Suite de Poulet au vinaigre, Inspecteur Lavardin poursuit sa peinture au vitriol des mœurs provinciales avec une jubilation similaire. Jean Poiret, encore plus présent, y est absolument formidable.
Synopsis : Le cadavre de l’écrivain catholique Raoul Mons est découvert sur une plage. Dépêché sur les lieux, l’inspecteur Lavardin a la surprise de découvrir, en la personne d’Hélène, la veuve de Mons, une femme qu’il a aimé, et aime encore. Entre la troupe de théâtre, dont Mons venait de faire interdire la pièce, le frère d’Hélène, homosexuel, sa fille d’un précédent mari, adolescente qui rode la nuit près d’une boîte de nuit tenue par le louche Monsieur Max, Lavardin va devoir choisir un coupable…
Toujours plus de vinaigre pour le poulet Lavardin
Critique : Alors qu’il vient de connaître un joli succès avec son Poulet au vinaigre, le cinéaste Claude Chabrol envisage tout d’abord de tourner un biopic sur la sculptrice Camille Claudel. Malheureusement, il apprend que l’exclusivité de cette histoire a été donnée par la famille à l’actrice Isabelle Adjani qui développe son propre projet autour de cette figure féminine marquante. Cela a débouché sur la création de Camille Claudel (Bruno Nuytten, 1988), qui a permis à l’actrice de décrocher un Ours d’argent de la meilleure actrice à Berlin, ainsi que 5 César, dont ceux du meilleur film et de la meilleure actrice.
Orphelin de ce projet qui lui tenait à cœur, Claude Chabrol écrit un script policier qu’il juge un peu trop classique et il y injecte donc une touche ironique supplémentaire en faisant du héros le fameux inspecteur Lavardin qui venait de séduire le grand public. Non seulement Claude Chabrol peut réécrire le scénario avec la collaboration de Dominique Roulet, mais la perspective de retrouver Jean Poiret le ravit d’avance, d’autant que son rôle est ici largement étoffé. D’ailleurs, Inspecteur Lavardin semble un peu plus simple à financer, comme l’explique très bien son producteur Marin Karmitz, dans un entretien donné aux Cahiers du Cinéma le 11 septembre 1997 à l’occasion d’un numéro hors-série consacré à Claude Chabrol :
Pour Poulet au vinaigre, je n’ai donc eu aucune coproduction, mais le succès du film m’a permis de coproduire Lavardin. A l’époque, Canal + n’existait pas. Et c’est dur de faire un film avec un seul partenaire.
Une équipe de fidèles qui s’entendent à merveille
Cette fois, Marin Karmitz bénéficie donc de l’apport de la télévision française par l’intermédiaire des Films A2, mais surtout de la télé suisse qui investit dans cette suite prometteuse. Désireux de s’entourer d’une équipe de fidèles, Claude Chabrol fait appel à plusieurs habitués de son cinéma. Parmi eux, on trouve l’acteur de théâtre Jacques Dacqmine qui retrouve un emploi similaire à celui qu’il tenait dans A double tour (1959). Mais les complices les plus connus demeurent Bernadette Lafont et Jean-Claude Brialy.
Dans le livre Bernadette Lafont, une vie de cinéma (Bernard Bastide, Atelier Baie, 2013), l’actrice déclare à propos de ce film :
Deux mois après le tournage de L’Effrontée, il [Chabrol, ndr] m’a invitée à dîner pour me proposer un rôle dans Inspecteur Lavardin. […] Chabrol, en rigolant, comme à son habitude, m’a tout de suite donné la clé de ce personnage à contre-emploi en me disant : « Ce serait peut-être amusant si tu étais blonde !… ». Puis, il a ajouté une chose fondamentale et très difficile à faire : « Tu ne regarderas jamais tes partenaires quand tu leur adresseras la parole ». L’idée était de faire d’Hélène un personnage hitchcockien, un peu mystérieux, complètement schizophrène en fin de compte.
Un polar hitchcockien en diable
Ce témoignage est précieux pour le cinéphile qui notera effectivement un nombre conséquent de références à l’œuvre d’Alfred Hitchcock au cœur de ce polar qui prend également des allures de film noir. Effectivement, le projet initial de Claude Chabrol était bien de mêler à la fois le whodunit à la Agatha Christie et la série noire, avec des protagonistes louches et mafieux.
Situé à Dinard et Dinan, le tournage fut en tout cas très agréable pour toute l’équipe si l’on en croit l’autobiographie de Jean-Claude Brialy (Le Ruisseau des singes, Robert Laffont, 2000) :
Avec Claude Chabrol et Jean Poiret, je compris ce qu’était l’esprit rabelaisien. Ils rivalisaient de pantagruélisme ! Dès le matin, à l’heure où l’on sort du coma pour plonger le nez dans son café, Chabrol et Poiret faisaient le menu du dîner du soir : moules à la crème, tête de veau vinaigrette, andouille grillée et autres mets légers, tout y passait. […] Puis nous allions sur le plateau. En cinq minutes, Chabrol expliquait son plan, plaçait sa caméra, ensuite il allait s’asseoir dans un coin, sortait sa pipe et observait tout son petit monde avec ses yeux malicieux. […] Une ou deux répétitions et l’on tournait. Deux prises, parfois trois, et la scène était en boîte. La technique, les acteurs, tout était en phase, réglé comme du papier à musique. Tout cela avec simplicité et légèreté. […] Je garde un souvenir heureux de ces jours passés avec ma copine Bernadette Lafont et de l’incroyable complicité des deux fines gueules.
Une satire de la bourgeoisie provinciale très cinglante
Comme on peut le voir, Inspecteur Lavardin a donc été réalisé dans une ambiance de franche camaraderie et de bonne humeur partagée. Pourtant, l’histoire racontée s’avère particulièrement sombre si on lui ôte les bons mots chers à son auteur. Il y est tout de même question d’exploitation de la jeunesse à des fins sexuelles, de trafic de drogue et de corruption à tous les niveaux. Comme à son habitude, Claude Chabrol livre un portrait au vitriol des mœurs de la bourgeoisie provinciale. L’hypocrisie y règne donc en maître et le cinéaste se régale en jetant au milieu de ces êtres veules un inspecteur au caractère anarchiste.
Comme dans l’opus précédent, Lavardin n’hésite pas à bousculer les règles du droit pour faire triompher sa justice. On notera d’ailleurs que le long métrage va très loin dans l’irrespect puisque Chabrol s’en prend non seulement aux bien-pensants, aux religieux, mais aussi aux institutions et aux lois qui ne peuvent en aucun cas faire justice.
Pour cela, le réalisateur bénéficie d’un scénario très bien ficelé et de la complicité d’acteurs au cordeau. On signalera notamment l’excellence du jeu de Jean Poiret qui, cette fois, est quasiment de tous les plans. Le trublion est bel et bien le centre d’intérêt du film, comme l’indique finalement très justement le titre. Réalisé avec talent, Inspecteur Lavardin n’a pas à rougir de la comparaison avec Poulet au vinaigre et s’inscrit donc parmi les réussites du cinéaste, tout en prolongeant son étude de la bassesse humaine.
Un joli succès dans la foulée de Poulet au vinaigre
Afin de profiter du succès du film précédent, Marin Karmitz fait tourner une nouvelle bande-annonce qui met en avant le cinéaste à la manière d’un certain Alfred Hitchcock. L’ensemble est efficace et Inspecteur Lavardin va approcher le succès de son prédécesseur lorsqu’il déboule dans les salles le mercredi 12 mars 1986. Cette même semaine, l’enquêteur doit affronter Bleu comme l’enfer (Yves Boisset) avec Lambert Wilson qui se veut un thriller à l’américaine, ainsi que le film d’horreur Re-Animator (Stuart Gordon). Mais Inspecteur Lavardin n’a aucun mal à décrocher la première place parisienne avec 97 635 spectateurs, soit un gain substantiel par rapport à Poulet au vinaigre un an auparavant qui émargeait à 63 000 clients.
La semaine suivante, Jean Poiret se fait voler la première place par Johnny Hallyday et son Conseil de famille (Costa-Gavras), mais séduit encore 80 672 retardataires pour une belle 2ème place hebdomadaire. C’est donc logiquement en troisième septaine que Inspecteur Lavardin décroche avec une chute sensible de ses entrées et 51 439 enquêteurs en plus. En un mois de présence à Paris, Inspecteur Lavardin dépasse les entrées parisiennes de son prédécesseur et continue sa trajectoire jusqu’à 300 058 entrées.
Inspecteur Lavardin marche mieux à Paris qu’en province
Alors que cette suite marche mieux que le premier à Paris, il en va autrement en province où elle semble marquer le pas. Visiblement, les provinciaux préfèrent succomber au charme de la comédie triomphale Trois hommes et un couffin (Coline Serreau) et n’offrent à Inspecteur Lavardin qu’une troisième place à 187 880 entrées, juste derrière Bleu comme l’enfer. En deuxième semaine, le Chabrol se maintient bien avec 167 051 notables et peut ensuite dépasser les 500 000 tickets en moins d’un mois.
C’est vers le milieu du mois d’avril que le film ploie sous le poids de la concurrence et affiche des entrées plus décevantes, tournant autour des 30 000 tickets par semaine. Si le métrage tourne toujours fin mai, il n’arrivera que péniblement à dépasser les 700 000 entrées (701 456 précisément) et échoue donc à doubler le premier opus. Le résultat est toutefois pleinement satisfaisant. D’ailleurs, Claude Chabrol n’a pas abandonné le personnage de Lavardin puisqu’il met sur pied dès 1988 une série télévisée intitulée Les dossiers secrets de l’inspecteur Lavardin qui comprend quatre épisodes de 90 minutes, dont il a réalisé deux occurrences.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 12 mars 1986
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Claude Chabrol, Jean-Claude Brialy, Bernadette Lafont, Jean Poiret, Jean-Luc Bideau, Jacques Dacqmine
Mots clés
Polar français des années 80, La famille au cinéma, La drogue au cinéma, MK2