Cinquième épisode de la franchise, Indiana Jones et le cadran de la destinée est une invitation à revivre la flamboyance des années 80, sans dénaturer l’esprit des films originaux. La présence d’Harrison Ford relève de la magie pure ; Phoebe Waller-Bridge, créatrice de Fleabag, Killing Eve et co-scénariste de Mourir peut attendre, est épique dans tous les sens du terme.
Synopsis : 1969. Après avoir passé plus de dix ans à enseigner au Hunter College de New York, l’estimé docteur Jones, professeur d’archéologie, est sur le point de prendre sa retraite et de couler des jours paisibles.
Tout bascule après la visite surprise de sa filleule Helena Shaw, qui est à la recherche d’un artefact rare que son père a confié à Indy des années auparavant : le fameux cadran d’Archimède, une relique qui aurait le pouvoir de localiser les fissures temporelles. En arnaqueuse accomplie, Helena vole l’objet et quitte précipitamment le pays afin de le vendre au plus offrant. Indy n’a d’autre choix que de se lancer à sa poursuite. Il ressort son fedora et son blouson de cuir pour une dernière virée…

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Le choix paresseux de James Mangold à la réalisation
Critique : Indiana Jones et le cadran de la destinée, quatrième épisode d’une saga qui aura dû s’arrêter au numéro 2 en 1984, après un numéro 3 poussiéreux d’ennui et de classicisme (Indiana Jones et la dernière croisade, 1989) et un opus 4 tardif, obsolète dans toutes ses formes (Indiana Jones et le royaume du crane de cristal), n’était pas forcément des films que l’on attendait le plus. L’âge de l’acteur principal a priori absurde pour ce type de péripéties, les scores pompeux de John Williams qui nous cassent les oreilles, et l’impression d’avoir fait le tour du genre à une époque où la notion de décor avait encore un sens, tout nous rebutait, jusqu’au choix du cinéaste.
A la réalisation, le sympathique James Mangold, ancien nom du cinéma indépendant (Heavy), semble avoir été placé aux commandes car il correspond plus ou moins aux canons des cinéphiles d’une sphère numérique à qui l’on offre une gamme de spectacles sans variété réalisée par une liste limitée d’auteurs, interchangeable d’une série à l’autre. James Mangold est désormais baladé dans les conventions des gros budgets, puisqu’il a mis en boîte un divertissement avec Tom Cruise, deux films de super-héros, un western, et deux biopics pour cocher la case Oscar. Il ne lui manque plus qu’un Star Wars, mais on vous rassure, Kathleen Kennedy, présidente de Lucasfilm, et lui travaillent sur des projets à suivre. Ce parcours totalement banal est une insulte à la notion d’auteur, c’est-à-dire quelqu’un qui a envie d’investir ses propres histoires et qui, a 59 ans, a autre chose à faire que de conter fleurette et les guéguerres des étoiles de l’ancêtre George Lucas.

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Aussi, quand on s’installe dans un cinéma Dolby pour découvrir le nouveau fleuron de l’écurie Lucas-Spielberg, on est tout sauf convaincu de ce qui nous attend malgré les retours cannois positifs (il était présenté en sélection officielle hors compétition) qui ne font que vous rappeler que le monde entier aime La dernière croisade, mais pas vous… Rien que la phrase d’accroche française : “Il est de retour. Et cette fois-ci, avec son père”… il fallait l’oser pour une œuvre de cette trempe. Evidemment, ce type de cinéma d’action pétaradant tient surtout de la subjectivité, de la sensibilité, de l’âge de la découverte… On ne crache pas sur Indiana Jones, hein, ça marchait à l’âge de 8-12 ans, à l’adolescence, on était passé à autre chose.
Indiana Jones 5 est un bon cru
Aussi, avec une objectivité de critique qui a déjà tout vu, tout passé en revue en 20 ans de papiers, donc de vieux spectateur blasé, Indiana Jones et le cadran de la destinée est tout sauf un mauvais film. En tant que blockbuster, c’est un divertissement généreux qui allie toutes les qualités escomptées dans pareille prose cinématographique : action non-stop, rythme haletant qui fait passer la pilule d’une durée de 2h34min, humour ad hoc et émotions plurielles… Le film rivalise même d’ingéniosité. Le script qui traîne depuis 2010 a eu le temps d’être fignolé en 13 ans de développement, même si les incohérences et incongruités peuvent paraître excessives notamment dans les rebondissements des séquences finales qui sont tellement énormes qu’elles pourront heurter la sensibilité des plus rationnels des spectateurs. Oui, faites gaffe au nawak de certaines séquences, les scénaristes ont osé et cela nous a bien fait marrer.
Subjectivement, nous avons laissé près de quinze jours avant d’écrire ce présent papier sur Indiana Jones 5. Un avis de plus ou de moins sur un blockbuster en 2023, ce n’était pas ce qui allait mettre en péril l’équilibre du Web contemporain, surtout un mois après Cannes ; l’aventurier ne nous attendait pas pour susciter les envies. Indiana Jones a ses fans et ces derniers n’attachent pas vraiment d’importance à la sensibilité de point de vue des anonymes, ce qu’ils veulent c’est frémir devant la stature de l’archéologue, se laisser éblouir par l’astre chapeauté dans ses quêtes mythologiques. Et ils ont raison. Qu’importe la critique quand il y a le plaisir.

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Harrison Ford et la machine numérique à remonter le temps
Et du plaisir, Indiana Jones et le cadran de la destinée en procure assez pour les non avertis. On ose imaginer pour les convertis. L’incipit, séquence ferroviaire fulgurante dans les vertiges alpins à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, exhibe l’émouvant spectacle d’un Indiana Jones pimpant de jeunesse, rajeuni de façon épatante via de nouvelles techniques numériques. La peau juvénile d’Harrison Ford a été reconstituée à partir de milliers de photos et de vidéos de la star, ingurgités par l’intelligence artificielle pour recomposer l’homme aux plus belles heures de l’âge, celles d’une virilité pas trop excessive et d’une présence toujours écrasante, celle des stars totales. C’est à la fois étonnant, beau et terrifiant de contempler le futur reconstituer le passé avec un tel sens de la précision. C’est également un moment poignant de métaphysique et de réflexion universelle sur l’effet miroir de se revoir dans une jeunesse artificielle accessible par l’image, mais inaccessible dans la chair, devenue forcément triste pour les inéluctables perspectives de vie à venir.
Passé cette séquence inaugurale qui joue glorieusement sur la nostalgie des spectateurs, le scénario tombe très vite dans les affres dépressives propres aux héros après la bataille. Les productions super-héroïques n’ont trouvé que cette facilité d’écriture pour essayer de donner de l’épaisseur à leurs personnages dans leurs phases post-traumatiques et descendantes, après la tragédie (Thor bedonnant et alcoolique devant sa télé, vous remettez?). Là encore, le jeu écrasant de justesse d’Harrison nous permet de renvoyer les clones au placard. Le fiston décédé (le personnage de Shia LaBeouf, dans le 4) et l’épouse éloignée (l’éternelle Karen Allen), le vieillard au lendemain de sa retraite en tant qu’enseignant est plus qu’un personnage geignant, c’est une icône – qu’on l’adule ou non -, et c’est avec un charisme dingue, de celui qui vous fait traverser la rue, qu’il revient aux affaires pour des raisons qui, a priori le dépassent, mais dans lesquelles il va y laisser beaucoup d’amis, mais y retrouver tout son panache, son énergie. Une ultime fois. Pour chambouler ses projets d’une retraite de la vie sociale, les scénaristes ont eu l’excellente idée de faire de son acolyte principal un personnage féminin à sa hauteur. Elle est jouée par la comédienne britannique Phoebe Waller-Bridge.

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La bourrasque Phoebe Waller-Bridge
La star de la série dévergondée Fleabag est la meilleure idée du film et nous permet d’oublier immédiatement les personnages invisibles qu’incarnaient Kate Capshaw (Indiana Jones et le temple maudit, 1984), et Alison Doody (Indiana Jones et la dernière croisade, 1989). Waller-Bridge incarne tout ce que l’on est en droit d’attendre de pareil rôle de sidekick : l’humour, l’esprit, l’efficacité, et même l’élégance. Exit Brie Larson (Captain Marvel) et autre Katherine Waterson (Alien Covenant), premiers rôles d’action insipides, Phoebe Waller-Bridge a la présence des grandes. Dans le cinéma d’aventure, elle évoque Kathleen Turner (A la poursuite du diamant vert, Le diamant du Nil) ou plus récemment Eva Green, des actrices qui interpellent à l’écran et accrochent autant voire plus que les protagonistes masculins à qui elles donnent la réplique. Phoebe Waller-Bridge n’est pas non plus sans raviver le souvenir capiteux des grandes dames de l’âge d’or d’Hollywood. Elle en a la fantaisie et l’assurance. Dans un parfait équilibre, l’humoriste britannique, délicatement cheeky, gentiment badass, toujours percutante, ne cherche pas à voler la vedette à Indiana Jones, elle le fuit ou l’accompagne, dans une complémentarité qui revient à la qualité d’écriture et à son jeu de tempérament.
Indiana Jones et le cadran de la destinée a son Demi-Lune
Aux côtés de la grande actrice, le jeune Français Ethann Isidore sert de caution jeunesse, comme Ke Huy Quan en incarnant Demi-Lune en 1984. C’est indéniablement la patte Steven Spielberg (ici, seulement producteur exécutif après avoir réalisé les quatre premiers chapitres de la saga). On n’a pas vraiment de problème avec cela. L’adolescent polyglotte n’est pas lui-même sans charisme et personnalité. Il n’est pas une faute de goût au sein d’un casting prospère où Mads Mikkelsen campe l’Allemand nazi avec la délectation du vrai gentil dans les pompes du grand méchant, Toby Jones devient le plus petit des grands amis d’Indiana Jones, Antonio Banderas plonge en vieux loup de mer dans une Méditerranée infestée de murènes, et Boyd Holbrook gagne enfin en poids et gueule après avoir servi de minet de service plus qu’il n’en faut à l’écran.

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On ne saurait trop trahir l’histoire à cette heure de la sortie du film. Il est toujours important de laisser les spectateurs découvrir les twists tordus des scénaristes et débattre entre eux pendant des heures. Il est évident que comme nous, chacun se posera la question de savoir si cette fois-ci Indiana Jones est allé trop loin. Ces questionnements alimenteront le buzz autour de cet épisode 5 qui ne nous apparaît vraiment pas comme l’épisode de trop. Au contraire, il conclut avec dextérité et surtout dignité une saga qui a eu ses hauts et ses bas, et qui ne ressent aucun complexe d’infériorité face à ses prédécesseurs. A vrai dire, Indiana Jones et le cadran de la destinée est la piqûre de rappel qui prouve que les bons personnages traversent les époques sans lasser et ne meurent à vrai dire jamais. Sauf qu’ici, il s’agira effectivement de l’ultime Indiana Jones avec Harrison Ford. On laisse tout un chacun fantasmer sur sa fin avant de découvrir ses dernières pérégrinations dans les salles les mieux équipées pour ce très grand spectacle de cinéma.
Les sorties de la semaine du 28 juin 2023

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Biographies +
James Mangold, Harrison Ford, Phoebe Waller-Bridge, Mads Mikkelsen, Toby Jones, Ethann Isidore, Boyd Holbrook, Antonio Banderas, Thomas Kretschmann, Karen Allen