Présenté comme un film historique, Délicieux est avant tout un drame romanesque porté par de bons acteurs et une photographie de toute beauté. L’écriture, elle, manque sérieusement de rigueur et de finesse.
Synopsis : À l’aube de la Révolution française, Pierre Manceron, cuisinier audacieux mais orgueilleux, est limogé par son maître le duc de Chamfort. La rencontre d’une femme étonnante, qui souhaite apprendre l’art culinaire à ses côtés, lui redonne confiance en lui et le pousse à s’émanciper de sa condition de domestique pour entreprendre sa propre révolution. Ensemble, ils vont inventer un lieu de plaisir et de partage ouvert à tous : le premier restaurant. Une idée qui leur vaudra clients et ennemis…
Une histoire fictive, fondée sur une réalité historique
Critique : Après Le goût des merveilles (2015), Éric Besnard cherchait à explorer au cinéma l’un de nos cinq sens. Grand amateur d’Histoire, il a fini par découvrir que le restaurant tel que nous l’entendons n’est né que tardivement, durant le 18ème siècle. Il a donc souhaité mettre en avant cet art de vie « à la française » dans Délicieux qui retracerait la naissance de ces établissements, tout en racontant l’histoire d’une renaissance, celle d’un homme qui semble renoncer à son art après une déception majeure, mais va peu à peu retrouver goût à l’existence par la grâce d’une femme.
Délicieux © 2021 Nord-Ouest Films -SND (Groupe M6) / Photographie : Jérôme Prébois. Tous droits réservés.
Très vite, l’auteur et son complice Nicolas Boukhrief (qui ont déjà travaillé ensemble sur Le convoyeur, L’Italien, 600 kilos d’or pur et Valentino) s’aperçoivent que la véritable fondation des restaurants ne présente pas suffisamment de ressorts dramatiques pour en faire une œuvre de cinéma. Ils optent donc pour la fiction et inventent de toute pièce cette histoire d’un cuisinier qui perd sa place auprès du duc de Chamfort pour avoir servi un entremets à la pomme de terre – alors jugée par l’Église indigne à la consommation, car poussant sous terre. Cette initiative personnelle lui vaut disgrâce et le cuisinier devient alors simple gérant d’un relais de poste. Sur l’impulsion d’une femme également rejetée par la société, le cuisinier va peu à peu monter une auberge et créer un établissement de bouche qui serait le premier restaurant.
De l’art de l’imprécision historique
Alors que le cinéaste ne fait pas mystère de l’aspect fictionnel de son récit dans les entretiens qu’il donne, on peut regretter que la promotion autour du film insiste lourdement sur la création du premier vrai restaurant. Tout d’abord, le long-métrage se déroule en province, alors que le premier établissement que l’on recense comme étant un véritable restaurant a été fondé à Paris par Beauvilliers en 1782 rue de Richelieu, sous le nom de Grande Taverne de Londres (dixit le Grand Larousse gastronomique). Par ailleurs, le long-métrage aligne un certain nombre d’imprécisions historiques qui ne pourront qu’interpeller les férus en la matière. Ainsi, certains comportements des personnages ne semblent pas crédibles pour l’époque, notamment dans leurs relations sociales et rapports de classe. Si l’on valide une grande partie du film, la dernière demi-heure cumule un certain nombre d’invraisemblances qui rendent la fin de Délicieux suspecte à plus d’un titre.
Délicieux © 2021 Nord-Ouest Films -SND (Groupe M6) / Photographie : Jérôme Prébois. Tous droits réservés.
Si les auteurs ont évidemment le droit de romancer, ils semblent avoir pris de très grandes libertés avec la matière historique, faisant finalement de leur œuvre une fable. A travers cette histoire hautement symbolique, ils évoquent surtout le basculement d’un monde vers un autre, ainsi qu’une volonté du peuple de se débarrasser des privilégiés. Si l’idée n’est pas mauvaise, elle ne convainc pas totalement par défaut d’écriture. Ainsi, le portrait de la noblesse est globalement caricatural – Éric Besnard cite explicitement Ridicule (Leconte, 1996), mais ce film était justement une fantaisie – et la plupart des personnages secondaires n’ont guère de profondeur. Et que dire de la métamorphose soudaine du personnage de Guillaume de Tonquédec dans les cinq dernières minutes, si ce n’est qu’elle n’est absolument pas crédible sur le plan historique.
Délicieux n’en demeure pas moins un beau livre d’images, servi par de bons acteurs
C’est d’autant plus dommage que Délicieux se regarde en grande partie avec un plaisir certain. Effectivement, le long-métrage bénéficie d’une flamboyante photographie de Jean-Marie Dreujou qui a été justement un collaborateur régulier de Patrice Leconte. Inspiré par la peinture de genre du 18ème siècle et les natures mortes de Jean Siméon Chardin, Dreujou livre une suite de tableaux de maître qui enchantent les yeux. Autre objet de satisfaction, Délicieux bénéficie d’un casting trois étoiles. Grégory Gadebois est parfaitement crédible en cuisinier porté par son art. Isabelle Carré parvient à rendre crédible un personnage pourtant hautement improbable sur le papier. Enfin, tous les autres acteurs servent le propos du cinéaste avec gourmandise et talent.
On est d’autant plus déçu par ces quinze dernières minutes en forme de happy end qui viennent saborder les efforts entrepris jusqu’alors. Sans être un plat frelaté, Délicieux échoue à s’élever au rang de haute gastronomie cinématographique à cause de facilités d’écriture. Et puis gageons que de nombreux spectateurs qui ne se renseignent pas par ailleurs ressortiront de la salle en pensant avoir vu l’histoire vraie de la création du premier restaurant. Ce que Délicieux n’est assurément pas.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 8 septembre 2021
© 2021 Nord-Ouest Films -SND (Groupe M6) / Photographie : Jérôme Prébois Design : Laurent Pons pour Troika. Tous droits réservés.