikaze est à l’affiche de 14 sites : le Gaumont Colisée, le Publicis Elysées, le Cluny Palace, le 14 Juillet Beaugrenelle et le 14 Juillet Bastille, le Paramount Opéra où il se distingue avec 6 055 spectateurs sur site, l’UGC Gobelins, le Gaumont Halles, le Gaumont Convention, le Bretagne, le Miramar, l’UGC Odéon, le Rex et le Pathé Wepler.
La deuxième semaine est celle d’une chute prévisible, puisque Gaumont n’en obtient que 32 733 amateurs de SF supplémentaires sur Paname. Il faut dire que les films populaires se succèdent à l’affiche avec les sorties très attendues d’événements comme Les Fugitifs (Veber) ou Le nom de la rose (Annaud), et des divertissements étasuniens Jumpin’ Jack Flash avec Whoopi Goldberg, et La Folle Journée de Ferris Bueller de John Hugues.
En troisième septaine, le métrage se stabilise à 22 628 retardataires. Le film finira sa course avec 155 229 entrées sur la capitale, score tout à fait honnête.
En France, le métrage a débarqué en cinquième position lors de sa semaine d’investiture avec 190 316 assassins. La baisse parisienne se retrouve à l’échelle nationale lors de la deuxième semaine avec 88 167 spectateurs. Les fêtes ont permis à Kamikaze de se maintenir en troisième septaine avec 84 451 curieux en plus. Finalement, le film franchit la barre des 400 000 entrées lors du passage à 1987. Il termine sa carrière mi-janvier 87 avec 490 145 spectateurs sur l’ensemble du territoire, échouant aux portes des 500 000 tickets, mais figure dans les objectifs de la maison Gaumont.
Par la suite, le métrage a été édité en VHS, DVD et même blu-ray par la firme Gaumont qui a pris conscience que cette curiosité a gagné des supporters au cours des décennies. Il s’agit effectivement d’une bonne production Besson et d’un film décidément attachant par-delà ses quelques défauts évoqués plus haut.
Critique de Virgile Dumez
Box-office par Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 10 décembre 1986
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Didier Grousset, Richard Bohringer, Michel Galabru, Dominique Lavanant, Riton Liebman, Charles Gérard, Etienne Chicot, Romane Bohringer, Kim Massee