Avec Chronique d’un homicide, Mauro Bolognini livre une analyse pertinente des années de plomb italiennes grâce à un regard humaniste qui ne juge aucun camp. Une œuvre majeure à redécouvrir.
Synopsis : Fabio, un étudiant en architecture, militant de Lotta Continua, formation de l’extrême-gauche italienne, participe à une manifestation. Celle-ci dégénère en affrontement sanglant entre forces de l’ordre et jeunes contestataires. Au cours de cet événement, un étudiant est tué d’une balle de calibre 7,65. Fabio est lui-même violemment malmené. Il s’empare alors d’un poing américain, trouvé au sol, et blesse mortellement un agent de police. Alors qu’un de ses compagnons, Massimo Trotti, est inculpé pour ce meurtre, Fabio veut se constituer prisonnier mais son responsable politique l’en dissuade. Le juge Aldo Sola, le propre père de Fabio, est chargé d’enquêter sur les deux assassinats…
Les années de plomb vues par Bolognini
Critique : Au début des années 70 s’ouvre en Italie la période appelée les années de plomb qui précipite le pays dans des troubles politiques où s’affrontent la droite traditionaliste et chrétienne et l’extrême gauche. Témoin de son temps, le scénariste Ugo Pirro signe les scripts marquants d’Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Petri, 1970), Le jardin des Finzi-Contini (De Sica, 1971) et La classe ouvrière va au paradis (Petri, 1971).
Il a également déjà écrit le scénario de Metello (1970) pour le réalisateur Mauro Bolognini. Lorsqu’il rédige l’histoire de Chronique d’un homicide (1972) avec l’aide d’Ugo Liberatore, Pirro parvient à vendre le projet au producteur Gianni Hecht Lucari qui le propose à Bolognini. Contre toute attente, le cinéaste accepte le défi, lui dont l’univers cinématographique semble à mille lieues du cinéma politique contemporain.
A y regarder de plus près, le cinéphile ne sera pas si étonné que cela puisque la plupart des œuvres de Bolognini des années 70 possèdent un contenu politique et social prégnant, que ce soit dans Metello déjà cité, mais aussi La grande bourgeoise (1974) et surtout Liberté mon amour (1975). Toutefois, si Bolognini fait montre d’une conscience politique, il ne se laisse jamais prendre au jeu des idéologies, contrairement à de nombreux confrères qui étaient encartés au Parti communiste. D’où un isolement qui le laissera toujours à côté des grandes tendances de l’époque.
Une vision politique modérée d’une époque extrême
Ni réactionnaire, ni aveuglément progressiste, Mauro Bolognini trace son chemin en dehors des grandes idéologies de son époque, ce qui se ressent dans ce Chronique d’un homicide (1972) qui n’a pas connu le succès en son temps, au point de ne pas sortir dans les salles françaises avant 2015. En réalité, le long-métrage s’avère justement trop mesuré et réfléchi pour plaire à une époque où il fallait clamer haut et fort son positionnement.
Si Chronique d’un homicide dénonce les dérives de la police, tenue par des agents aux comportements fascistes et aux ordres d’un pouvoir réactionnaire qui entend défendre les intérêts de la haute bourgeoisie, le film s’en prend également à l’aveuglement idéologique d’étudiants instrumentalisés. Bolognini évoque notamment le mouvement d’ultra-gauche Lotta Continua qui souhaitait déclencher une lutte armée, passant même par l’assassinat politique l’année de sortie du film. Le réalisateur démontre que ces groupuscules sont organisés de façon à déstabiliser l’Etat bourgeois, quitte à sacrifier des jeunes gens dans une lutte fanatique qui prime sur toute dimension humaine.
Au nom de la justice et de l’équité
La grande force de Chronique d’un homicide est justement de ne prendre parti pour aucun des deux camps, mais de se placer uniquement au niveau des personnages et de leur sens de la justice et de l’équité. Nous suivons ainsi l’évolution psychologique d’un jeune étudiant qui a tué par inadvertance un policier lors d’une manifestation violente, et celle de son père qui est justement le juge chargé de cette double affaire (un policier et un étudiant sont morts durant les événements).
Incarné avec beaucoup d’aplomb et de sensibilité par l’acteur américain Martin Balsam, le juge nous est d’abord présenté comme un représentant du pouvoir en place. Pourtant, le cinéaste insiste sur son sens du devoir et de la justice, le distinguant de la masse des fonctionnaires qui obéissent aveuglément aux ordres. Face à ce père de famille déstabilisé par sa progéniture, Massimo Ranieri interprète à merveille l’étudiant buté qui lui sert de fils.
Alors qu’ils sont en opposition sur tout, les deux hommes vont être contraints de faire un pas chacun l’un vers l’autre, permettant ainsi aux auteurs de révéler les dérives des deux camps. Globalement, Bolognini semble davantage en empathie avec les étudiants – du moins ceux qui sont idéalistes, et non les idéologues – qu’avec le pouvoir en place, mais il se refuse à jeter la pierre à qui que ce soit, ramenant toujours le sujet aux individus et à leurs choix.
Un regard humaniste sur une situation inextricable
C’est ce regard humaniste et détaché – mais ô combien juste – qui fait tout le prix de Chronique d’un homicide qui pouvait tomber dans l’exploitation pure ou le mélodrame insipide et larmoyant. Rien de tout ceci dans cette œuvre remarquablement tenue, tournée parfois caméra à l’épaule par un Bolognini qui était son propre cadreur. De quoi faire voler en éclat l’idée généralement admise que le cinéaste n’est qu’un formaliste. En réalité, Bolognini s’adapte au sujet qu’il traite et livre une œuvre forte sur une situation qui l’a sans doute exaspéré.
Pour accentuer la puissance de ses images, le réalisateur a eu l’excellente initiative de confier la bande sonore au grand Ennio Morricone qui délivre ici un thème absolument impeccable, assez proche de ce qu’il fera sur Le professionnel (Lautner, 1981) avec Chi Mai. Utilisée avec parcimonie et intelligence, cette musique ajoute une sensation de fatalité qui permet au long-métrage de s’imposer comme l’un des meilleurs films politiques de cette époque, n’en déplaise au grand public qui l’a boudé.
Chronique d’un homicide, resté inédit plus de quarante ans
Disponible pour la première fois en France en DVD en 2009, le film a finalement été restauré et est sorti en salles en 2015 au bout de quarante trois ans d’attente. Depuis, il a fait l’objet d’une nouvelle édition DVD – toujours chez le même éditeur (M6 Vidéo) – que l’on vous conseille chaudement, d’autant que la qualité de l’image est au rendez-vous (dans les limites d’une copie SD bien entendu).
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 10 juin 2015
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